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rables ballets » comme d’œuvres d’art anéanties depuis des siècles : « C’était un art nouveau qui est mort avec ce grand homme. »

Stendhal ne faisait que partager l’opinion générale alors en Italie. Les journaux étaient pleins des louanges prodiguées à l’illustre chorégraphe. Ce n’étaient que sonnets hyperboliques à sa gloire, que lettres critiques détaillant toutes les beautés de ses spectacles et expliquant le sens caché des allégories[1]. Enthousiasme excessif ? Le ballet de Viganô est salué par les contemporains comme le point de départ d’un art magnifique et entièrement nouveau. Aussitôt après sa mort tous constatent l’irrémédiable décadence de la chorégraphie en Italie.

Stendhal s’efforçait de faire comprendre à ses amis parisiens l’abîme qui séparait Viganô des autres maîtres de ballet : « Vous jugez de Viganô par Gardel, c’est exactement comme si vous jugiez de Madame Catalani par Mademoiselle Arnaud ou de Raphaël par David ou de Canova par M. Lemot... Tout homme qui a un succès immense dans sa nation est remarquable aux yeux du philosophe. Je vous dis que Viganô a eu ce succès. Par exemple on payait quatre mille francs par an les compositeurs de ballets ; lui a quarante-quatre mille francs pour 1819... Si Viganô trouve l’art d’écrire les gestes et les groupes, je maintiens qu’en 1860 on parlera plus de lui que de Madame de Staël, donc j’ai pu l’appeler grand homme[2]... »

Stendhal d’ailleurs ne se dissimule pas la difficulté qui se rencontre à donner les raisons de son admiration. Il envoie à ses amis des scénarios, mais en même temps prend soin de les avertir qu’ils ne pourront se faire en les lisant la moindre idée de l’art de Viganô : « Vous y voyez par exemple dans Otello « Les Sénateurs expriment leur étonnement », mais comment ? Voilà le talent de ce grand homme. Il a observé admirablement les gestes humains[3]... "Parlant de la Vestale, Stendhal écrit le 15 juillet 1818 : « C’est aussi fort que le plus atroce Shakespeare. C’est un art dont on ne

  1. Voir notamment la série des Lettere critiche du doct Giulio Ferrario sur Prométhée (1813), sur Mirra, Dedalo et Otello (1818), sur la Vestale (1818) et la critique des Titans par Angelo Petracchi. Je possède un recueil factice de ces rares brochures que Ritorni cite partiellement.
  2. Lettre à De Mareste du 24 octobre 1818.
  3. ,Lettre du 3 septembre 1818 à de Mareste.