Page:LeMay - Essais poétiques, 1865.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ÉVANGÉLINE
41

C’est alors que l’on vit, au bord des sombres flots,
Un spectacle navrant. Les grossiers matelots,
En entendant les cris des malheureuses femmes,
Plus gaîment replongeaient dans les ondes leurs rames :
Par d’horribles jurons les soldats insolents
Des prisonniers craintifs hâtaient les pas trop lents.
L’époux désespéré parcourait la pelouse,
Cherchant, de toutes parts, sa malheureuse épouse.
Les mères appelaient leurs enfants égarés,
Et les petits enfants allaient, tout effarés,
Pareils à des agneaux cherchant leurs tendres mères !
Femme, cesse tes pleurs et tes plaintes amères :
Car tes pleurs seront vains et tes cris superflus !
Ton enfant bien-aimé tu ne le verras plus !
Et toi, petit enfant, tu commences la vie
Et déjà pour jamais ta mère t’est ravie !
On sépare, en effet, les femmes des maris ;
Les frères de leurs sœurs ; les pères de leurs fils.
Sur le sein de sa mère en vain l’enfant s’attache,
Aux baisers maternels un matelot l’arrache,
Et l’emporte, en riant, jusqu’au fond du vaisseau,.
Quels soupirs ! quels transports ! quels cris, ô Gasperau,
S’élevèrent alors de ta rive tranquille !
Le jeune Gabriel et son père Basile,
Sur deux vaisseaux divers, furent ainsi traînés,
Tandis qu’auprès des flots restèrent enchaînés
Benoît et son enfant, la douce Evangéline.
Le soleil disparut en dorant la bruine.
La nuit vint de nouveau ; mais tout n’était pas fait.
La moitié des captifs sur la grève restait.
A son tour, l’océan, onduleux et limpide,
Reflua vers son lit, laissant le sable humide