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à toute part importante dans la direction mentale de l’humanité. » Quelle solution lui donne-t-il ? Il n’en admet pas d’autre que l’éternité du monde, l’éternité de la vie et la série sans commencement des métamorphoses. « Pour ce qui est de l’origine des choses, nous croyons qu’il faut désormais affirmer qu’il n’en est pas de concevable, c’est-à-dire qu’il n’en est point… L’impossibilité de concevoir un commencement aux choses, jointe à la certitude de l’apparition non simultanée, mais successive, des êtres vivants, oblige l’esprit à admettre que cette succession a pour condition nécessaire la conversion permanente des forces qu’ils personnifient… Il n’y a pas de place entre ces deux termes : ou admettre une création de toutes pièces ex nihilo, ou reconnaître que la substance a toujours été, ou tout au moins (ce qui revient au même pour nous) que nous ne pouvons concevoir son commencement… Tout a toujours été en puissance. Une transformation continue suppose qu’en réalité aucun moment de la durée n’a marqué une forme complètement nouvelle ; l’une n’avait pas cessé d’être quand l’autre commençait, en sorte que, dans cet incessant mouvement vers un devenir inconnu, il est impossible de tracer une limite qui ne soit de pure convention. » Le transformisme, selon M. Dally, se rattache à cette solution nécessaire du problème des origines.

Homme et des sociétés (ORIGINE DE L’), par Mme  Clémence Royer (1869, 1 vol. in-8°). C’est un traité sur la formation des sociétés, dans lequel l’auteur adopte les doctrines transformistes introduites dans la science par Darwin. Dans ce livre, Mme  Royer a exposé d’une façon vive, animée, intéressante, des systèmes sur lesquels la science est loin d’avoir encore dit son dernier mot, et elle y fait preuve d’un très-remarquable savoir, qui n’exclut ni l’imagination, ni la hardiesse des vues. Dans l’Origine de l’homme, Mme  Royer a poussé jusqu’à ses dernières conséquences les théories du célèbre naturaliste anglais.

Hommes illustres (VIE DES), par Plutarque. V. Vies parallèles.

Hommes illustres (ÉLOGES DES), par Claude Perrault. V. Éloges des hommes illustres.

Homme du Midi et l’homme du Nord (L’), par Ch. Victor de Bonstetten (Genève, 1824). V. BONSTETTEN.

Homme (ÉTUDES SUR L’), par Ch. Victor de Bonstetten. V. Bonstetten.

Homme aux quarante écus (L’), conte de Voltaire (1767). Si l’on veut connaître Voltaire tout entier, il est inutile de voir jouer son théâtre, il n’est pas nécessaire de parcourir sa correspondance ni son Dictionnaire philosophique, il faut se garder de jeter les yeux sur ses œuvres historiques ; mais il est indispensable et il suffit de lire deux ou trois de ses contes, notamment l’Homme aux quarante écus. Voltaire est avant tout un homme qui a vu et senti les vices énormes de son temps, et qui, au lieu de s’amuser à les attaquer en forme dans de gros livres très-savants, mais peu lisibles, les a flagellés dans de petits contes bien amusants, que tout le monde a voulu lire, et où tout le monde a puisé l’esprit de Voltaire, c’est-à-dire la haine et le mépris de tous les abus. L’Homme aux quarante écus a gagné plus d’amis à la vérité et au progrès qu’il n’y a de lettres dans tous les livres philosophiques publiés au XVIIIe siècle.

