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COULEUR DU TEMPS

Les revers, les malheurs et les péchés d’autrui semblent toujours avoir pour la commère le plus grand intérêt, et vous seriez tenté de croire qu’ils sont sa plus complète jouissance ; quoiqu’elle ait cependant la précaution de ponctuer ses commentaires de : « C’est ben d’valeur, des affaires comme ça ! »

La commère parle-t-elle d’une voisine qu’elle n’aime pas ? Il faut l’entendre critiquer. D’une bourrasque de paroles vives, elle fait le procès de l’accusée. Ses rancunes énumérées, elle s’arrête brusquement ; puis, le visage obscurci de sous-entendus, elle reprend : « Si c’était toute ! mais elle en a un aut défaut, un défaut ! »

Les lèvres pincées, elle regarde autour d’elle, lève les épaules, secoue son chapeau, si elle l’a. Un instant, elle savoure l’effet produit, la curiosité éveillée chez son entourage. Ensuite elle continue : « Oui, un gros, un gros défaut ! … Elle sent mauvaise de la bouche, c’est effrayant ! » Et les autres commères qui l’écoutent s’exclament, comme devant la révélation d’un crime, l’œil scandalisé : « Pas vrai ! pas vrai ! »

Hélas, la commère a parfois des conversations plus sérieuses, et alors il lui arrive d’être cynique à force de réalisme, et parce qu’elle traite avec une tranquillité absolue de sujets auxquels jamais vous ne pensez, ou qui, discutés devant vous, brûlent votre sensibilité comme au fer rouge.