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AUTOUR DE LA MAISON

famille, et l’élan pieux des âmes montait tout droit vers le bon Dieu, avec la fumée blanche qui portait vers là-haut les paroles de supplication confiante.

Elle était la chaleur de la maison, la bonne chaleur que l’on cherche au retour du dehors gris de l’automne, au retour des sorties de l’hiver, aux fortes bordées de neige, aux rudes poudreries. Qu’elle a dû sécher de mitaines et de tuques d’enfants ! Qu’elle a dû voir d’hommes, rouges de froid, les vêtements et les moustaches enneigés, se pencher vers elle, frottant leurs mains que l’onglée piquait, et proclamant « la bonne flambe ! » Qu’elle a dû animer de scènes de famille, tranquilles ou bruyantes, gaies ou tristes ! Elle a vécu plus de cent ans d’une vie intense et lumineuse, promenant sur les mêmes meubles, sur les mêmes cadres, sur les mêmes faïences, ses lueurs jaunes ; taquinant les choses de sa flamme voltigeante et légère, qui montait et baissait, prenait des airs penchés, des airs de se mourir et se ranimait tout à coup en une fusée d’étincelles et de reflets… Toujours elle variait ses crépitements et son feu. Elle était belle et bonne, et pourtant, un jour, on l’a fermée et jamais plus ensuite on n’a essayé de la rallumer. On l’a tuée malgré elle, pour un sale gros poêle noir dont elle héberge les combustibles !