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qui augmenta dès l’après-dînée, en raison du commandement que fit le roi de la Grande-Bretagne à Mme de Saint-Georges, dame d’honneur de la reine, de quitter sa place du carrosse de la reine sa maîtresse pour la donner à des dames anglaises huguenotes ! »

Ce n’étaient là que des querelles de ménage, des dissentiments sans importance : mais on put voir, dès lors, qu’en mariant le fils de Jacques Ier, protestant, avec une fille de France, élevée tant bien que mal dans la religion catholique, mais mettant son point d’honneur à conserver sa foi et ses privilèges en Angleterre, on avait fait une lourde faute. Henriette eût-elle été disposée à un accommodement, on y avait paré en l’entourant d’un clergé intolérant, haineux, qui l’excitait sous main, et disposé à ne rien céder, au risque de perdre et le roi et la reine :

Abîme tout plutôt ! c’est l’esprit de l’Église.

Il y avait, de plus, incompatibilité profonde d’humeur entre cette reine de seize ans, élevée à la française, naturellement rieuse, enjouée, et ce roi de vingt-cinq ans, versatile, léger, soupçonneux, tour à tour faible et despotique, aux sens déjà émoussés par des relations précoces avec des femmes faciles. Les dissensions de ce royal ménage sont racontées en détail, avec esprit, par le comte de Tillières (v. Mémoires du comte de Tillières), et, quoiqu’il attache souvent bien de l’importance à de petites choses, c’est un guide assez sûr pour la connaissance des trois premières années de mariage de la reine. Ajoutons que, si elle eut à se plaindre des intrigues de Buckingham, de la froideur ou des exigences du roi, elle sut aussi trouver des consolateurs. Ses liaisons avec Jermyn, Montaigu et Percy, trois jeunes et séduisants seigneurs, irritèrent au delà de toute expression la prude et puritaine Angleterre. Plus tard, exilée en France, la veuve de Charles Ier épousa, dit-on, secrètement le comte Jermyn, ce qui semblerait donner raison aux rumeurs qui avaient couru sur ses adultères.

Le bon accord entre le roi et la reine parut se rétablir après la mort de Buckingham (1628) ; mais leur réconciliation, qui s’opéra par l’entremise des ambassadeurs français, surtout de Bassompierre, parait avoir été plus politique et de convenance que d’inclination et de cœur. La mésintelligence devint plus vive à mesure que les progrès de la lutte soutenue par le roi contre le Parlement mirent Charles Ier dans un péril réel, et que les attaques dont la reine était l’objet à cause de sa religion, et, il faut bien le dire, à cause aussi de ses goûts et de sa conduite, devinrent plus marquées. Henriette fut accusée, et avec quelque raison, d’inspirer au roi les actes attentatoires aux libertés publiques, qui le rendirent si impopulaire ; elle avait, en effet, pris assez d’ascendant sur son caractère faible et irrésolu, pour lui faire adopter des mesures qui lui furent fatales. Devenue l’objet de méfiances trop fondées, considérée comme l'âme de la faction qui poursuivait l’extinction de l’anglicanisme, elle se dévoua à une cause qui était non pas la sienne, mais celle des prêtres intrigants qui l’entouraient, qui l’obsédaient de leurs suggestions, tout en se cachant derrière elle. Au début de la guerre civile, envoyée par Charles en Hollande pour en ramener des soldats et de l’argent, elle engagea jusqu’à ses bijoux, ses pierreries, et débarqua sur les côtes anglaises avec 40,000 mercenaires. Elle déploya dans cette lutte insensée, qui était un peu son œuvre, une activité digne d’une meilleure cause, un dévouement qui fit d’elle, suivant l’expression de Bossuet, « cette reine fugitive qui ne trouve aucune retraite dans trois royaumes, et à qui sa propre patrie ne fut plus qu’un triste lieu d’exil. »

