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COULEUR DU TEMPS

sur une vie remplie, et bonne en dépit des épreuves qui passent. D’autres fois, j’ai peur d’avoir une existence unie, toujours pareille, et qui m’ennuie d’avance, tellement, que j’aimerais autant ne pas la continuer, si je savais. Et illogique, je veux savoir malgré tout.

Mais mon esprit chrétien réprouve et combat cette façon d’anticiper sur les peines possibles. Il est mal qu’une déception nous abatte, qu’on soit affligé à l’extrême pour rien, parce que, par exemple, on souffre des défauts des amitiés humaines. Ces heures-là sont des méchantes.

Quand elles passent, je ne cesse pourtant pas de songer aux années qui viennent. Je vois à la loupe les désillusions qui ont meurtri ceux qui sont plus âgés que moi ; j’aperçois les modifications qu’a dû subir leur idéal, l’amoindrissement moral et intellectuel qui paraît leur être venu avec les années. Et je bondis en moi-même, je me révolte, je ne veux pas d’une destinée semblable. On dirait alors que j’ai oublié le soleil du bon Dieu. Je rumine, je médite, je me reprends de plus belle à désirer savoir ce que je ferai, ce que je réaliserai de mes rêves, ce que j’accomplirai d’actions utiles à mon pays et à mon âme. Mais ma méditation est violente, orageuse, impatiente. Je suis comme le petit enfant qui frappe du pied et crie avec ténacité : « Montrez-moi cela ! Je veux, je veux ! »