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ÉVANGÉLINE


III


Comme un frêle aviron aux mains des matelots,
Ou comme le filet dans le ressac des flots
Le notaire Leblanc était courbé par l’âge :
Son œil était serein et son front sans nuage :
Des mèches de cheveux déjà rares et gris,
Comme les touffes d’or des épis de maïs,
Tombaient sur son épaule. Il portait des lunettes ;
Ses lèvres n’étaient pas d’ordinaire muettes,
Car il aimait beaucoup à faire des récits.
Père de vingt enfants, plus de cent petits-fils,
Jouant sur ses genoux, égayaient sa vieillesse —
Par leur charmant babil, et par leur gentillesse.
Pendant la guerre il fut, comme ami des anglais,
Quatre ans tenu captif dans un vieux bourg français.
Maintenant il avait une grande prudence
Et la simplicité de la naïve enfance.
C’était un bon ami : les enfants l’aimaient tous
Car il leur racontait contes de loups-garous,
Et d’espiègles lutins faisant au ciel des niches ;
Il leur disait le sort qu’avaient les blancs Létiches,
Enfants morts sans baptêmes, esprits mystérieux
Qui voltigent toujours cherchant partout les cieux
Et de l’enfant qui dort viennent baiser les lèvres ;
Comment une araignée éloigne toutes fièvres,