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AUTOUR DE LA MAISON

XXXII


Par un neigeux dimanche, nous étions plusieurs petites filles jouant à la poupée, dans la chambre de tante Estelle. Marie, Lucette, Jeanne faisaient les dames, se racontaient des commérages, en se pinçant les lèvres avec des airs gesteux. Moi, dans un coin, sur une petite chaise berçante, j’étais en extase, un bébé dans les bras…

Marie m’avait prêté sa poupée blonde, une poupée articulée vêtue de dentelles, aux yeux bleus qui se fermaient, aux joues roses, aux cheveux de soie frisée. C’était une faveur insigne de l’avoir sur mes genoux, un événement imprévu, un bonheur si grand que j’en étais toute rêveuse et la regardais en la berçant doucement, avec une passion un peu triste, parce qu’elle était belle, que je l’aimais et qu’elle n’était pas à moi. À tout instant, je posais mes lèvres sur son front. Je la baisais longuement et réchauffais la porcelaine de l’ardeur qui était en moi.

Pendant que les petites amies bavardaient sans cesse : « Oh ! madame, c’est épouvantable comme mon enfant est mal élevée ! » ou bien : « C’est effrayant, ma petite manque de mourir tous les jours d’une bronchite ! » moi, je continuais d’admirer silencieusement. Je ca-