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élégant et pur, rappellent la sveltesse vigoureuse des jambes de Diane, la chasseresse virginale ; les rotules sont nettes, bien détachées et le genou est irréprochable ; ses jambes diffèrent beaucoup des jambes habituelles des danseuses, dont tout le corps semble avoir coulé en bas et s’y être tassé… »

Il s’excuse d’insister si longuement sur les jambes, mais elles sont bien dignes d’être amoureusement étudiées.

« Mademoiselle Elssler », continue-t-il dans son éloge, « a des bras ronds, bien tournés, ne laissant pas percer les os du coude et n’ayant rien de la misère de formes des bras de ses compagnes…

…Quant au caractère de la tête, nous avouons qu’il ne nous paraît pas aussi gracieux qu’on le dit. Mademoiselle Elssler possède de superbes cheveux qui s’abattent de chaque côté de ses tempes, lustrés, et vernissés comme deux ailes d’oiseau ; la teinte foncée de cette chevelure tranche un peu trop méridionalement sur le germanisme bien caractérisé de sa physionomie : ce ne sont pas les cheveux de cette tête et de ce corps…

…On a appelé Mademoiselle Elssler une Espagnole du Nord », constate-t-il en accentuant l’antithèse : « C’est son défaut. Elle est Allemande par le sourire, par la blancheur de la peau, la coupe de la figure, la placidité du front. Espagnole par sa chevelure, par ses petits pieds, ses mains fluettes et mignonnes, la cambrure un peu hardie de ses reins. Deux natures et deux tempéraments se combattent en elle… Elle est jolie mais elle manque de race ; elle hésite entre l’Espagne et l’Allemagne. Et cette même indécision se remarque dans le caractère du sexe : ses hanches sont peu développées, sa poitrine ne va pas au delà des rondeurs de l’hermaphrodite antique ; comme elle est une très charmante femme, elle serait le plus charmant garçon du monde. »

Sur quelques avis savants sur la coiffure et le sourire s’achève ce portrait qui nous paraît un document iconographique aussi peu négligeable que les lithographies de Grèvedon ou de Jentsen. C’est ce détail plastique minutieusement observé par un homme pour qui « le monde visible existe » (paroles de Gautier sur lui-même citées par les Goncourt) qui revêt l’image de la danseuse de ce caractère de vivacité et d’intimité.