L’homme aux quarante écus aime à s’instruire ; c’est un fervent apôtre de la raison, souvent même un hérétique en matière religieuse et politique. Cela se comprend:possesseur d’une terre qui produit par an quarante écus, il n’en touche que vingt, et cela parce que la puissance législative et exécutive est née, de droit divin, copropriétaire de sa terre. Il fait la rencontre d’un riche marchand qui jouit de 400, 000 écus de rente et ne donne pas un denier à l’État. Pourquoi, en effet, après avoir établi l’impôt unique sur les denrées, sources de ses richesses, viendrait-on encore demander de l’argent au marchand ? N’est-il pas évident que ce serait un double emploi ? L’argument est fort ; l’homme aux quarante écus ne trouve rien à répliquer, bien qu’il ne soit pas entièrement convaincu. Ne sachant que dire, il va consulter un géomètre philosophe, qui daigne quelquefois causer avec lui dans sa chaumière. Nous ne relaterons point leur entretien, qui roule entièrement sur la fortune moyenne en France, sur le commerce extérieur et principalement sur l’impôt unique. En sortant de chez le géomètre, l’homme aux quarante écus passe devant une superbe maison, propriété des carmes déchaussés. Pressé par la faim, il sonne; un carme vient lui ouvrir:« Que voulez-vous, mon fils ? — Du pain, mon révérend père ; les nouveaux édits m’ont tout ôté. — Mon fils, nous demandons nous-mêmes l’aumône, mais nous ne la faisons pas. — Quoi ! votre saint institut vous ordonne de n’avoir pas de bas et vous avez une maison de prince, et vous me refusez à manger ! — Mon fils, il est vrai que nous sommes sans souliers et sans bas ; c’est une dépense de moins ; mais nous n’avons pas plus froid aux pieds qu’aux mains, et, si notre saint institut nous ordonnait d’aller cul nu, nous n’aurions pas froid au derrière. À l’égard de notre belle maison, nous l’avons aisément bâtie, parce que nous avons 100, 000 livres de rentes. — Ah ! ah ! vous me laissez mourir de faim et vous avez 100, 000 livres de rente ! Vous en rendez donc 50, 000 au nouveau gouvernement ? — Dieu nous préserve de payer une obole ! Les aumônes qu’on nous a données venant des fruits de la terre, ayant déjà payé le tribut, elles ne doivent pas payer deux fois. » Cela dit, le carme ferme la porte au nez du questionneur, que ces arguments laissent encore incertain. Les événements devraient le convertir ; on le jette en prison pour n’avoir pas payé ses 20 écus. Mais, loin de goûter cette dernière démonstration, il se propose de se venger en devenant de plus en plus raisonneur, et Dieu sait s’il trouvera matière à critiquer ! Le gouvernement, le clergé, les lois, la politique, la religion, la médecine, la physique, la métaphysique, l’astronomie, tout y passe ; il ne respecte rien, pas même François Ier, pas même l’archevêque de Mayence, deux illustres victimes de cette cruelle maladie qui fut, dit-on, un fruit amer de la découverte de Christophe Colomb. Il confond dans une haine rageuse l’impôt unique, les moines et le mal napolitain.

Mais à tout il faut une fin, et la rage surtout ne saurait durer sans danger pour la santé. L’heure de la conversion est proche. L’homme aux quarante écus se marie ; il devient père ; il hérite de deux cousins, victimes de la maladie qu’il déteste, et recueille en outre la succession d’un parent très-éloigné, sous-fermier des hôpitaux de l’armée, qui s’était engraissé en mettant les soldats blessés à la diète. L’homme aux quarante écus est fortement touché de ces arguments en action ; il a cependant la générosité de donner aux pauvres de son canton une partie des dépouilles du richard, après quoi il se met à satisfaire sa passion d’avoir une bibliothèque. « Il se propose de ne jamais gouverner l’État et de ne jamais écrire aucune brochure contre les pièces nouvelles. On l’appelle M. André; il a fait bâtir une maison: il a mis son fils au collège et se propose de donner sa fille en mariage à un conseiller à la cour des aides, pourvu que ce magistrat ne soit pas affligé de la maladie que son ami le chirurgien veut extirper de l’Europe chrétienne. » Enfin, il donne à souper, et l’auteur avoue que le banquet de Platon ne lui aurait pas fait plus de plaisir que celui de M. et de Mme  André.

Cette conclusion résume admirablement tout le mérite du conte, qui est une œuvre d’amère raillerie et d’indignation contenue.

