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LES MENEURS DES FOULES

qui sait s’imposer à elle. Les hommes réunis en foule perdent toute volonté et se tournent d’instinct vers qui en possède une.

De meneurs, les peuples n’ont jamais manqué : mais il s’en faut que tous soient animés des convictions fortes qui font les apôtres. Ce sont souvent des rhéteurs subtils, ne poursuivant que des intérêts personnels et cherchant à persuader en flattant de bas instincts. L’influence qu’ils exercent ainsi peut être très grande, mais elle reste toujours très éphémère. Les grands convaincus qui ont soulevé l’âme des foules, les Pierre l’Ermite, les Luther, les Savonarole, les hommes de la Révolution, n’ont exercé de fascination qu’après avoir été eux mêmes d’abord fascinés par une croyance. Ils purent alors créer dans les âmes cette puissance formidable nommée la foi, qui rend l’homme esclave absolu de son rêve.

Créer la foi, qu’il s’agisse de foi religieuse, de foi politique ou sociale, de foi en une œuvre, en un personnage, en une idée, tel est surtout le rôle des grands meneurs, et c’est pourquoi leur influence est toujours très grande. De toutes les forces dont l’humanité dispose, la foi a toujours été une des plus grandes, et c’est avec raison que l’Évangile lui attribue le pouvoir de transporter les montagnes. Donner à l’homme une foi, c’est décupler sa force. Les grands événements de l’histoire ont été réalisés par d’obscurs croyants n’ayant guère que leur foi pour eux. Ce n’est pas avec des lettrés et des philosophes, ni surtout avec des sceptiques, qu’ont été édifiées les grandes religions qui ont gouverné le monde, ni les vastes empires qui se sont étendus d’un hémisphère à l’autre.