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En ressassant le passé


Jeanne s’approche du sofa où nous sommes assises Berthe et moi, et la veillée commence. La maison est silencieuse. Seules, libres de parler du passé, du présent ou de l’avenir, nous parlons du passé. Ne demandez jamais à des jeunes filles qui se sont connues et aimées sur les bancs d’une classe, de quoi elles causent à chaque revoir ; elles ressassent les inévitables souvenirs de couvent. Ainsi, nous réveillons des heures mortes. Le rappel de nos espiègleries fait monter dans nos yeux les larmes du fou rire. Berthe raconte des faits : je revois des scènes. Pourquoi, un certain soir d’automne, à quatre heures, mes compagnes parties, étais-je encore en classe avec « Mère » à recevoir des remontrances ? Quel crime de lèse-majesté avais-je pu commettre ou quelle étourderie ? J’ai mon sac en bandoulière. Je le taquine, impatiente de m’échapper. J’en tourne et détourne les courroies, je suis debout près de la tribune. Je n’entends plus les paroles sages qui me furent dites ce jour-là. Les ai-je seulement une fois écoutées ? La classe s’obscurcit. Je devrais réfléchir. Mais à trois reprises, Berthe vient entrebâiller la porte, y passe sa