Homme sensible (L’), par Henri Mackenzie (1771). Dans ce roman, comme dans les autres œuvres du même genre sorties de sa plume, l’écrivain anglais s’est attaché à exciter l’intérêt du lecteur en se montrant à la fois pathétique et moral. Harley, c’est le nom du héros de ce récit, a reçu de la nature un cœur affectueux, rempli des sentiments les plus nobles et les plus délicats, toujours prêt à défendre l’opprimé, une âme dont l’excessive délicatesse est l’unique et noble défaut. Harley devient amoureux, et cette passion qu’il renferme en lui-même use le reste de ses forces. N’en trouvant plus pour supporter l’excès de son bonheur quand il apprend que son amour est partagé, il expire, et sa mort, admirablement racontée par M. Mackenzie, est déchirante. L'Homme sensible n’est point une histoire, mais une série d’incidents qui se succèdent, et sont tous rendus intéressants par les sentiments qu’ils excitent dans Harley, dont le caractère est supérieurement tracé. Quoique dupé et escroqué à Londres, le héros ne cesse pas d’être à nos yeux un homme de sens et d’esprit. Sa conduite énergique avec un impertinent voyageur qu’il rencontre en diligence, son mouvement d’indignation en écoutant l’histoire d’Édouard, sont des détails amenés avec art, pour montrer au lecteur que la douceur et l’affabilité de son caractère ne tiennent point à la faiblesse, et que, dans l’occasion, il sait se conduire en homme de cœur. Ce roman, qui a obtenu un très-grand succès en Angleterre, a été traduit en français par Saint-Ange (1775) et par Bonnet (1825).

Homme du monde (L’), par Mackenzie (1773). L’auteur a voulu représenter dans ce roman un homme qui, oubliant tout sens moral, s’abandonne à ses vices, tombe dans la dégradation et la misère et rend malheureux tout ce qui l’entoure. Bien que cette œuvre ait eu du succès, elle est inférieure à l’Homme sensible, du même auteur. Par la nature de son talent, Mackenzie était beaucoup plus apte à peindre la vertu que les excès d’une dépravation systématique. L’histoire des victimes sacrifiées par les artifices et les crimes de Sindall, et particulièrement celle des Annesley, est parfaitement tracée. Peut-être l’auteur n’a-t-il rien écrit de mieux que la scène entre le frère et la sœur près de l’étang. Quant au style, il a toute l’harmonie de la prose d’Addison, et la vigueur n’y exclut ni la clarté ni la simplicité. L’Homme du monde a été traduit par Saint-Ange en 1775 et par F. Bonnet en 1825.

Homme aux trois culottes (L’) ou la République, l’Empire et la Restauration, roman par Paul de Kock (Paris, 1841). Ce roman repose tout entier sur trois culottes, léguées par un comédien à son neveu, dont elles font la fortune. L’idée est grotesque, mais vraie. La culotte rouge, accompagnée d’une coiffure à la Brutus, d’un vêtement négligé, d’un air terrible, c’est la Révolution, et le héros, affublé de cette première partie de son héritage, se fait aisément passer, dans une petite ville de province, pour un représentant chargé d’une mission patriotique. C’est à qui viendra fraterniser avec l’austère républicain ; avec sa culotte rouge pour talisman, notre héros se fait une position, trouve autorité, crédit, et parvient à sauver une jeune fille noble qu’il aimait. Lorsque l’Empire succéda à la République, la culotte de drap bleu et l’habit moitié militaire, moitié bourgeois, remplacent fort à propos la culotte rouge. Le neveu trouve encore son salut dans les sages dispositions de son oncle prévoyant, et reconnaît que, sur la grande scène du monde, les ingénieux changements de costume ne sont pas moins utiles que dans les coulisses du théâtre. Cependant il voit ses plus chères illusions déçues lorsque, croyant avoir acquis quelques droits sur la main de celle qui lui doit la vie, il ose réclamer cette juste récompense et ne reçoit qu’un dédaigneux refus. Mais il n’en bénit pas moins son précieux héritage, car c’est encore à ces chères culottes qu'il doit les moyens de faire élever une petite fille dont les parents, emportés par la tourmente révolutionnaire, lui ont confié l’avenir.

Enfin, la culotte de satin blanc lui sert de passe-port, sous la Restauration, pour pénétrer jusque dans les somptueux salons du noble faubourg Saint-Germain. Il retrouve encore l’ingrate qui lui a refusé sa main, et qui, maintenant, consentirait volontiers à la lui accorder ; mais la protégée de notre héros est devenue grande, et c’est une rivale redoutable qui l’emporte aisément sur les souvenirs à demi effacés d’une ancienne passion. Telle est la donnée de l''Homme aux trois culottes, donnée pleine d’originalité et que l’auteur a traitée avec son esprit habituel, sa verve et son inaltérable gaieté, quelquefois un peu triviale.

