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ÉVANGÉLINE

Tombent, une par une, au pied de l’arbrisseau ;
Qu’on n’entend plus couler le limpide ruisseau ;
À l’horizon de flamme un point sombre, un nuage,
Portant dans son flanc noir le tonnerre et l’orage,
S’élève tout à coup, grandit, grandit toujours.
Le soleil effrayé semble hâter son cours :
Il règne dans les airs un lugubre silence :
Le ciel est noir ; l’oiseau vers ses petits s’élance ;
Et la cigale chante et l’air est étouffant ;
Le tonnerre mugit ; le nuage se fend ;
Le ciel vomit la flamme ; et la pluie et la grêle
Sous leurs fouets crépitants brisent l’arbuste frêle,
Et le carreau de vitre, et les fleurs et les blés.
Dans un des coins du clos un moment rassemblés,
Les bestiaux craintifs laissent là leur pâture —
Puis bientôt en beuglant, ils longent la clôture
Pour trouver un passage et s’enfuir promptement.
Des pauvres villageois tel fut l’étonnement
À cette heure fatale où le cruel ministre
Eut sans honte élevé sa parole sinistre.
Ils courbèrent le front sous le poids du malheur ;
Ils restèrent muets de peine et de terreur.
Mais bien vite au penser de ce sanglant outrage,
S’alluma dans leur âme une bouillante rage :
Vers la porte du temple ils s’élancèrent tous.
C’est en vain toutefois qu’ils redoublent leurs coups :
Elle ne s’ouvre point ! Des soupirs, des prières,
Des imprécations et des menaces fières
Font bien haut retentir en cet affreux moment
Le lieu de la prière et du recueillement.
Tout à coup dans la foule on vit le vieux Basile,
Frémissant, agité comme un bateau fragile