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questions de l’enseignement, de la réforme électorale, du cautionnement et du timbre l’amenèrent bien des fois à la tribune, et ses discours véhéments, d’une éloquence âpre et hautaine, déchaînèrent presque tous, comme autrefois ses drames, les plus tumultueux orages. Pendant trois années entières, il eut avec ses anciens collègues de la pairie et de la droite, principalement avec le comte de Montalembert, une série de duels oratoires, qui ne prit fin qu’au coup d’État de décembre 1851. Sa conversion, non-seulement au socialisme, mais à la forme républicaine, était de trop fraîche date pour ne pas amener de vives récriminations. On lui répondait, ce qui n’était pas répondre, en citant des strophes de ses odes royalistes et napoléoniennes ; on le renvoyait au Pinde et au Parnasse, avec l’aménité propre aux discussions parlementaires. Il n’en trouva pas moins d’éloquents accents pour demander l’abrogation de la loi sur la déportation, en invoquant des principes de justice et de générosité auxquels, du moins, il est resté fidèle toute sa vie. Quand il s’agit de combattre la réélection de Louis Bonaparte, il occupa la tribune, pendant plusieurs séances, avec un éclat qu’il n’avait pas encore atteint et qu’il n’a point dépassé. Il faut relire, dans le Moniteur, ces réquisitoires passionnés contre le retour aux idées monarchiques, et surtout contre l’astuce de l’évadé de Ham, rêvant dans l’ombre la restauration de sa dynastie. En face de celui qui, le lendemain, allait le proscrire, Victor Hugo ne craignit pas de le cribler de sarcasmes et de rappeler déjà Napoléon le Petit et Augustule. Ces terribles séances de novembre 1851, pendant l’une desquelles il faillit s’évanouir à la tribune, après avoir parlé cinq heures contre le rétablissement de l’Empire, qu’il prévoyait, doivent lui être comptées comme une des plus belles campagnes de sa vie.

Lorsque sonna l’heure du coup d’État, le nom de Victor Hugo fut placé en tête des listes de proscription. Il fit partie de la fraction de l’Assemblée qui, repoussée du Palais-Bourbon, prit séance à la mairie du Xe arrondissement, puis du comité de résistance qui essaya de s’organiser et placarda sur les murs de Paris la déchéance du prince, traître à son serment. Il fallut fuir. Victor Hugo gagna la Belgique, puis Jersey, d’où il signa une protestation contre les actes du 2 décembre et un appel aux armes ; il protesta de même contre le plébiscite du 20 décembre, en proclama d’avance la nullité, en phrases brèves et incisives, qui clouaient au pilori de l’histoire Bonaparte et ses complices. Le vote populaire mis dans l’urne sous le coup de la terreur des proscriptions, des déportations et des fusillades, lui enleva tout espoir. Sa famille l’avait alors rejoint à Jersey. Dans la préface de son étude sur Shakspeare, il se dépeint avec un de ses fils, François-Victor, promenant des regards mornes sur la maison où s’ouvrait pour eux l’ère de l’exil. « Que penses-tu de cet exil ? lui demande son fils. — Qu’il sera long, répond le poëte. — Que comptes-tu faire ? — Je regarderai l’Océan. — Et moi je traduirai Shakspeare, » dit François-Victor Hugo. Le fils a tenu sa parole ; le père, heureusement, n’a pas tenu la sienne, il ne s’est pas borné à regarder l’Océan, car il a daté de l’exil, de Bruxelles, de Jersey et de Guernesey ses œuvres les plus merveilleuses. Il semble que sa pensée ait grandi au sortir des tempêtes de la politique et en face des tempêtes de l’Océan. Un étrange sentiment de grandiose et d’infini, que nul poète avant lui n’avait su rendre, un souffle d’une puissance inouïe circule dans toutes ses œuvres de cette seconde époque.

