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La poupée


Dans un coin de la chambre, sur une table de toilette, entre un coffret à rubans et quelques livres, la poupée est assise. Elle appuie sa tête brune sur le mur, et regarde droit devant elle, un sourire léger et éternel à sa bouche corail. Ses yeux sont clairs, presque profonds. Ses joues de porcelaine sont rondes comme celles d’un bébé. Son immobile expression est grave. On dirait qu’elle songe ; on dirait qu’elle s’ennuie. Pendant que sa petite maman s’habille, je la regarde et elle me dit :

« Pensez donc, mademoiselle, je suis ici, dans le même coin, depuis je ne sais combien de temps. Je ne remue pas. On ne me sort jamais. Je suis triste. Regardez ma maman qui s’arrange les cheveux. Dans le miroir, elle me voit et elle ne songe même pas à me sourire. Je ne comprends pas son indifférence. Elle m’aimait. Elle passait des heures à me parer, à me cajoler, à m’embrasser. Elle me mettait des boucles roses ou bleues dans les cheveux, et j’avais des toilettes de princesse. Maintenant, on m’a tout enlevé. Il fait froid. J’ai toujours cette robe de mousseline qui est fanée. J’avais des gilets en laine blanche autrefois, j’avais même des