Homme sérieux (UN), roman par Charles de Bernard (Paris, 1843). M. Chevassu, l’homme sérieux, est un bourgeois enrichi, très-fier de sa roture, très-orgueilleux et qui hait profondément la noblesse. Pénétré de son importance, il se croit appelé à gouverner le monde, rêve les honneurs politiques, et fait tout juste assez d’opposition au gouvernement pour se faire nommer député. Pour préparer sa candidature, Chevassu quitte un beau jour sa province et s’en vient à Paris, emmenant avec lui sa fille Henriette, qu’il se propose de marier avec un certain Dornier. Ce dernier est un journaliste tricéphale, légitimiste à Toulouse, ministériel à Orléans, républicain à Strasbourg, un écrivain mercenaire et sans conscience, qui s’est mis à sa solde, et qui parvient à lui persuader que, dans l’intérêt même de sa candidature, il doit fonder un journal. L’Homme sérieux, se rendant aux excellentes raisons de son conseiller, lui donne cinquante mille francs et lui en fait donner autant par sa sœur, la marquise de Pontailly, un bas-bleu, toujours prête à soutenir les entreprises littéraires. Préoccupé de ses destinées politiques, plongé jusqu’au cou dans les choses graves, M. Chevassu néglige complètement sa famille. Il ne s’aperçoit pas que son fils Prosper étudie le droit autour des billards et à la Chaumière ; que sa tille déteste Dornier et lui préfère de beaucoup le comte de Moréal, à qui, par haine de la noblesse, il a, peu de temps avant, refusé la main d’Henriette. Mais une ligue s’organise. Le comte de Moréal, appuyé par le marquis de Pontailly, oncle d’Henriette, s’adjoint Prosper, dont il paye les dettes, et forme le projet de dessiller les yeux de M. Chevassu. En effet, grâce à quelques stratagèmes, les intrigues de Dornier sont déjouées, et le misérable s’enfuit alors avec les cent mille francs destinés au journal. Quant à Chevassu, il s’avoue trompé et consent à ce que Henriette devienne comtesse, mais à la condition que son mari promette de devenir sérieux. Ce roman est un des meilleurs qu’ait écrits Charles de Bernard. C’est un récit fort amusant, rempli de gracieux détails et écrit dans un style facile, élégant, quelquefois badin et ironique, toujours correct et châtié.

Homme de neige (L’), roman, par G. Sand (1859, in-18), un des meilleurs de l’auteur pour l’enchaînement des aventures et l’art pittoresque des descriptions. L’intrigue est compliquée et mystérieuse. Le personnage qui donne son nom au livre est une sorte d’épouvantail pour les paysans suédois, au milieu desquels G. Sand a placé son action. C’est un certain baron Olaüs de Waldemora, que sa taille haute et formidable, sa froide figure d’une pâleur livide, ses yeux ternes et vitreux ont fait surnommer l’homme de neige. Il avait un frère, le comte Adelstan de Waldemora, qui a été assassiné par des mineurs étrangers, et dont le fils a disparu. Le baron est entré en possession des immenses domaines de son frère, et il est devenu le fléau de ses vassaux et la terreur de ses voisins. Or, voici que pendant les fêtes de Noël le baron fait venir de la ville voisine dans son château du Stalborg, pour le divertissement de ses nobles hôtes, l’imprésario d’une troupe de marionnettes, Christian. Dire ce qui va s’accumuler d’incidents, se mouvoir de ressorts, se nouer d’intrigues autour du bel et aventureux imprésario, n’est pas chose facile. Toutes les têtes s’affolent de lui, principalement celle d’une jeune fille, Marguerite Elvéda, destinée malgré elle à l’affreux baron Olaûs. Christian est partout, sous toutes les formes ; au salon, bel inconnu, c’est le roi du bal ; dans un coupe-gorge, son bras inattendu détourne le poignard ; à la chasse à l’ours, il est au poste le plus dangereux et porte les plus glorieux coups. Sous son masque de saltimbanque, il joue le rôle de la Providence ; il prévient le crime ou le punit ; sa personne est entourée de mystères, sa mémoire est pleine d’étranges souvenirs qui lui font retrouver, dans les glaces de Stalborg, une nature et des lieux qui ne lui sont pas inconnus. C’est qu’en effet là fut son berceau ; le comédien Christian Waldo n’est autre que l’enfant du malheureux comte Adelstan de Waldemora ; il a été sauvé par des mains dévouées et confié en Italie à une honnête famille. Tout concourt à rendre son rang à l’héritier légitime ; les faits cachés se découvrent, les mystères s’éclaircissent. Il a cependant bien des épreuves encore à traverser avant de rentrer dans son héritage. Il échappe à son persécuteur en menant ll’a vie de chasseur ou celle d’ouvrier mineur. Enfin, il peut reprendre son nom et sa fortune, et épouser la belle Marguerite, qu’il a sauvée des bras de l’homme de neige.