En 1630, elle avait donné à son mari un premier fils, Charles, qui fut depuis Charles II ; trois ans plus tard, elle lui en avait donné un autre, qui fut le dernier des Stuarts, sous le nom de Jacques II. En 1644, en pleine guerre civile, conduite d’abord à Oxford, puis réfugiée à Exeter, elle accoucha d’une fille, Henriette, qui fut depuis Madame, duchesse d’Orléans. Elle était si abandonnée de tout le monde qu’il fallut que la reine Anne d’Autriche, au rapport de Mme de Motteville, lui envoyât sa propre sage-femme, Mme Péronne, et jusqu’aux moindres choses qui lui étaient nécessaires (16 juin 1644). L’armée du Parlement s’étant approchée d’Exeter, la reine se réfugia en Cornouailles, et, quelque temps après, en France avec un convoi de vaisseaux de guerre que lui envoya le prince d’Orange. La flotte hollandaise la déposa à Brest, d’où elle gagna Paris ; sa mère et son frère, Louis XIII, la reçurent avec larmes. Mme de Motteville fait d’elle à cette époque un portrait qui mérite d’être reproduit. « Cette princesse, dit-elle, était fort défigurée (quoiqu’elle n’eût encore que trente-cinq ans) par la grandeur de sa maladie et de ses malheurs, et n’avait plus guère de marques de sa beauté passée. Elle avait les yeux beaux, !e teint admirable et le nez bien fait. Il y avait dans son visage quelque chose de si agréable, qu’elle se faisait aimer de tout le monde ; mais elle était maigre et petite ; elle avait même la taille gâtée, et sa bouche, qui naturellement n’était pas belle, par la maigreur de son visage, était devenue grande. J’ai vu de ses portraits du temps de sa beauté, qui montraient qu’elle avait été fort aimable ; et, comme sa beauté n’avait duré que l’espace du matin et l’avait quittée avant son midi, elle avait accoutumé de maintenir que les femmes ne peuvent plus être belles passé vingt-deux ans. »

La cour de France offrit à la reine d’Angleterre un appartement au Louvre, et, comme résidence particulière, le château de Saint-Germain. Le dénûment dans lequel Henriette se serait trouvée, d’après la plupart des historiens, est une fable, ou, du moins, il fut tout à fait accidentel et momentané. Tant que la guerre de la Fronde n’eut pas mis à sec les finances royales, il lui fut alloué une pension de dix mille écus par mois, somme considérable en tout temps, mais surtout alors, à cause de la valeur de l’argent presque deux fois plus forte en ce temps-là que de nos jours. La fille de Henri IV, la tante du roi, était traitée royalement, et, en toutes choses, elle n’eut qu’à se louer de la reine sa belle-sœur. Mais les affaires de la cour, en France comme en Angleterre, tombèrent bientôt de mal en pis,

« L’étoile était alors terrible contre les rois, dit Mme de Motteville ; en voici la preuve authentique. Ce même jour (14 juillet 1648) Mme de Beaumont et moi allâmes voir la reine d’Angleterre, qui s’était retirée aux Carmélites pour quelques jours, pour adoucir un peu le chagrin qu’elle avait de voir partir d’auprès d’elle le prince de Galles. (Il était allé à Calais, dans le dessein de passer en Écosse pour tenter de la soulever.) Nous la trouvâmes seule dans une petite chambre… Elle nous conta les vives appréhensions qu’elle ressentait du succès de ce voyage, et nous fit part de l’état présent de sa nécessité, qui augmentait infiniment par celle où étaient le roi et la reine. Elle nous montra une petite coupe d’or dans quoi elle buvait, et nous jura qu’elle n’avait d’or, de quelque manière que ce pût être, que celui-là. Elle nous dit de plus que, quand le prince de Galles était parti, tous ses gens lui étaient venus demander de l’argent, et lui avaient dit qu’ils la quitteraient si elle ne leur en baillait ; ce qu’elle n’avait pu faire, et avait eu ce déplaisir de se voir hors d’état de remédier au besoin de ses officiers, qui l’accablaient de leurs misères. Elle ajouta que les officiers de la reine Marie de Médicis, sa mère, avaient bien fait pis, et, qu’étant en Angleterre dans le commencement de leurs troubles, elle et le roi son mari ne pouvant pas si ponctuellement leur donner de l’argent, ses officiers présentaient souvent des requêtes contre elle au Parlement d’Angleterre, et que cela lui avait causé de grands chagrins. Cette description nous toucha d’une sensible compassion, et nous ne pouvions assez admirer cette mauvaise influence qui dominait sur les têtes couronnées, qui étaient alors les victimes des deux parlements de France et d’Angleterre. Le nôtre était, grâce à Dieu, bien différent de l’autre en ses intentions, et différent aussi en ses effets. Mais pour lors il incommodait le roi et les apparences en étaient mauvaises. »

