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COULEUR DU TEMPS

fut s’installer dans la pleine lumière d’une fenêtre, et au soleil elle tricota, elle tricota. Le crochet d’argent cependant n’allait pas avec une agilité admirable : les doigts de la novice s’y crispaient ; cela, croyez-le, n’empêchait pas les rêves ; et dans l’idée de la tricoteuse, les verges de dentelles s’allongeaient, s’allongeaient ; elle avait déjà tout un trousseau garni, grâce à ses doigts de fée !

L’heure du dîner vint. L’ardeur n’était pas éteinte. On s’inquiéta dans la famille. On tenta de modérer un enthousiasme qui pouvait devenir funeste. Rien ne découragea, rien ne dissuada la tricoteuse qui reprit la dentelle, sans s’accorder une heure pour digérer ; et les doigts péniblement se crispèrent de nouveau à l’effort.

Il faisait beau dehors, un jour clair à tenter la tricoteuse enragée qui, de sa nature ordinaire, était plutôt une trotteuse. Elle ne se laissa pas séduire par le soleil ; le vit-elle seulement ? Elle ajoutait maille à maille, ne se dérangeant pour rien, refusant de lever les yeux si par hasard on lui disait : viens voir ceci ou cela.

À six heures, elle avait une crampe au poignet. Elle le constata étonnée. On lui conseilla d’abandonner la dentelle ; c’était assez pour un seul jour. Elle eut l’air de consentir, mais la