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LES ÉMOTIONS


— D’UN —


CHASSEUR EUROPÉEN À DESCHAMBAULT.


Par une sereine après-midi de juin 187—, je péchais de la truite sur le lac Saint Charles, en compagnie de mon vieil ami, feu Charles Panet, membre pour le comté de Québec ; nous avions pour canotier, une des célébrités de l’endroit — le vieux Gabriel.

Le canot venait de franchir l’entrée de la baie de l’Écho, au haut du lac ; une fraîche haleine nous arrivait des gorges verdoyantes des Laurentides. L’astre du jour sur son déclin inondait d’une trainée lumineuse, la surface azurée du beau lac, tandis qu’un petit air de vent nous poussait insensiblement vers la plage. Près d’une pointe couverte de joncs, se dessinait sur l’onde la silhouette d’un huard, reflétant sa riche livrée de velours noir, ondée de perles : la brise nous amenait de temps à autre ses accents plaintifs comme les vagissements d’un enfant. Sur une branche sèche d’une épinette qui surplombait l’eau, reposait, sentinelle avide et vigilante, un martin-pêcheur, en quête de goujons, tandis qu’un wawaron[1] énorme (le lac est fameux pour ces grosses grenouilles mugissantes)

  1. Rana mugiens : les anglais la nomment Bull-Frog.