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fragmentaires ou même contradictoires pour être résumées en passant. Il suffit de constater que la plupart de ses opinions sur le ballet et les danseuses sont établies sur l’antithèse des deux espèces-types de la danse : la danse voluptueuse et robuste, faite de beauté plastique et d’émotion passionnée incarnée par Fanny et la danse dans sa perfection abstraite, idéalisée et exangue de la Taglioni, « cet autre ange charmant de cieux imaginaires » (Banville).

Aussi les deux fameuses rivales sont-elles inséparablement opposées l’une à l’autre dans les colonnes de la Presse comme jadis les héros des Vies parallèles de Plutarque.

Dès 1836, Gautier non promu encore critique dramatique acclame dans une « chronique parisienne » Marie Taglioni comme « l’un des plus grands poètes de notre temps ». Stendhal compara Viganò à Shakespeare. Gautier place la sylphide aux côtés de Lamartine et de lord Byron. Mais le jour de son investiture il a fait son choix. Dans la retentissante querelle des deux ballerines il a pris parti.

« La danse de Fanny Elssler », affirme-t-il dans une page célèbre, « s’éloigne complètement des données académiques ; elle a un caractère particulier qui la sépare des autres danseuses ; ce n’est pas la grâce aérienne et virginale de Taglioni, c’est quelque chose de beaucoup plus humain qui s’adresse plus vivement aux sens.

« Mademoiselle Taglioni est une danseuse chrétienne... Elle voltige comme un esprit au milieu des transparentes vapeurs des blanches mousselines dont elle aime à s’entourer, elle ressemble à une âme heureuse qui fait ployer à peine du bout de ses pieds roses la pointe des fleurs célestes. Fanny Elssler est une danseuse tout à fait païenne... Quand elle se cambre hardiment sur ses reins et qu’elle jette en arrière ses bras enivrés et morts de volupté, on croit voir une de ces belles figures d’Herculanum ou de Pompéï qui se détachent blanches sur un fond noir et accompagnent leurs pas avec les crotales sonores...

... Sans doute, le spiritualisme est chose respectable ; mais, en fait de danse, on peut bien faire quelques concessions au matérialisme. La danse, après tout, n’a d’autre but que de montrer de belles formes dans