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PSYCHOLOGIE DES FOULES

l’approche, je suis prêt à trembler comme un enfant, et il me ferait passer par le trou d’une aiguille pour me jeter dans le feu. »

Napoléon exerça la même fascination sur tous ceux qui l’approchèrent[1].

Davoust disait, parlant du dévouement de Maret et du sien : « Si l’Empereur nous disait à tous deux : Il importe aux intérêts de ma politique de détruire Paris sans que personne en sorte et s’en échappe, Maret garderait le secret, j’en suis sûr, mais il ne pourrait s’empêcher de le compromettre cependant en faisant sortir sa famille. Eh bien, moi, de peur de le laisser deviner, j’y laisserais ma femme et mes enfants. »

Il faut se souvenir de cette étonnante puissance de fascination pour comprendre ce merveilleux retour de l’île d’Elbe ; cette conquête immédiate de la France par un homme isolé, ayant devant lui toutes les forces organisées d’un grand pays, qu’on pouvait croire lassé

  1. Très conscient de son prestige, Napoléon savait qu’il l’accroissait encore en traitant un peu moins bien que des palefreniers les grands personnages qui l’entouraient, et parmi lesquels figuraient plusieurs de ces célèbres conventionnels qu’avait tant redoutés l’Europe. Les récits du temps sont pleins de faits significatifs sur ce point. Un jour, en plein conseil d’État, Napoléon rudoie grossièrement Beugnot qu’il traite comme un valet mal appris. L’effet produit, il s’approche et lui dit : « Eh bien, grand imbécile, avez-vous retrouvé votre tête ? » Là-dessus, Beugnot, haut comme un tambour-major se courbe très bas, et le petit homme, levant la main, prend le grand par l’oreille, « signe de faveur enivrante, écrit Beugnot, geste familier du maître qui s’humanise ». De tels exemples donnent une notion nette du degré de basse attitude que peut provoquer le prestige. Ils font comprendre l’immense mépris du grand despote pour les hommes qui l’entouraient et qu’il traitait simplement de « chair à canon ».