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sous le nom de Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Il fut fondé par des religieux qui lui donnèrent leur nom. Cet ordre parait être le même que celui de ces moines nommés Pontifices ou faiseurs de ponts. Ce ne fut d’abord qu’une société qui prit naissance en Italie, au milieu du XIIe siècle, et dont tous les membres s’étaient voués à l’occupation pénible de faciliter aux pélerins le passage des rivières, en faisant eux-mêmes des bacs et des ponts pour cet usage. « Aussi, dit le P. Hélyot dont nous rappelons ici l’opinion, ces religieux portaient-ils, comme marque distinctive, un marteau brodé sur la manche gauche de leur habit. » Cet institut qui trouva de nombreux protecteurs, forma dans la suite une espèce de congrégation religieuse dont le chef-lieu fut le grand hôpital de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, situé dans le diocèse de Lucques, en Italie. Ces religieux avaient sans doute pris leur nom d’un endroit appelé Haut-Pas ou Maupas, situé sur la rivière d’Arno, où fut créé le premier établissement de leur ordre. Jaillot pense qu’ils vinrent se fixer à Paris à la fin du XIIe siècle. Ces hospitaliers ne pouvant rendre au pays qu’ils venaient d’adopter tous les services auxquels ils s’étaient obligés par leur institut, cherchèrent d’autres moyens d’être utiles. Ils élevèrent un hôpital où ils reçurent les pélerins des deux sexes et leur prodiguèrent tous les secours de l’humanité et de la religion. Malgré la suppression de cet ordre par Pie II, en 1459, et la réunion de ses revenus à celui de Notre-Dame-de-Bethléem, la considération dont il jouissait en France engagea les hauts dignitaires ecclésiastiques à demander leur conservation. Antoine Canu, qui en était commandeur en 1519, avait fait reconstruire l’hôpital et une partie de la chapelle. Au mois de juillet de cette année, elle fut dédiée sous l’invocation de Saint-Raphaël-Archange et de Saint-Jacques-le-Majeur. Les habitants des faubourgs Saint-Jacques et Saint-Michel se trouvant trop éloignés des églises Saint-Médard, Saint-Hippolyte et Saint-Benoît, leurs paroisses, désiraient depuis longtemps l’érection de la chapelle Saint-Jacques-du-Haut-Pas en succursale. L’official accéda à leur demande en 1566. L’hôpital se trouvait alors, à ce qu’il paraît, dans le domaine du roi ; on voit qu’en 1554 il fut destiné à recevoir les soldats blessés. Vers 1561, le roi en faisait acquitter les dettes. L’ordre de Saint-Jacques-du-Haut-Pas allait s’éteindre en France, lorsque Catherine de Médicis, en 1572, fit transférer à Saint-Jacques-du-Haut-Pas les religieux de Saint-Magloire. Cette translation qui ne s’opéra que difficilement, et contre le gré de ces moines, fit naître de nombreuses contestations, et amena un tel relâchement des principes constitutifs de cet ordre, que Pierre de Gondi, évêque de Paris et abbé de ce monastère, se crut obligé de recourir à l’autorité du parlement qui, par son arrêt du 13 février 1586, ordonna que cette abbaye serait réformée, et nomma deux commissaires à cet effet. La réforme eut d’abord quelque succès, mais le nombre des religieux diminua successivement, et à un tel point, que Henri de Gondi, cardinal de Retz, résolut d’y établir un séminaire, ainsi qu’il en avait déjà manifesté l’intention. Il obtint au mois de juillet 1618 des lettres-patentes qui autorisèrent la fondation de cet établissement. Le cardinal confia aux pères de l’Oratoire la direction du nouveau séminaire. On a vu sortir de cette école pendant près de deux siècles, des sujets les plus distingués ; plusieurs ont su obtenir et mériter les plus hautes dignités ecclésiastiques. Par une transaction passée le 7 mars 1620, les oratoriens convinrent de laisser les religieux de Saint-Magloire habiter leur ancienne maison, et d’accorder à chacun d’eux une pension de 414 livres, ainsi que la prébende de l’église Notre-Dame qu’on avait affectée à leur mense. Le dernier de ces religieux y mourut en 1669. Les bâtiments de l’ancien hôpital de Saint-Jacques-du-Haut-Pas avaient été en partie reconstruits par les oratoriens. L’église n’avait rien de remarquable. Le séminaire de Saint-Magloire, supprimé en 1790, devint propriété nationale. Une faible portion de ses bâtiments fut vendue les 2e jour complémentaire de l’an IV, et 24 germinal an VI. La presque totalité de cet établissement demeura dans les mains de l’État, qui affecta ces constructions aux Sourds-Muets.

2e Partie. Institution des Sourds-Muets.

Quelques essais avaient été tentés en Europe pour l’instruction de ces pauvres créatures. Pierre-Ponce et Jean Bonnet, en Espagne ; Wallis et Burnet, en Angleterre ; Emmanuel Ramirez de Cortone ; Pierre de Castro de Mantoue ; Conrad Amman, en Hollande ; Van Helmont, en Allemagne ; Pereire et Ernaud, en France, avaient instruit quelques sourds-muets isolément ; mais les travaux de ces premiers maîtres s’étaient arrêtés au bienfait d’une éducation individuelle, et n’avaient obtenu aucun de ces résultats que l’humanité proclame grands et utiles. En 1774, un homme sans protection, un prêtre sans bénéfice, s’efforçait de pénétrer dans l’âme du sourd-muet, de renverser la barrière que la privation d’un sens avait élevée entre lui et le reste des hommes. Il voulait créer à ces enfants une société où chacun pût apporter sa part d’intelligence à la ruche commune. Lui seul avait deviné toutes les ressources que le langage mimique pouvait offrir dans l’éducation des sourds-muets ; il s’empara de ce langage, l’étendit, le perfectionna, le construisit sur le modèle de nos langues conventionnelles, et le fit bientôt servir au développement intellectuel de ses élèves et à l’interprétation des mots. Une circonstance heureuse pour l’humanité révéla l’existence de l’abbé de l’Épée et de son intéressante école. Pendant son séjour à Paris, l’empereur Joseph II voulut assister aux leçons du vénérable ecclésiastique. Frappé d’admiration, il lui offrit une riche abbaye dans ses états. « Je suis déjà vieux, répondit de l’Épée, si votre majesté veut du bien aux sourds-muets, ce n’est pas sur ma tête déjà courbée vers la tombe qu’il faut le placer, c’est sur