Il faut dire aussi, à l’éloge de la reine d’Angleterre, qu’elle avait vendu tout ce qui lui restait de diamants et de bijoux, afin d’en envoyer le prix à Charles Ier et de soutenir de toutes ses forces le parti royaliste. Une grande partie de sa pension était aussi expédiée outre-mer, et, dans l’état des finances de la cour, elle se vit obligée de demander de l’argent au parlement de Paris. Voici ce que rapporte à ce sujet le cardinal de Retz : « Cinq ou six jours avant que le roi sortît de Paris, j’allai chez la reine d’Angleterre, que je trouvai dans la chambre de Madame sa fille, qui a été depuis Mme d’Orléans. Elle me dit d’abord : « Vous voyez, je viens tenir compagnie à Henriette. La pauvre enfant n’a pu se lever aujourd’hui faute de feu. » Le vrai était qu’il y avait six mois que le cardinal n’avait fait payer la pension de la reine ;.que les marchands ne voulaient plus fournir, et qu’il n’y avait plus un morceau de bois dans la maison. Vous me faites bien la justice d’être persuadée que Madame d’Angleterre ne demeura pas le lendemain au lit faute d’un fagot. » Ceci se passait au mois de janvier. Retz ajoute qu’il exagéra la honte de cet abandonnement, et que le Parlement envoya quarante mille livres à la reine d’Angleterre.

Le coup de hache qui abattit la tête de son époux lui fut autrement sensible que ces misères accidentelles. « Depuis le siège de Paris par les frondeurs, dit Mme de Motteville, elle avait toujours été fort en peine de ce qu’elle ne recevait point de nouvelles du roi son mari, qu’elle savait avoir été mené à Londres, où il était gardé si soigneusement, qu’il fut impossible à ce prince de lui écrire ; et, comme on se flatte ordinairement, la reine d’Angleterre croyait que la guerre et les troubles de la France l’empêchaient en quelque façon de recevoir de ses lettres, et que toutes ces choses retardaient les courriers. »

Ici la narratrice raconte, selon les préjugés monarchiques du temps, la condamnation, l’exécution de Charles Ier ; puis elle reprend : « Peu de jours après cet horrible meurtre, la reine d’Angleterre reçut une fausse nouvelle, qui lui apprit que le roi son mari avait été mené de sa prison jusque sur l’échafaud, qu’on avait voulu lui couper la tête ; mais que le peuple s’y était opposé. Je crois que milord Germain (sir Henri Jermyn), son ministre, qui savait le mauvais état des affaires du roi son mari, la voulut préparer par cette fabuleuse histoire à ce funeste coup ; et cette princesse, quoiqu’elle ne vît son mal qu’à demi, en nous contant cette pitoyable aventure, jeta beaucoup de larmes ; mais elle se consolait dans l’espérance que le peuple le sauverait, puisqu’il commençait à s’émouvoir en sa faveur.

« Le dix-neuvième du mois (février 1649), elle reçut enfin cette horrible nouvelle comme véritable, et on ne put pas lui déguiser son malheur plus longtemps. Ce mal si grand, si terrible et si certain, produisit en elle tous les sentiments de douleur qu’elle était capable de sentir. Cette malheureuse reine s’affligea et souffrit indéfiniment ; mais elle ne mourut point. Elle m’a souvent dit elle-même qu’elle était étonnée comment elle avait pu survivre à ce malheur… Elle en a porté, en effet, un deuil perpétuel, et sur sa personne et dans son cœur ; autant néanmoins, ajoute Mme de Motteville, que, selon son humeur, elle en a été capable ; car, naturellement, elle avait plus d’enjouement dans l’esprit que de sérieux. »

Entre autres choses qu’elle dit en ce moment à sa confidente, elle lui avoua « que le roi son seigneur, dont la mort allait la rendre la plus malheureuse femme du monde, ne s’était perdu que pour n’avoir jamais su la vérité. » On se demande si elle-même avait jamais voulu l’entendre, cette vérité qui avait manqué au roi son seigneur et causé sa perte ; si même elle n’avait pas tout fait pour la lui obscurcir, supposé qu’il eût été capable, la sachant, de se conduire en conséquence.

