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COULEUR DU TEMPS

qu’ils ressentaient l’un pour l’autre ne sera-t-il pas affaibli par ces distractions, ces joies, ces intérêts qui, dans des lieux divers, vont les occuper séparément ?

Alors, quand ils se retrouveront, l’automne venu, sans amertume, se sentant détachés intérieurement, ils laisseront entre eux le vide s’élargir. Ils n’auront point de peine. Pourtant, quand leurs cœurs battaient à l’unisson, ils souffraient à penser qu’un événement quelconque pourrait les désunir. Et attirés ailleurs, voilà qu’ils ne songeront même plus à revivre en rêvant cette époque passée ; ils l’aboliront, captivés par d’autres tendresses.

Bien plus tard, dans vingt ans, dans trente ans, Jean et Lucette, qui se seront perdus de vue, se retrouveront peut-être un soir, — ayant des cheveux gris et de grands enfants ! Ils renouvelleront connaissance, effleureront leur temps d’hier, puis, tout de suite, se raconteront leur présent, s’informeront de leur état, de leur famille. Chacun paraîtra fier de son lot. S’ils badinent sur leur petite fleur bleue de jadis, ce sera sans un soupçon de regret ; ils auront plutôt l’air de rire d’une frasque d’écoliers.

Le passé meurt trop bien. Mais si la grande fille de Jean ou de Lucette, témoin, les écoute, et qu’elle ait déjà médité sur les indifférences