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Le destin de la danse est d’être enfin la servante de la musique. En musique, comme en tout, c’est le poème qui compte le plus.

Tout tourne en film et en ballet. Film et ballet sont les deux conquêtes de l’art par la plèbe. Le ciné tend à remplacer le drame et la comédie. Le ballet se substitue à la tragédie en vers et au drame lyrique. Il n’y a pas de plus cruel abaissement. Les gestes sont le signe du sauvage. Partout où l’image tient lieu de la parole, la matière évince l’esprit.

Les pauvres multitudes sont ravies de ne point penser, et de n’avoir même pas à faire le moindre effort d’imagination. On leur sert Bérénice sans vers et sans nuances : l’anecdote est tout ce qu’il leur faut. Les foules de l’élite sont à peine moins grossières : des Mille et Une Nuits, on leur fera une galerie de peintures persanes ; et demain, on leur offrira, en guise d’Hamlet, un carton d’estampes anglaises ou chinoises. Le ballet n’est rien de plus que le cinéma des riches.

IV

Le mime nu et réduit au seul langage des gestes est une forme puérile de l’art. La danse pure, aux rythmes simples et carrés, en est une forme sauvage et presque liée à l’instinct. Par contre, mime et danse à leur juste place, donnant le secours de la plastique et du mouvement à la musique et au poème, peuvent faire la plus belle et la plus riche des œuvres d’art.

À mon gré, la symphonie seule n’y suffit pas. J’y voudrais aussi des voix récitantes et des chœurs. Il y faudrait le goût le plus sobre et l’expression la plus concise : le moins de paroles qu’il se pût, et du sens le plus essentiel ou le plus fécond en résonances, en échos pensants.

La musique aspire à cette forme suprême, comme à sa délivrance. Le poème symphonique l’annonce. Le jeu scénique n’ajoute rien aux grandes fresques de Wagner : il les gâte plutôt, parce qu’il les ravale à la taille et à la présence des interprètes. On n’a pas besoin de voir les ondines, ni les nains, ni les géants, qui sont toujours de pauvres hères et toujours ridicules. On entend mieux les voix, quand on ne voit point les corps. S’il dépouille le comédien, le chanteur n’en est que plus fidèle à la musique. Le bon serait que l’on vît de belles figures mimer les êtres