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la rive droite les spectacles, les bazars, la bourse, le palais des rois, tout ce qui attire les marchands, les courtisans et les riches ; à la rive gauche les hôpitaux, les couvents, l’Université, tout ce qui étouffe l’industrie et le commerce. La rive gauche avait un établissement, un seul établissement, la foire Saint-Germain-des-Prés ; ce bazar, dans ses jours de splendeur, attirait trente mille étrangers à Paris, et maintenait une espèce d’équilibre commercial entre les deux parties de la capitale, que sépare le fleuve ; faute de protection, par l’incurie de nos administrateurs, il est détruit maintenant. Cette industrie, cette activité que vous répandez à profusion sur une partie de la capitale, déjà si généreusement dotée, c’est l’activité de tous, c’est l’industrie de tous que vous prélevez injustement. »

Ces plaintes, dont on apprécie maintenant toute la justesse, ne furent point écoutées ; et les trois galeries s’élevèrent sous la direction de Louis, architecte avantageusement connu par la construction du magnifique théâtre de Bordeaux. Les nouveaux bâtiments n’étaient pas complètement achevés, lorsque la révolution, qui grondait sourdement, éclata tout-à-coup. Le jardin du Palais-Royal devint le rendez-vous des agitateurs les plus exaltés ; là, se réunissaient des hommes ardents qui ne pouvaient supporter les formes imposées dans les districts. Des orateurs montaient sur des chaises, prenaient la parole, étaient sifflés ou portés en triomphe. Camille Desmoulins se faisait remarquer par la verve et l’originalité de son esprit. La Fayette avait de la peine à contenir ces rassemblements par des patrouilles continuelles, et déjà la garde nationale était accusée d’aristocratie. — « Il n’y avait pas, disait Desmoulins, de patrouille au Céramique. »

Dans la journée du 12 juillet 1789, ce jeune tribun exerça une grande influence sur la multitude en proposant de prendre les armes et d’arborer une nouvelle cocarde comme signe de ralliement. Camille nous raconte lui-même cette scène remarquable : « Il était deux heures et demie ; je venais sonder le peuple. Ma colère était tournée en désespoir. Je ne voyais pas les groupes, quoique vivement émus et consternés, assez disposés au soulèvement. Trois jeunes gens me parurent agités d’un plus véhément courage ; ils se tenaient par la main : je vis qu’ils étaient venus au Palais-Royal dans le même dessein que moi ; quelques citoyens passifs les suivaient : — « Messieurs, leur dis-je, voici un commencement d’attroupement civique, il faut qu’un de nous se dévoue et monte sur une table pour haranguer le peuple. » — « Montez-y ! » — « J’y consens. Aussitôt je fus plutôt porté sur la table que je n’y montai. À peine y étais-je, que je me vis entouré d’une foule immense. Voici ma courte harangue que je n’oublierai jamais :

» Citoyens, il n’y a pas un moment à perdre. J’arrive de Versailles ; M. Necker est renvoyé ; ce renvoi est le tocsin d’une Saint-Barthélemy de patriotes : ce soir tous les bataillons suisses et allemands sortiront du Champ-de-Mars pour nous égorger ; il ne nous reste qu’une ressource, c’est de courir aux armes et de prendre des cocardes pour nous reconnaître.

» J’avais les larmes aux yeux, et je parlais avec une action que je ne pourrais ni retrouver ni peindre. Ma motion fut reçue avec des applaudissements infinis. Je continuai : Quelle couleur voulez-vous ? — Quelqu’un s’écria : « Choisissez. » — « Voulez-vous le vert, couleur de l’espérance, ou le bleu Cincinnatus, couleur de la liberté d’Amérique et de la démocratie ! — Des voix s’élevèrent : « Le vert, couleur de l’espérance ! » — Alors je m’écriai : « Amis ! le signal est donné. Voici les espions et les satellites de la police qui me regardent en face. Je ne tomberai pas du moins vivant entre leurs mains. — Puis, tirant deux pistolets de ma poche, je dis : « Que tous les citoyens m’imitent ! » Je descendis étouffé d’embrassements ; les uns me serraient contre leur cœur, d’autres me baignaient de leurs larmes : un citoyen de Toulouse, craignant pour mes jours, ne voulut jamais m’abandonner. Cependant, on m’avait apporté un ruban vert ; j’en mis le premier à mon chapeau, et j’en distribuai à ceux qui m’environnaient. Mais un préjugé populaire s’étant élevé contre la couleur verte, on lui substitua les trois couleurs qui furent alors proclamées comme les couleurs nationales. »

Le surlendemain de cette scène, la Bastille s’écroulait sous les coups du peuple.

Mais il nous faut rentrer dans le Palais-Royal pour enregistrer d’autres faits.

Le 9 janvier 1792, Louis-Philippe-Joseph d’Orléans, pressé par ses créanciers, signait un concordat par lequel il s’engageait à faire vendre à leur profit, ceux de ses biens dont l’aliénation serait jugée nécessaire pour effectuer le remboursement intégral de leurs créances.

Nous ne suivrons pas le prince au milieu du tourbillon dans lequel son ambition l’avait jeté. Il siégeait dans cette terrible Assemblée qui n’accordait ni trêve ni merci. La noblesse de son nom d’Orléans pouvant nuire au tribun qui allait juger son roi, Louis-Philippe-Joseph en demanda le changement.

« Séance du 15 septembre 1792. — Sur la demande de Louis-Philippe-Joseph, prince français ; le procureur de la commune entendu ; le conseil-général arrête : 1o Louis-Philippe-Joseph et sa postérité porteront désormais pour nom de famille Égalité ; 2o le jardin connu jusqu’à présent sous le nom de Palais-Royal s’appellera désormais Jardin de la Révolution ; 3o Louis-Philippe-Joseph Égalité est autorisé à faire faire, soit sur les registres publics, suit dans les actes notariés, mention du présent