Un autre malheur atteignit Henriette et tourna pour elle en humiliation. Lorsque, après la paix de 1655, Cromwell, traitant d’égal à égal avec Louis XIV, força le grand roi à l’appeler Monsieur son frère, il exigea que les deux fils de la reine d’Angleterre, Charles II, qui prenait en France le titre de roi, et le duc d’York, depuis Jacques II, fussent reconduits à la frontière. « La mère de ces deux princes, Henriette de France, fille de Henri le Grand, dit Voltaire, demeurée en France sans secours, fut réduite à conjurer le cardinal d’obtenir au moins de Cromwell qu’on lui rendît son douaire. C’était le comble des humiliations les plus douloureuses, de demander une subsistance à celui qui avait versé le sang de son mari sur un échafaud. Mazarin fit de faibles instances en Angleterre, au nom de cette reine, et lui annonça qu’il n’avait rien obtenu. Elle resta à Paris dans la pauvreté et dans la honte d’avoir imploré la pitié de Cromwell, tandis que ses enfants allaient dans l’armée de Condé et de don Juan d’Autriche apprendre le métier de la guerre contre la France, qui les abandonnait. » (Siècle de Louis XIV, ch. VI.)

Dès cette époque, Henriette vécut dans la retraite, sinon l’isolement, et ne posa le pied sur le sol d’Angleterre qu’un moment, en 1660, après la restauration de son fils Charles II. Elle rétablit assez bien ses affaires, grâce à la munificence de Louis XIV, qui lui fit de grands dons, fonda à Chaillot le couvent de Sainte-Marie, de l’ordre de la Visitation, et acheta à Colombes un château qu’elle habita alternativement avec le couvent de Chaillot. Elle s’y retira même plus habituellement, après le mariage de sa fille, Henriette d’Angleterre, avec le duc d’Orléans, frère du roi, et ce fut là qu’elle mourut subitement le 10 septembre 1669. Louis XIV fit transporter son corps à Saint-Denis et son cœur dans l’église des Visitandines, où Bossuet prononça son oraison funèbre, chef-d'œuvre de la langue française et de l’éloquence religieuse, mais bien peu conforme à la vérité historique. Il nous faut laisser le grand orateur célébrer avec pompe « celle qui fut fille, femme et mère de tant de rois si puissants ; » s’extasier sur ses voyages en mer et dépeindre « l’océan étonné de se voir traversé tant de fois et pour des intérêts si divers ! » La reine si puissante ne fut, presque toute sa vie, qu’une exilée, attisant de toutes ses forces une guerre civile qu’elle avait contribué à soulever par ses fautes ; la femme que Bossuet dépeint comme ornée de toutes les vertus imaginables, la veuve de Charles Ier, épousa, selon toute apparence, dans un âge avancé, un de ses anciens amants, ou tout au moins un des favoris de sa jeunesse. C’est bien de l’oraison funèbre qu’on peut dire : Verba et voces, praetereaque nihil !


HENRIETTE-ANNE D’ANGLETERRE (Madame), duchesse d’Orléans, fille de la précédente et de Charles Ier, née à Exeter en 1644, au milieu des orages de la guerre civile, morte à Saint-Cloud en 1670. Sa mère, fuyant les armées du Parlement, l’amena en France presque au lendemain de sa naissance et la fit élever au couvent de Chaillot, moins comme une princesse que comme une personne privée, suivant l’expression de Mme de La Fayette. Anne d’Autriche eut un moment l’idée de la marier à Louis XIV ; mais le jeune roi ne montra pour elle qu’un dédain mal dissimulé. La restauration des Stuarts dans la personne de Charles II fit rechercher son alliance par la famille royale de France, et elle épousa, en 1661, Monsieur, frère du roi (Philippe, duc d’Orléans). Cette union ne fut pas heureuse ; Philippe ne cachait point son indifférence pour sa jeune femme, et celle-ci, de son côté, se vengea de ses dédains en se montrant fort sensible aux succès que lui valaient à la cour les grâces de sa personne et de son esprit, et en paraissant répondre à la passion subite que Louis XIV ressentit pour elle. Un commerce de lettres et de petits vers s’établit entre eux, et, par une circonstance singulière, c’était le marquis de Dangeau qui tenait la plume pour les deux amants, sans qu’ils se doutassent l’un et l’autre qu’ils avaient choisi le même secrétaire et le même confident. Cependant le roi fut bientôt distrait par son attachement pour Mlle de La Vallière, et Madame se jeta avec la même légèreté dans une nouvelle intrigue épistolaire avec le beau comte de Guiche. Qu’elle fût coupable ou non, il en résulta de petits scandales dont Monsieur se montra fort blessé, jusqu’à s’échapper en mots désobligeants et d’une extrême dureté. En 1670, Louis XIV, voulant détacher l’Angleterre de l’alliance hollandaise, chargea la princesse sa belle-sœur de cette négociation. Henriette réussit, dit-on, au gré du monarque et sut amener son frère Charles II à la conclusion du traité de Douvres. Peu de temps après son retour, elle fut prise de violentes douleurs d’entrailles après avoir bu un verre d’eau de chicorée, et elle expira la nuit suivante, emportant la conviction qu’elle avait été empoisonnée. Dans la magnifique oraison funèbre qu’il fit sur la mort prématurée de cette princesse, Bossuet a caractérisé la rapidité foudroyante de cette catastrophe par les paroles saisissantes qu’on a tant de fois citées : Madame se meurt, Madame est morte ! La mésintelligence qui régnait entre les deux époux donna quelque consistance aux soupçons d’empoisonnement, d’autant plus que le duc d’Orléans montra la plus complète insensibilité aux douleurs et à l’agonie de sa femme ; mais cette opinion paraît avoir conservé peu de partisans. Il ne serait pas impossible qu’elle fût morte du choléra-morbus ; c’est même le nom que les médecins donnèrent à sa maladie. De plus, elle était poitrinaire.


