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facile de battre le Juif[1] ». Ainsi s’explique le pillage des riches commerçants, des opulents prêteurs juifs, parfois aussi, par ricochet, des misérables ouvriers israélites, et cela est assez poignant de voir ces déshérités se ruer les uns sur les autres au lieu de s’unir contre le tsarisme oppresseur.

La possibilité de l’union de ces deux misères est peut-être pressentie par ceux qui ont intérêt à engendrer et à perpétuer leur antagonisme et qui ont vu en effet, durant les troubles de 1881 et de 1882, les révoltés saccager et brûler bien des maisons chrétiennes. Après la mort d’Alexandre II, il devint urgent d’effacer de la mémoire des moujiks et des prolétaires le souvenir des tentatives libératrices des nihilistes. La révolution fut plus que jamais l’hydre et le dragon épouvantable contre lequel il fallait protéger la Russie sainte. On pensa y arriver par un retour aux idées orthodoxes. Tout le mal, disait-on, vient de l’étranger, de l’hérétique, de celui qui souille le sol sacré. C’était la théorie d’Ignatieff, c’est celle de Pobedonostsef et du Saint-Synode, celle sans doute de ce malheureux Alexandre III que la peur affole et que Pobedonostsef guide comme un enfant à l’esprit débile. On se précipita contre les Juifs, de même qu’on prit des mesures contre les Allemands, contre les catholiques, contre les luthériens, contre tous ceux qui n’étaient pas de race slave ou n’appartenaient pas à l’ortho-

  1. Tikhomirov : loc. cit.