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au second acte, car ces messieurs du Jockey, qui protègent ces dames, n’arrivaient jamais pour le premier ».

Il garda de l’aventure une telle rancœur que, dans son factum dramatique Une Capitulation, où il déverse toutes ses haines, il ne peut retenir deux pauvres répliques qui prétendent stigmatiser, comme une tare indélébile, le goût des Parisiens pour les danses de l’Opéra[1]. Au déclin de l’âge, il redoutera encore, avec un comique effroi, que l’on ne vienne danser des ballets sur sa tombe[2].

Cette haine du ballet n’est donc point, à l’origine, d’essence exclusivement artistique. Les déboires personnels et, pour tout dire, le patriotisme y ont leur part. Cela est si vrai que Wagner n’a point scrupule à faire exception pour les ballets viennois et berlinois. On reste stupéfait devant les louanges inattendues qu’il décerne, en 1861, à un ballet du temps : La comtesse Egmont[3]. D’après l’analyse qu’il en donne, le livret est proprement imbécile. Mais tout le monde y trouve son compte : le maître de ballet Rota est plein de goût, la danseuse Conqui a du génie, les divertissements sont excellents, les décorateurs étonnants, l’ensemble est magistral et le directeur mérite qu’on l’embrasse. Enfin cet enthousiasme ne recule pas devant les mots d’extase et de sublime. Bien plus, le ballet de Vienne et de Berlin — qui l’eût cru? — est une école profitable pour les chefs d’orchestre. C’est par lui que ceux-ci peuvent acquérir la précision qui trop souvent leur manque[4]. Car alors « c’est une main unique qui meut toutes les parties du spectacle, la main du maître de ballet ». C’est ce maître qui prescrit à l’orchestre les mouvements à suivre et qui les intègre dans le rythme général du spectacle, donnant à l’auditeur une sensation bienfaisante d’équilibre qui ne se rencontre pas dans les exécutions d’opéras.

  1. Au moment où Lefèvre annonce la trahison de Trochu, le chœur hurle : Trahison ! Trahison ! Faites donner l’artillerie ! Nous voulons de l’opéra, et surtout du ballet. Et plus loin après l’allocution grotesque de Hugo qui parle des rats : Quoi ? Des rats ? Des rats ? Et pas d’opéra ? Et pas de ballet ?
  2. Introduction à l’an 1880 (p. 30).
  3. L’Opéra de la cour de Vienne (p. 292).
  4. Sur l’art de conduire l’orchestre (p. 325).