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facile de saisir les relations, alors même que ces relations ne pourraient être traduites que par des équations d’une complexité extrême. Sans doute de telles lignes sont, elles aussi, des symboles, mais ces symboles figurés ont une clarté que les chiffres ou les lettres ne sauraient offrir à l’esprit[1].

Appliquée à la recherche des relations des diverses grandeurs entre elles, la méthode graphique possède sur l’expression algébrique et numérique une supériorité incontestable, et il serait fort utile de l’introduire dans l’enseignement des mathématiques élémentaires. On leur ôterait ainsi ce qu’elles ont parfois d’empirique et d’abstrait. Loin de développer l’aptitude à raisonner, les mathématiques, telles qu’on les enseigne, produisent souvent un résultat tout à fait contraire.

La plupart des raisonnements mathématiques sont d’ailleurs d’une très grande simplicité. C’est uniquement la difficulté de manier des formules, dont on ne saisit pas le sens pendant la série de leurs transformations, et l’impossibilité de considérer les choses en elles-mêmes, qui rendent ces formules d’un emploi

  1. On connaît les applications de la méthode graphique à la statistique. Elle a été aussi, bien que trop rarement, appliquée à l’histoire. Elle y remplacerait utilement bien des pages de littérature. Je citerai comme exemple de cette application le graphique construit autrefois par Minard et destiné à représenter les pertes de l’armée française dans la campagne de Russie de 1812. Il constitue la plus concise, la plus éloquente et la plus instructive des pages d’histoire que je connaisse. L’armée française, au moment où elle franchit le Niémen, est représentée par un ruban qui va en décroissant toujours dans la proportion des pertes qu’elle subit. La large bande du départ n’est plus qu’un mince filet au retour. Ce tableau montre tout de suite combien sont erronées les idées qu’on se fait souvent de cette campagne, en répétant que ce sont les froids et la neige qui anéantirent la Grande Armée. La vérité est que plus des trois quarts en étaient détruits avant que la retraite fût commencée. Des 422 000 hommes qui franchirent le Niémen, et dont 10 000 à peine devaient le revoir, 322 000 hommes étaient morts avant d’arriver à Moscou, et, quand les grands froids commencèrent, des 100 000 repartis de Moscou, il en restait à peine la moitié. Le froid n’eut donc à sévir que sur des débris, et sans son action, la campagne n’en fût pas moins restée un des plus grands désastres des temps modernes.