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cas, beaucoup plus libre, plus arbitraire. De là sans doute les notables divergences dans les noms qu’attribuent à un même thème les divers commentateurs ; pour n’en citer qu’un exemple, il est un motif dans Tristan qui est considéré par l’un comme représentant la Vengeance, par un autre le Héros, par un troisième le Destin. À vrai dire, cela n’a pas une importance capitale ; ce n’est pas un nom qu’il faut leur attacher, c’est une idée, ou, mieux, un ensemble d’idées, une conception philosophique : le nom n’est qu’une étiquette ; pourtant, dans la suite de cet ouvrage, je m’efforcerai de désigner chaque motif par le vocable sous lequel il est le plus généralement connu, afin d’éviter les méprises.

Le plus souvent le Leit-motif consiste en un contour mélodique de quelques notes qui pourra être modifié dans sa contexlure même, dans son rythme, dans son harmonie ou dans son orchestration ; ces diverses transformations ne lui enlèvent jamais sa signification première, mais en font varier soit l’importance, soit l’expression momentanée ; il passera ainsi tour à tour par des phases de tendresse, d’héroïsme, de tristesse ou de joie, sans jamais cesser de s’appliquer à son objet spécial ; il possède une exquise sensibilité quand il a à dépeindre, par exemple, le personnage de Walther dans sa fierté chevaleresque, puis triste, anxieux, ou encore caricaturé par son rival ; il acquiert une éloquence émouvante s’il doit décrire le Walhalla détruit, en ruine, après nous l’avoir fait connaître dans sa splendeur ; il est parfois spirituel jusqu’à l’inconvenance ; lorsque, dans la Walkyrie, la vertueuse Fricka s’indigne des amours incestueuses de Siegmund et de Sieglinde, l’orchestre indulgent les excuse en murmurant : « C’est le printemps, » avant même que Wotan ait ouvert la bouche pour répondre.