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ÉVANGÉLINE

La jeune Evangéline attendait les captifs.
Comme le bruit des flots qui heurtent les récifs
Elle entendit leurs pas sur la terre durcie.
À leur touchant aspect son âme fut saisie
D’un pénible tourment, d’une affreuse douleur.
Elle voit Gabriel ! quelle étrange pâleur
Sur sa noble figure, hélas ! s’est répandue !
Elle vole vers lui, frissonnante, éperdue,
Presse ses froides mains : « Gabriel ! Gabriel !
« Ne te désole point ! soumettons-nous au ciel :
« Il veillera sur nous ! Et que peuvent les hommes,
« Que peuvent leurs desseins contre nous si nous sommes
« L’un et l’autre toujours unis par l’amitié ! »
Sur ses lèvres de rose, à ces mots de pitié,
Avec grâce voltige un triste et doux sourire ;
Mais voici que soudain sa chaste joie expire,
Elle tremble et pâlit. Au milieu des captifs
Elle voit un vieillard, dont les regards plaintifs
Se reposent, de loin, avec amour, sur elle :
Ce vieillard, c’est son père ! Une peine mortelle,
Un profond désespoir ont altéré ses traits !
Il porte sur son front la trace des regrets :
On ne voit plus le feu jaillir de sa paupière :
Son humble vêtement est couvert de poussière.
Lui jadis si joyeux il est tout abattu !
Il paraît dépouillé de force et de vertu.
Parmi ses compagnons tristement il chemine ;
Il pleure en regardant sa chère Evangéline.
Puis elle, avec transport, se jette dans ses bras.
Le couvre de baisers, et s’attache à ses pas :
Mais sa voix adorable et sa vive tendresse
Du vieillard désolé calment peu la tristesse !