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PICOUNOC LE MAUDIT.

jeu des mauvaises langues, car les visites du bossu devinrent bien fréquentes, et Madame allait acheter souvent. Elle achetait sans doute peu à la fois. Le mari passait pour un bonhomme, un de ces hommes commodes qui ferment les yeux pour ne pas voir. Mais qu’avait-il besoin de regarder ? Madame se faisait conduire si souvent à l’église, et puis, elle était dans la soixantaine !

Victor Letellier avait été douloureusement surpris de voir l’indigence dans la maison de sa mère. À sa dernière vacance encore, il avait trouvé la demeure modeste enveloppée dans une atmosphère de paix et de félicité. Tout lui avait souri comme autrefois : les arbres feuillus et les fleurs du jardin, le seuil antique et le foyer solitaire. Le pain n’avait pas manqué sur la table, ni la gaîté dans le cœur de sa mère. C’est peut-être que l’écolier, que l’étudiant, fatigué des murs du collège qu’il ne peut franchir impunément, altéré de soleil, d’air et de liberté, se plaît, dans son exaltation, à revêtir, comme d’un nimbe lumineux, tous les objets qu’il a regrettés longtemps, et longtemps évoqués dans ses rêves. Depuis plu-