Page:Lazare - L’Antisémitisme, 1894.djvu/301

Cette page a été validée par deux contributeurs.

des habitudes, des coutumes pareilles, ils furent assujettis aux mêmes lois, civiles, religieuses, morales ou restrictives ; ils vécurent dans de semblables conditions ; ils eurent dans chaque ville un territoire, ils parlèrent la même langue, ils jouirent d’une littérature, ils spéculèrent sur les mêmes idées, idées persistantes et très anciennes. Cela déjà suffisait pour constituer une nation. Ils eurent mieux encore : ils eurent la conscience qu’ils étaient une nation, qu’ils n’avaient jamais cessé d’en être une. Quand ils quittèrent la Palestine, aux premiers siècles avant l’ère chrétienne, un lien toujours les relia à Jérusalem ; lorsque Jérusalem se fut abîmée dans les flammes, ils eurent leurs exilarques, leurs Nassis et leurs Gaons, ils eurent leurs écoles de docteurs, écoles de Babylone, écoles de Palestine, puis écoles d’Égypte, enfin écoles d’Espagne et de France. La chaîne traditionnelle ne fut jamais brisée. Toujours, ils se considérèrent comme des exilés et se bercèrent de ce songe du rétablissement du royaume terrestre d’Israël. Tous les ans, à la veille de Pâques, ils psalmodièrent du plus profond de leur être, par trois fois, la phrase consacrée : « Lechana aba Ierouchalaïm » (l’année prochaine à Jérusalem). Ils gardèrent leur vieux patriotisme, leur chauvinisme même, ils se regardèrent, malgré les désastres, malgré les malheurs, malgré les avanies, malgré l’esclavage, comme le peuple élu, celui qui était supérieur à tous les peuples, ce qui est la caractéristique de tous les peuples chauvins, aussi bien des Allemands que des