Page:LeNormand - Couleur du temps, 1919.djvu/66

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le vent


Le vent séjourne à la ville, ce jeudi. Il est arrivé avec la nuit d’hier, s’annonçant par la foudre ; puis, il a commencé ses sarabandes, sifflant, hurlant, secouant les mâts, déchirant les auvents, faisant craquer les portes et trembler les vitres des maisons. Toute la journée, il s’est promené en souverain impétueux, en tyran ; il a forcé les arbres à des révérences continuelles, et les petites branches à des danses folles. Les feuilles neuves se sont dépliées, arrachées à leur tige comme elles commençaient seulement à regarder la vie. L’herbe souple, tendre, verte, a frissonné sans cesse… Le vent passe, qu’on s’incline !

Il bouscule le monde, gonfle les jupes, tire les chapeaux, met le désordre dans les chevelures de femmes. Si vous marchez sous sa poussée, vous courez malgré vous. Si vous allez à sa rencontre, il se moque, vous abreuve de poussière, vous fait mal aux yeux avec des miettes de pierres, et brusquement vous arrête, vous étouffe. Vous restez un moment sans avancer. Vous faites volte-face. Il vous donne un grand coup dans le dos, et vous voilà qui retournez de force sur vos pas. Il siffle un ricanement, il s’adoucit,