Les deux premières, Napoléon le Petit (Bruxelles, 1852) et les Châtiments (Bruxelles, 1853), sont des inspirations de colère et de haine, haine et colère également patriotiques. Napoléon le Petit est le premier récit qu’on ait eu, en dehors de ceux des écrivains de police, des sinistres journées de décembre ; c’est l’acte d’accusation, écrit en pages flamboyantes, des auteurs de l’attentat. Sorti d’une telle main, c’est plus qu’un pamphlet, c’est presque un livre d’histoire. Les Châtiments sont un chef-d’œuvre ; sept mille vers jetés tout d’une venue, prenant tous les tons, tantôt épiques, grandioses, lyriques, tantôt grimaçants comme les charges de Callot, marquèrent d’un fer rouge les acteurs de la farce tragique, les grands rôles comme les comparses. Jamais l’alliance du terrible et du grotesque, méthode chère à Victor Hugo, n’atteignit, en parlant seulement au point de vue de l’art, un tel degré de puissance. Là du moins cette alliance était légitime, car rien de plus grotesque que ces avaleurs de sabres et ces Robert-Macaire aux bottes éculées, s’installant comme chez eux dans l’histoire de France. Les Morny, les Vaillant, les Saint-Arnaud, les Troplong garderont à jamais cette flétrissure du poëte. Le chant épique sur la retraite de Russie, sur Waterloo, sur Sainte-Hélène, terminé par la mascarade du second Empire, où défile, en costumes d’écuyer du cirque, tout le personnel de la troupe impériale ; le récit du coup d’État, qui ouvre le volume, l’orgie des troupes, la revue lugubre des morts au cimetière ; des pièces d’une poésie profonde, comme la mort de l’enfant tué dans son berceau et les plaintes de l’Océan, qui se croit complice du crime, parce qu’il transporte les pontons remplis de déportés ; les coups de fouet distribués, dans des odes sanglantes, aux Dupin et aux Veuillot, suffiraient à l’éternelle renommée d’un poète. Facit indignatio versum, dit Juvénal ; jamais ce mot ne pourrait être mieux appliqué qu’aux Châtiments.

À ces inspirations violentes succédèrent des œuvres plus calmes : les Contemplations, publiées en 1856 (2 vol. in-8°), ne reflétaient pas la pensée actuelle du poète ; la plupart des pièces qui forment ce recueil sont antérieures à 1843 ; celles qu’il écrivit cette année-là, après la mort tragique de sa fille Léopoldine Hugo, et qu’il a réunies sous ce titre : Pauca meae, sont des sanglots navrants. Les longues digressions philosophiques, les rêves panthéistes qui remplissent les deux volumes auraient pu faire croire à un affaiblissement du poète ; il n’en était rien ; en 1859, il se relève, plus puissant que jamais, avec la Légende des siècles, suite d’épopées et de fantaisies merveilleuses, qui resteront comme le monument le plus achevé de son âge mûr. Le magicien reparut avec les ressources inépuisables de son imagination et de son style, pour promener le lecteur à travers vingt siècles de civilisation détruite, lui montrer un Kanut, un Caïn plus effrayants que ceux de la Bible ou des légendes scandinaves, l’introduire dans les palais de Ninive et des despotes orientaux, le faire assister aux rapines du moyen âge, aux meurtres, aux trahisons des guerres civiles, aux prouesses des chevaliers errants, à la dispersion de l’Armada, à tous les émouvants spectacles de l’histoire idéalisée. Quoique plus sereine que les Châtiments, cette œuvre est un plaidoyer tout aussi fort en faveur de la liberté, un réquisitoire aussi énergique contre les tyrans : le Mal, qui montre sa hideuse figure à travers toutes les splendeurs de ces poèmes, c’est toujours le prince, le roi, l’empereur.

Depuis Notre-Dame de Paris, le maître n’avait pas écrit un seul roman ; il combla cette lacune par les Misérables (1862, 6 vol. in-8°), dont l’apparition, au milieu des œuvres fades de l’époque, fut un événement ; le géant revenait faire sa partie avec les pygmées. Nous analyserons en son lieu ce dramatique tableau des inégalités sociales, où Victor Hugo, dans des digressions qui, pour un autre, seraient des livres, a écrit d’une façon magistrale, tantôt de larges pages d’histoire, tantôt de curieuses pages d’érudition et d’archéologie, enchâssées dans l’une des fictions les plus émouvantes qu’il ait conçues. Si le livre a moins d’unité que Notre-Dame, si la forme en est moins châtiée, il ouvre des horizons infiniment plus vastes et agite de plus sérieux problèmes. Les Travailleurs de la mer (1866, 3 vol. in-8°), idylle intéressante, où resplendit une des plus suaves figures de femme, furent loin d’obtenir un succès égal. Enfin l’Homme gui rit, création bizarre et gigantesque, où il est arrivé aux plus grands effets de terreur et de sublime, de grâce et d’horreur, montrèrent à ses contemporains, quelque peu surpris, la vitalité prodigieuse d’un esprit qui ne se lassait pas de créer, et qui se renouvelait sans cesse. Dans l’intervalle de ces deux derniers romans, il avait publié les Chansons des rues et des bois, recueil de courtes pièces de vers, toutes d’un même rhythme, sortes de caprices légèrement esquissés, d’une originalité fine et souriante, faisant un contraste profond avec les sévères pensées, les inspirations vigoureuses, altières des autres recueils. Enfin, en se proposant seulement d’écrire un avant-propos pour la belle traduction de Shakspeare achevée par son fils, M. François-Victor Hugo, entraîné par l’abondance des pensées que suscitait chez lui ce grand nom, il écrivit tout un livre, William Shakspeare (1864, in-8°), dans lequel l’étude sur le poète anglais lui-même disparaît au milieu de dissertations remarquables sur tous les génies littéraires du monde entier.

