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organisés de semblable façon, et cependant, sauf quelques rares cas l’antiprotestantisme ne sévit pas en France, non plus que l’anticatholicisme en Allemagne, où, à leur tour, les catholiques sont une puissante minorité.

Il y a donc une autre cause. Oui, et cette cause est capitale. Les Juifs sont bien une minorité, comme les protestants français, comme les catholiques allemands, mais les protestants en France et les catholiques en Allemagne sont une minorité nationale, tandis que les Juifs sont considérés comme une minorité étrangère et nous ne nous trouvons pas uniquement en présence d’une lutte entre les formes du capital, d’une concurrence entre les possesseurs capitalistes, mais encore nous assistons à une lutte entre le capital national et un capital regardé comme étranger. C’est la permanence de la séculaire lutte. Elle a commencé dans l’antiquité, alors que les villes ioniennes « voulurent obliger les Juifs établis dans leurs murs à renier leur foi ou à supporter le poids des charges publiques[1] », elle s’est perpétuée pendant tout le moyen âge, alors que les Juifs apparurent dans les sociétés naissantes comme un peuple qui avait crucifié Dieu, et quand on s’aperçut que cette tribu étrangère avait capté le capital. Lorsque naquit le commerce chrétien, il voulut, lui aussi, écarter un concurrent qui lui semblait d’autant plus dangereux qu’il n’était pas « autochtone » ; il y arriva

  1. Th. Mommsen. Histoire romaine (traduction Cagnat et Toutain), t. XI, p. 63, (Paris, 1889.)