Page:Lavignac - Le Voyage artistique à Bayreuth, éd7.djvu/553

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de chacun, ce que l’exécution et l’interprétation peuvent gagner de cohésion et de vérité lorsque l’acteur se pénètre de tels sentiments, lorsqu’il envisage sa fonction comme un sacerdoce accompli avec bonheur et fierté, et lorsqu’il ne sent autour de lui que des camarades imprégnés du même respect de la dignité artistique.

Ce n’est donc pas à la perfection ou à la virtuosité personnelle de tel ou tel sujet qu’il faut attribuer le caractère particulièrement saisissant et captivant des représentations de Bayreuth, mais à cette intime solidarité, à ce dévouement sans bornes à la cause commune, qui permet à un artiste habitué à jouer, partout ailleurs, les premiers rôles, d’accepter ici, sans se figurer déchoir, un personnage épisodique, dont il s’acquittera avec autant de conscience, autant de zèle que s’il était le héros de la pièce. On pourra retrouver ces mêmes chanteurs sur d’autres scènes, ils n’y seront plus les mêmes, parce que ce ne sera plus le même milieu.

L’interprète qui entend s’attaquer au répertoire wagnérien doit être doué de qualités rares et multiples. Il faut avant tout qu’il possède nativement le sens artistique, qu’il soit excellent musicien, un musicien qu’aucune difficulté d’intonation ne saurait dérouter : — car Wagner, par la logique même de son style, nous l’avons démontré, traite les voix comme des instruments chromatiques, ou mieux à clavier[1], ayant une limite grave et une limite

  1. J’ai vu, dans un ouvrage que j’estime tout particulièrement (Ernst, Richard Wagner et le drame contemporain), ce même sujet exposé en termes qui, à première lecture, semblent contradictoires avec les miens ; il n’en est pourtant rien, et c’est une simple question de mots. J’appelle style vocal la façon dont Mozart a traité les voix, ne négligeant pas entièrement le côté virtuosité, et je trouve par comparaison la manière dont Beethoven emploie les voix plus instrumentale. Quand je dis que Wagner traite la voix comme un instrument, j’entends par là un instrument spécial, l’instrument vocal-déclamatoire, si l’on veut, et je ne prétends pas plus dire qu’il écrit pour la voix comme pour le violon, qu’il n’écrit les parties de flûtes comme celles de trumbones, ce qui serait une simple absurdité.