C’est ici le lieu de porter un jugement d’ensemble sur l’œuvre littéraire de Victor Hugo, et sur la nature de ses facultés créatrices. Parmi les critiques, E. Montégut est certainement un de ceux qui ont le mieux analysé chez lui ce sentiment du grandiose et du colossal qui domine dans toutes ses créations. « L’œil de Victor Hugo, dit E. Montégut, semble posséder des privilèges fort singuliers ; il possède une faculté de grossissement extraordinaire, comme s’il avait besoin d’exagérer les objets pour les mieux voir. Nous nous expliquons parfaitement la prédilection de Victor Hugo pour l’immense ; il n’y a pas d’inconvénient à exagérer de quelques toises la hauteur des pyramides ou la profondeur d’un précipice, mais il y a inconvénient à exagérer la grosseur d’un ciron ou d’une fourmi. Le monde microscopique, la réalité humble et modeste, les paysages modérés ne sont point faits pour Victor Hugo. En revanche, comme il est maître de tout ce qui est colossal, accablant ! Les spectacles effrayants et sublimes sont ceux que son imagination préfère : la guerre, l’orage, la mort, les civilisations primitives, avec leurs babels et leurs orgies retentissantes, la nature primitive, avec ses monstres et ses fougères hautes comme des forêts. Comme il sait imiter les plaintes de l’Océan sous la tempête qui le tourmente ! Comme il suit faire luire à nos yeux l’incendie des villes et faire entendre à nos oreilles le fracas des mêlées sanglantes, et le piétinement des chevaux de guerre ! Donnez-lui à peindre une ruine féodale, et il vous en fera sentir toute l’horreur imposante ; un palais de Babylone, et il vous écrasera sous ses splendeurs massives. Il connaît les secrets des sphinx et des idoles monstrueuses, les paysages des déserts brûlants de l’Afrique, et l’horreur des campagnes hyperboréennes. Voilà les tableaux qui lui plaisent, le domaine dont il est roi souverain, et qu’il n’a pas à craindre de se voir disputer. Ailleurs il a des rivaux ; ici, dans cette région où le fantastique se mêle au surhumain, il n’a pas d’égal. » Le même critique a tout aussi finement analysé le procédé de style, toujours le même, sous l’infinie variété des formes, à l’aide duquel le poëte épique ou lyrique, le romancier, l’orateur a donné à sa pensée ce relief et cette couleur qui n’appartiennent qu’à lui. « Chez M. Hugo, les pensées prennent la forme d’images et restent obscures et vagues, tant qu’elles n’ont pas pris cette forme. Or, chacun a pu remarquer que, contrairement aux idées, les images ne s’engendrent pas les unes les autres ; elles se succèdent, et se succèdent dans un ordre fantastique, capricieux, illogique. Une image surgit du point obscur sur lequel le poëte a fixé son regard, et se dresse rayonnante ; puis une seconde apparaît, qui n’a qu’un rapport lointain avec la première ; puis une troisième, qui cette fois n’a aucun rapport avec les deux autres. Cependant, ces trois images si différentes sont toutes trois nées également de la même pensée, ou, pour nous exprimer plus brutalement, de la même obsession cérébrale. Comment s’y prendre pour rapprocher les espaces qui les séparent ? M. Hugo fait appel à la volonté ; avec une résolution énergique, qui quelquefois se change en entêtement, il les tourmente, il les torture, il les lie entre elles avec des câbles, des chaînes de fer qui, dans le langage du métier, s’appellent chevilles et parenthèses. De là ces efforts pénibles, ces pensées qui se roidissent et se cabrent, ces métaphores violentes et inattendues, qui ne sont là que pour combler un vide et permettre à l’auteur d’atteindre l’image lointaine. Tous ces moyens artificiels sont dus aux efforts d’une des volontés les plus indomptables qui se soient jamais rencontrées dans le monde poétique. »

