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COULEUR DU TEMPS

apparaît pas davantage. Nous croyons à leur passé, certes, nous ne pouvons pas sensément ne pas y croire, mais nous le concevons difficilement.

En face du cher visage de ma marraine jeune fille, devant ses grands yeux qui furent si beaux et que je n’ai jamais vus autrement que diminués et changés par l’âge, son passé me saisit, réalité empoignante, et j’aperçois le temps comme s’il était palpable. Je sens son étreinte et que sa griffe va me lacérer comme elle en a lacéré d’autres avant moi, comme elle en lacérera d’autres après.

Cependant, à côté du médaillon d’acajou où sourit la bouche fine de ma marraine jeune, dans un paysage d’été pose un bébé en robe blanche, une enfant de trois ans, vigoureuse, saine et belle. Cette fillette fait partie des nombreux petits descendants de la chère morte. Et je songe que parmi ceux qui viendront encore et qui continueront sa race, il y aura peut-être un jour une enfant qui aura exactement ses yeux, son visage, ses lèvres malicieuses, son grand cœur, son intelligence d’or.

C’est la revanche sur le temps des grand’mères qui meurent, de ressusciter ainsi.