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des foules qui ont laissé un des plus sinistres souvenirs dans notre histoire : celle des septembriseurs. Elle présente d’ailleurs beaucoup d’analogie avec celles qui firent la Saint-Barthélemy. J’emprunte les détails du récit à M. Taine, qui les a puisés dans les mémoires du temps.

On ne sait pas exactement qui donna l’ordre ou suggéra de vider les prisons en massacrant les prisonniers. Que ce soit Danton, comme cela est probable, ou tout autre, il n’importe ; le seul fait intéressant pour nous est celui de la suggestion puissante que reçut la foule chargée du massacre.

La foule des massacreurs comprenait environ trois cents personnes, et constituait le type parfait d’une foule hétérogène. À part un très petit nombre de gredins professionnels, elle se composait surtout de boutiquiers et d’artisans de tous les corps d’états : cordonniers, serruriers, perruquiers, maçons, employés, commissionnaires, etc. Sous l’influence de la suggestion reçue, ils sont, comme le cuisinier cité plus haut, parfaitement convaincus qu’ils accomplissent un devoir patriotique. Ils remplissent une double fonction, juges et bourreaux, mais ne se considèrent en aucune façon comme des criminels.

Pénétrés de l’importance de leur devoir, ils commencent par former une sorte de tribunal, et immédiatement apparaissent l’esprit simpliste, et l’équité non moins simpliste des foules. Vu le nombre considérable des accusés, on décide tout d’abord que les nobles, les prêtres, les officiers, les serviteurs du roi, c’est-à-dire tous les individus dont la profession seule est une preuve de culpabilité aux yeux d’un bon patriote, seront