D’abord installé à Jersey, puis invité à sortir de l’île pour avoir protesté contre l’expulsion des trois autres proscrits, Victor Hugo se réfugia à Guernesey, et le nom de sa maison, Hauteville-House, d’où il a daté la plus grande partie de ses dernières œuvres, est devenu familier à tout ami des lettres. Dans la solitude et l’éloignement, assez souvent livré, comme saint Jean à Pathmos, à ses rêves apocalyptiques, il vit sa renommée grandir et emprunter comme un nouveau rayonnement au malheur et à la proscription qui le frappaient. En même temps que son génie prenait quelque chose de plus solennel et de plus auguste, sa gloire recevait, lui vivant, cette consécration suprême qui ne luit d’ordinaire que pour les morts. L’Europe entière le reconnaissait comme un de ces génies universels dont il avait, dans son William Shakspeare, groupé tous les noms, en oubliant le sien, tout naturellement, mais en le faisant entrevoir. Le gonfalonier de Florence lui faisait remettre la médaille jubilaire de Dante ; le ministre du roi de Portugal lui notifiait officiellement, comme à une puissance, l’abolition de la peine de mort ; il était l’invité et le plus souvent le président d’honneur des congrès, des banquets maçonniques tenus à l’étranger ; il prononça des discours dans ces diverses réunions démocratiques, notamment à Genève et à Lausanne.

En quittant la France, Victor Hugo avait dit : « Quand le droit rentrera en France, je rentrerai. » Il avait renouvelé son serment dans ces vers célèbres :

S’il n’en reste que mille, eh bien ! j’en suis, quand même.
S’il n’en reste que cent, je brave encor Sylla ;
S’il n’en reste que dix, je serai le dixième,
Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là !

Il repoussa donc toutes les amnisties proclamées par le second Empire et resta ferme dans l’exil. Lors du plébiscite de mai 1870, il écrivit contre cette suprême manœuvre bonapartiste une protestation dont le titre n’avait que trois lettres et était en même temps un vote : Non. Ses conclusions étaient si violentes, que l’auteur fut déféré, par défaut, à la 6e chambre de la police correctionnelle. La chute de l’Empire brisa enfin cet exil de vingt années ; quelques jours après la révolution du 4 septembre, Victor Hugo revoyait enfin Paris et était accueilli, dès son arrivée à la gare, par d’enthousiastes acclamations. Paris allait être assiégé ; il adressa aux Allemands une proclamation, comme en 1863 il en avait adressé une aux armées russes pour les détourner d’égorger la Pologne ; il parlait de l’alliance universelle et de la fraternité des peuples, dans les mêmes termes qu’aux congrès de la paix ; mais comptait-il lui-même sur le succès d’une pareille tentative ? Le 10 octobre, il se prononça contre les élections municipales, inopportunes suivant lui en ce moment, et, le 31 octobre, il désavoua l’abus qui avait été fait de son nom par le gouvernement insurrectionnel installé pendant quelques heures à l’Hôtel de ville, Victor Hugo figurait en effet sur la liste des membres du comité de salut public. Il repoussa de même la candidature qui lui fut offerte aux élections municipales dans le XVe arrondissement. Durant tout le siège, il se maintint strictement dans les devoirs communs à tous les citoyens, sans vouloir exercer de fonction ni de commandement ; seulement, il consacra à faire fondre des canons, à doter des ambulances, les sommes assez considérables que produisirent une nouvelle édition des Châtiments tirée à cent mille exemplaires et la récitation, sur presque toutes les scènes de Paris, des principales pièces de ce recueil. Au scrutin du 8 lévrier 1871, il fut envoyé par le département de la Seine, le second sur la liste des représentants, avec 214,169 suffrages, à l’Assemblée chargée de régler les conditions de la paix. Dès les premières séances, il se sépara violemment de la majorité de la Chambre, avec une partie de la gauche radicale, en repoussant les préliminaires du traité. Sa voix se fit encore entendre pour demander la permanence, à l’Assemblée nationale, des députés de l’Alsace et de la Lorraine, et pour réclamer le transfert de l’Assemblée à Paris. Le 8 mars, interrompu au milieu d’un de ses discours par un tumulte indescriptible, alors qu’il plaidait la cause de Garibaldi, il donna sa démission. Victor Hugo n’avait pas que des adversaires politiques à la Chambre, il avait aussi des adversaires classiques ; un député royaliste, M. de Lorgeril, orateur excentrique, l’interrompit un beau jour pour lui dire qu’il ne parlait pas français. Au moment où éclatait à Paris l’insurrection communaliste, Victor Hugo perdait subitement à Bordeaux un de ses fils, Charles, rédacteur du Rappel, dont il ramena le corps à Paris, dans la matinée même du 18 mars. Il quitta Paris le 21 mars, pour aller régler à Bruxelles les droits de succession de ses petits-fils, et, de Bruxelles, protesta contre quelques décrets de la Commune, le décret concernant les otages et celui qui ordonnait le renversement de la colonne Vendôme, en mettant sur le même rang « la Commune qui renversait la colonne, et Versailles qui bombardait l’Arc de Triomphe. » Ce fut le sujet d’une de ses pièces de vers insérées dans le Rappel.

