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À la fin, Grotius revient se constituer prisonnier pour sauver l’officier, et le prince d’Orange, qui a appris l’histoire, pardonne aux deux coupables. L’histoire, on grle voit, est altérée pour les besoins du drame. Au début, la pièce offre des beautés réelles ; on s’intéresse au combat de l’amour et de l’honneur ; mais à la Un, il survient un tel conflit de magnanimités, que l’on est choqué par l’invraiaamblance qui en résulte.

GROTI US (Maria de Reigersbergen, dame), épouse du précédent, célèbre par son dévouement conjugal. Lorsque Grotius «ut été condamné à subir une détection perpétuelle dans la forteresse de Lœvenstein, elle obtint de le visiter et de lui faire porter des livres, entrevoyant vaguement qu’il y aurait là peut-être quelque moyen d’évasion pour le captif. De grandes caisses de livres soigneusement visitées étaient envoyées par ses amis à Grotius, qui leur retournait leur envoi quelques jours plus tard ; peu h peu la surveillance se relâcha ; les soldats s’habituèrent à voir circuler les caisses et négligèrent d’en inspecter le contenu. C’était l’occasion qu’attendait Mm<> Grotius. Elle proposa à son mari de se blottir dans une caisse et de s’évader ainsi sur les épaules d’un robuste commissionnaire, pendant que, pour déjouer les soupçons, elle resterait prisonnière à sa place. (Je projet original fit sourire Grotius ; mais, après avoir réfléchi quelques instants, il le regarda comme impraticable ; il ne se décida qu après que sa femme lui en eût faitvoir la possibilité. Un jour la caisse franchit de nouveau les murs de la prison, Grotius l’ouvre avec empressement et qu’y trouve-t-il ? sa femme, blottie aux lieu et place des gros in-8c. Vaincu par cette touchante démonstration, Grotius consentit enfin à essayer du même stratagème, qui réussit à merveille. C’était le 22 mars 1621. Quelques jours après, il était réfugié en France. Mm« Grotius, restée dans la cellule de son mari, y passa plusieurs jours et plusieurs nuits, afin de donner au prisonnier le le temps de gagner Anvers. Elle mangeait avidement le pain noir qui lui était passé par le guichet ; mais, enfin, on s’aperçut de la fraude et, dans le premier moment, le gouverneur, furieux d’avoir été si bien joué, prescrivit qu’on garrottât étroitement la pauvre femme et alla jusqu’à lui intenter un procès criminel. Il y eut des juges qui poussèrent la haine jusqu’à demander quelle fût retenue en prison a la place de son mari. Une requête présentée aux états généraux fit ordonner son élargissement,

« Une telle femme, dit Bayle, mériterait une statue dans la république des lettres ; car c’est à son courageux stratagème que l’on doit les excellents ouvrages que Grotius a mis au jour et qui ne seraient jamais sortis aes ténèbres de Lœvenstein, s’il y eut passé toute sa vie. ■ Grotius, dérogeant une fois à ses habitudes de solennelle gravité, a chanté avec enjouement, dans une pièce de vers latins, ce.t épisode singulier de sa vie et co trait touchant d’amour conjugal.

«ROTIUS (Guillaume), jurisconsulte hollandais, frère du célèbre jurisconsulte, né à Delft en 1597, mort en 1662. Il suivit la carrière du barreaTi et devint avocat de la Compagnie des Indes (1639). Une affection très-vive le Hait a son frère aîné, qui avait dirigé ses études et dont il recueillit les poésies latines. On a de Guillaume Grotius : Isagoge ad praxin fori batavici (Amsterdam, 1655, in-4o) ; Enchiridion de principiis juris naturalis (La Haye, 1CS7) ; De vitis jurisconsultorum quorum in Pandectis exstanl nomina (Leyde, 1690, in-4o).

GROTIUS (Pierre), homme d’État et diplomate hollandais, né en 1610, mort en 1680. Il était le second fils de Hugues Grotius. Il étudia sous le savant Vossius, s’adonna particulièrement à la jurisprudence, fut nommé

conseiller pensionnaire d’Amsterdam en 1660 et envoyé, en 1GG7, en Danemark et en Suède comme ambassadeur. L’habileté diplomatique dont il donna alors des preuves lui valut d’être désigné, deux ans plus tard, pour représenter la république auprès de Louis XIV. Lorsque éclata, en 1672, la guerre entre la France et la Hollande, Pierre Grotius revint dans son pays, siégea aux états généraux, s’y montra, comme son père, partisan déclaré des institutions républicaines, fut contraint de s’expatrier, lors de l’émeute suscitée par les orangistes et dans laquelle les frères de Witt furent mis en pièces, et rentra en Hollande après un exil de deux ans. Compromis quelque temps plus tard et arrêté sous l’inculpation d avoir trahi des secrets d’État, Grotius obtint un acquittement ; mais, à partir de ce moment, il vécut dans la retraite. Il a publié les œuvres théologiques de son père (1679 ; 4 vol. in-fol.).

GROTKAU, ville de Prusse, province de Silésie, ch.-l. du cercle do son rom, "régence et à 35 kilom. O. d’Oppeln ; 3,500 hab. Fabrication de tabac ; industrie agricole.

