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LE BAISER FATAL

ses idées, de ressaisir la trame de sa douce existence.

Le plus souvent elle entrait, et si la ménagère était seule, elle demandait un verre d’eau, buvait une gorgée et poursuivait sa course. Quand le maître n’était pas sorti, elle se disait fatiguée et acceptait une chaise. Bientôt ses yeux bleus s’allumaient au fond de sa figure tout à l’heure impassible, et sa bouche, amèrement triste, se fermait dans un sourire navrant. Elle buvait l’ivresse sans souci du réveil prochain. Elle ne songeait plus au départ tant qu’il restait là, lui, l’homme aimé.

Or, cet homme était mon ami Graindamour, le chanceux dont je vous ai parlé déjà. Madame Graindamour ne s’était jamais montrée jalouse de ces singulières attentions d’une folle. Elle se plaisait même parfois à attiser la flamme inconsciente mais redoutable qui consumait l’âme de l’ancienne amie de son mari. Pauvre âme souffrante, elle ressemblait à l’épave en feu que ballottent les vagues de la mer, au milieu de