Homme à l’oreille cassée (L’), roman, par Edmond About (Paris, 1862). La donnée de ce livre amusant et ingénieux est empruntée à la Conversation avec une momie, d’Edgard Poë ; c’est l’hypothèse d’un homme qui serait mort depuis longues années et qui ressusciterait au milieu d’une époque dont les mœurs, les usages, les goûts, les aspirations, tout, jusqu’au langage, serait pour lui devenu étrange et inexplicable. Léon Renault, en voyageant à travers la Prusse, a rencontré chez un marchand de curiosités la momie fort bien conservée d’un colonel français, à moitié mort jadis de congélation et dont le corps avait été abandonné au célèbre professeur Meiser, pour qu’il tentât sur lui une expérience, à savoir : s’il était possible de dessécher et de faire revivre ensuite certains êtres assez élevés dans la série animale, en leur rendant la quantité d’eau soustraite à leur organisme. L’opération faite, Meiser meurt, et ce n’est qu’au bout de 47 ans que Léon Renault achète par hasard cette momie. Grâce à d’habiles manipulations, les organes reprennent leur volume normal, les fonctions renaissent, la vie reprend son cours, et il se trouve que le colonel Pougas, qui avait vingt-trois ans à l’époque de sa mort, n’est encore en réalité qu’un charmant jeune homme de vingt-trois ans, tandis qu’il a un fils à cheveux blancs et déjà grand-père. Mais ce n’est là que la moindre des anomalies résultant d’une pareille résurrection, et on s’imagine aisément tous les quiproquos, tous les ébahissements, tous les anachronismes, tous les discours surannés auxquels se livre le malheureux colonel. Ce survivant de la grande armée ne peut croire ni aux télégraphes ni aux chemins de fer ; les bateaux à vapeur, les rues en macadam, les crinolines, le gaz, que sont toutes ces inventions auprès des victoires que remportait le grand homme ? Qu’est-ce enfin qu’une France qui ne songe plus à devenir la maîtresse du monde ? Peu s’en faut que le colonel Pougas ne regrette son état de momie. Nous n’avons pas voulu rendre compte du livre, mais seulement en indiquer l’idée, et surtout constater qu’elle manque d’originalité.

Homme qui rit (L’), roman, par Victor Hugo (1869, 4 vol, in-8°). Création puissante, mais malheureusement aussi, par endroits, pleine de ténèbres. Cette œuvre du maître, datée encore de l’exil, a soulevé beaucoup de clameurs, et son succès n’a pas répondu à l’attente générale. La donnée et les développements, beaucoup moins accessibles que ceux des Misérables, ont cependant fourni au maître des scènes d’un pathétique émouvant ou d’un intérêt grandiose ; mais cette œuvre, où l’étrange et l’horrible se mêlent à la grâce dans des proportions singulières, a surpris et quelque peu stupéfié les amis mêmes de Victor Hugo.

Une antithèse assez puérile et que Victor Hugo nous a déjà présentée bien des fois, la beauté morale dans la difformité physique, et toutes les laideurs de l’âme dans un corps d’une beauté parfaite, fait le fond de l’Homme qui rit. Le saltimbanque Gwinplaine opposé à la duchesse Josiane, tel est le thème dont les variations se développent en quatre volumes ; mais par quelle succession de tableaux imprévus, terribles ou suaves, ce fécond génie, toujours aussi vigoureux et aussi jeune, a su en dissimuler la faiblesse !

La scène s’ouvre en Angleterre, sur le bord de l’Océan, par le tableau ambulant du philosophe Ursus, qui voyage dans sa demeure roulante, un mauvais chariot de bateleur en compagnie de son seul ami, un loup, qui s’appelle Homo. Ursus est un misanthrope dont le cœur est excellent et Homo la meilleure pâte de loup qu’on puisse voir. Longue dissertation sur la sauvagerie, d’ailleurs tout apparente, de l’homme, et sur la bonhomie du