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éprouve quand on rencontre des Français à l’étranger. Rien n’est aussi triste. Le Français, hors de France, est dépaysé, incapable de répondre à quoi que ce soit[1].

Et pourquoi est-il si dépaysé ? Toujours pour la même raison, que n’ayant jamais appris à se diriger, il ne sait pas se conduire lorsque personne n’est plus là pour le guider. Il ne voit rien, ne sait rien, ne comprend rien. On peut le définir avec M. Payot, un emmuré :

On a appelé les aveugles du nom d’emmurés : mais nos élèves sont plus emmurés que les aveugles, qui eux, du moins, ne sont privés que d’un seul sens. À la suite de l’atrophie qui affaiblit progressivement les centres nerveux qui demeurent longtemps inactifs, ils finissent par être presque totalement privés de l’usage de leurs cinq sens[2].

Aussi, non seulement ne savent-ils pas se conduire, mais encore sont-ils incapables de toute réflexion. Le même auteur l’a exprimé devant la Commission dans les termes suivants :

lis ne savent pas penser personnellement parce qu’ils ont été toute leur vie d’écoliers victimes d’un bourrage qui les a rendus incapables de réflexion.

D’autre part, par ce procédé, on les dégoûte des lectures ; ils ne prennent aucun appétit pour les choses que nous leur enseignons. Ils sont dans la situation d’un enfant qu’on gaverait de nourritures[3].

Parmi les défauts artificiellement créés par notre misérable système d’éducation, un des plus curieux au point de vue psychologique, bien que des plus faciles à prévoir, est l’indifférence profonde qu’éprouvent nos jeunes gens pour le monde extérieur, indifférence égale à celle du sauvage à l’égard des

  1. Enquête, t. II, p. 681. R. Poincaré.
  2. Revue Universitaire, 15 avril 1899, J. Payot, inspecteur d’Académie.
  3. Enquête, t. II, p. 640. J. Payot.