Dans une lettre, écrite de Bruxelles et publiée le 26 mai, Victor Hugo offrait asile chez lui aux partisans de la Commune, que la Belgique menaçait de traiter comme des malfaiteurs et, comme tels, tombant sous le coup de l’extradition. Une manifestation hostile faite sous les fenêtres de Victor Hugo, dans la nuit du 27 mai, décida le poète à quitter Bruxelles, où un décret d’expulsion fut porté contre lui par la Chambre, quelques jours après. Victor Hugo revint en France, après un court séjour à Londres. Des élections complémentaires eurent lieu à Paris au mois de juillet suivant ; il obtint 57,000 voix, quoiqu’il eût décliné la candidature qui lui était offerte. En janvier 1872, il accepta d’être porté, par le parti radical, contre le candidat modéré M. Vautrain, et, déclinant le mandat impératif, auquel on voulait l’astreindre, accepta le mandat contractuel. Il échoua néanmoins, n’ayant obtenu que 95,000 voix contre 122,395 données à son concurrent.

Deux recueils, l’un de morceaux de prose, Actes et paroles (1872, in-8°), et l’autre de pièces de vers, l’Année terrible (1872, in-8°), contiennent toute la vie publique et intellectuelle de Victor Hugo pendant ces deux dernières années. On trouvera dans les Actes et paroles les proclamations, les harangues, les discours, les lettres émanés de l’illustre proscrit depuis sa rentrée en France, et, dans l’Année terrible, les pensées intimes que lui ont suggérées au jour le jour les péripéties du siège et les douleurs de son patriotisme, navré de l’invasion et des déchirements de la patrie. Ce recueil, trop vanté peut-être au point de vue de la forme littéraire, par un critique anglais qui lui-même est poète, Swinburne, contient quelques bons morceaux, marqués de la griffe du maître, mais reste inférieur à la Légende des siècles et aux Châtiments.

La reprise de ses drames, longtemps proscrits sous le second Empire, commencée avec éclat par Hernani (Théâtre-Français, 1867), continuée par Ruy-Blas (Odéon, février 1872), a été pour le poète l’occasion de triomphes moins contestés. Cette expérience, que ses détracteurs le défiaient de tenter, en lui prédisant une chute inévitable, a démontré au contraire la vitalité de ces œuvres, qui ont renouvelé notre théâtre et que notre génération a pu applaudir, aussi jeunes et aussi vivantes qu’à leur première apparition sur la scène.

Cette carrière si remplie, que couronneront sans doute encore bien des œuvres vigoureuses et qu’obscurcissent à peine quelques taches passagères, est faite pour provoquer une juste admiration. Comme écrivain et comme poëte, Victor Hugo a déterminé en France la rénovation }a plus complète et la plus éclatante dont il soit fait mention dans l’histoire des lettres ; il a changé la face de l’art, détruit à jamais la poésie de convention ; il a redonné du nerf à la langue dégénérée, en la retrempant aux sources vives du XVe et du XVIe siècle, avec une science de linguiste consommé unie à l’audace d’un novateur ; il a ramené le culte des choses de l’esprit, culte bien négligé alors que les écrivains ne vivaient que de plagiats et de pâles contrefa-