Henriette d’Angleterre (HISTOIRE DE Mme ), par Mme de La Fayette (La Haye, 1720, in-12). On retrouve dans cet ouvrage toutes les qualités d’esprit et de style de Mme de La Fayette. La jeune princesse, dont elle entreprit d’écrire la vie, l’avait prise en amitié. Quand elle fut mariée au frère du roi, et devenue le plus brillant ornement de la cour, elle accorda ses entrées particulières à cette dame, son aînée de dix ans, lui permit de la suivre partout, quoiqu’elle n’eût aucune charge dans sa maison, et la traita avec une grande familiarité. Après avoir honore Mme de La Fayette des confidences les plus intimes, la duchesse d’Orléans l’engagea elle-même à les rédiger en forme d’histoire.

« Madame de La Fayette, dit M. Sainte-Beuve, a donné de Madame Henriette la plus agréable histoire. C’est un récit écrit d’après une confidence, et destiné à celle même qui a raconté, qui sourit en se revoyant si justement, si légèrement peinte, et qui, avec une douce malice, prend à quelques endroits la plume pour y retoucher. Madame, après son dîner, aimait à se coucher sur des carreaux ; elle s’approchait de Mme de La Fayette, en sorte que sa tête était quasi sur ses genoux, et, dans cette position familière et charmante, elle lui racontait le détail de son cœur, ou elle en écoutait l’histoire écrite d’après elle, et elle se regardait au miroir que son amie lui en offrait. Quand on lit aujourd’hui cette histoire si fine, si courue, si touchée à peine, si arrêtée à temps, on a besoin de quelque retour d’imagination pour en ressaisir toute la grâce et en recréer l’enchantement. Il y règne comme un léger duvet des fruits dans leur première fleur, qui s’efface si vous appuyez. »

Les portraits des principaux personnages de la cour de Louis XIV, vers le temps de la mort de Mazarin, occupent presque toute la première partie et sont esquissés de cette manière fine et discrète. Quant aux événements, qui se résument dans les intrigues de la cour, ils sont racontés avec art plutôt que jugés. Sur la question controversée de l’empoisonnement de Madame, l’auteur penche pour l’affirmative ; mais, par une bizarrerie singulière, elle seule mentionne, sur les journées qui ont précédé la catastrophe, des circonstances bien dignes de remarque et qui pourraient faire croire à une mort naturelle.


Henriette Temple, roman anglais, par M. Benjamin Disraeli, un des plus agréables qu’il ait écrits (1836). C’est, comme un second titre l’indique, une histoire d’amour, a love story. L’auteur a mis en scène une de ces vieilles familles catholiques, qui ont conservé intacte la foi de leurs pères. Les tableaux d’intérieur qui ouvrent le livre sont d’une mélancolie touchante et vraie ; les scènes et les correspondances d’amour entre Henriette Temple et Ferdinand Armyne sont esquissées avec une délicatesse et une pureté ravissantes ; la vie de Londres est crayonnée avec beaucoup d’entrain et d’esprit. Sur quelque personnage que l’on porte ses regards, on ne rencontre que d’aimables figures : ce sont : le bon prêtre Gladstonebury ; la chevaleresque et sentimentale Henriette ; le marquis de Montfort, type du lord anglais, délicat dans sa générosité, noblement contenu dans ses affections ; lady Belair, grande érudite en fait de généalogies, et qui connaît toute l’aristocratie anglaise ; enfin un gentilhomme français, le Comte de Mirabel, d’une gaieté, d’un entrain infatigables, qui donne le ton à la jeunesse dorée de Londres, et dont le modèle est pro-