GROTO ou GROTTO (Louis), poète vénitien, dit l’Aveugle d’Adria, né à Adria en 1541, mort en 1585. Il perdit la vue huit jours après sa naissance, mais s’appliqua tout jeune à l’étude et devint un sujet d’étonnement et d’orgueil pour ses compatriotes. A quatorze ans, il prononçait une harangue publique devant la reine de Pologne, qui visitait alors Venise, et d’autres villes d’Italie le chargèrent da composer des discours pour des cir GROU

constances solennelles. On a de lui des tragédies, Adriana, Dalila ; des comédies, Emiïia, II Tesoro. VAlteria ; des pastorales, Calisto et II pentimento amoroso ; des Lettres familières (1601). Ses diverses œuvres ont été réunies et publiées à Venise (1598, in-4"). On y trouve de l’esprit, mais beaucoup d’affectation, peu de goût et de décence et une fouie de jeux de mots, le plus souvent saugrenus. GROTON, bourg des États-Unis d’Amérique, dans l’Elat de Connetticut, sur la rive gauche de la Thames, qui le sépare de New-London ; 3,207 hab. Il Bourg des États-Unis, dans l’Étatde Massachusetts, à44 kilom. N.-O. de Boston, sur la rive droite du Nashau ; 2,600 hab. Académie. Il Autre bourg des États-Unis, dans l’État de New-York, à 17 kilom. d’Ithaque ; 4,000 hab.

GROTTA- FERRATA, village des anciens États pontificaux, à 23 kilom. E. de Rome, à 2 kilom. S. de Frascati ; 607 hab. On y voit une abbaye du xe siècle, fondée par saint Nil et saint Barthélémy, convertie par Jules II en une sorte de forteresse ■ et possédant une riche bibliothèque. La chapelle est ornée de belles fresques du Dominiquin ; celle qui représente l’entrevue de saint Nil avec Othon III offre les portraits du Dominiquin, du Guide et du Guerchin. Le tableau d’autel, représentant une Madone avec les saints fondateurs, est d’Annibal Carrache.

GROTTAGI.IE, ville d’Italie, prov. de Lecce, à 19 kilom. N.-E. de Tarente ; 7,839 hab. Nombreux couvents.

GROTTAMARE, ville d’Italie, prov. et à 30 kilom. N.-E. d’Ascoli, près de l’Adriatique ; 3,797 hab. Fabrication de crème de tartre et de jus de réglisse.

GROTTE s. f. (gro-te — du bas lat. crupta, grupta, dans un texte de 887, dérivé du latin crypta, caverne, qui se rapporte sans doute à la racine sanscrite kru, cacher, couvrir, protéger). Excavation naturelle ou factice, pratiquée dans le rocher ou construite avec des pierres brutes : La grotte de Fingal est creusée au milieu d’immenses colonnes prismatiques de basalte. (L. Figuier.) Les plus anciens temples de la Grèce étaient des grottes. (A. Maury.)

Dans les grottes sans fin brillent les stalactites. Tu. de Banville.

Remplissez l’air de cris en vos grottes profondes ; Pleurez, nymphes de Vaux, faites croître vos ondes.

La Fontaine.

— Syn. Grotte, antre, caverne, lanière.

V. ANTHE.

— Encycl. V. CAVERNE.

GROTTE DU CHIEN, grotte remplie de gaz acide carbonique, située près de Pozzuolo, .sur le bord du lac d’Agnano. V. Chien (grotte du).

GROTTE (Nicolas de La), organiste et compositeur français du xvie siècle. Il habita Paris de 1565 à 1583, devint valet de chambre et organiste de Henri III et jouit, comme instrumentiste, d’une grande réputation auprès de ses contemporains. Lacroix du Maine le regardait comme le plus habile joueur d’orgue et d’épinette de France et de l’étranger. Nicolas de La Grotte a mis en musique les œuvres de presque tous les postes de la Pléiade, tels que Ronsard, Bail’, Desportes, etc., etc. On a aussi de lui : Airs et chansons à trois, quatre, cinq et six parties, publiés par Jean Cavellat (Paris, 1583), et une romance intitulée : C’est mon amy. Les compositions de La Grotte sont simples et d’un style naïf.

GROTTEUIA, ville d’Italie, h il kilom. N.-E. de Gerace, dans une fertile vallée couverte de vignes et d’oliviers- 4,497 hab. Commerce de vins, d’huiles et de farines.

GROU (Jean), jésuite, traducteur et écrivain ascétique français, né près de Boulogne (Pas-de-Calais) en 1731, mort en Angleterre en 1803. Il passa en Hollande lors de la suppression de la compagnie de Jésus, défendit cette compagnie dans divers écrits, revint à Paris en 1776, et en fut éloigné de nouveau par la Révolution. On a de lui : les Lois et la République, les Dialogues de Platon (1763-1770, 6 vol. in-12), traduction estimable, regardée comme la meilleure avant celle de M. Cousin ; la Science pratique du Crucifix (1789, in-12), et Méditations en forme de retraite (1796, in-12), ouvrages de piété qui ont eu de nombreuses éditions.

GROUARD (Marie-Laure), femme poste, née en Normandie en 1822, morte à Paris en 1843. Elle vint à Paris en 1842, avec l’espoir de se faire, par son talent littéraire, une modeste position. Elle s’y éteignit d’une maladie de poitrine, après avoir mis au jour (1843) son recueil de vers intitulé : les Eglantines. M. Th. de Banville a donné, en 1844, une édition de ses. œuvres, avec notice biographique et portrait.

GROURENTALL DE L1MERE (Marc-Ferdinand db), littérateur, né à Paris en 1739, mort dans cette ville en 1815. Doué d’une vive intelligence, il commença par faire des sermons qu’il vendait a des prédicateurs, puis devint secrétaire du maire de Rennes. Envoyé en mission à Paris, il se lia avec les gens de lettres, notamment avec Dulaurens, composa avec lui des odes satiriques, intitulées les Jésuitiques, fut arrêté pour cette publication, mais relâché peu de temps après. Sa correspondance avec Dulaurens, qui B’était réfugié

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en Hollande, étant tombée entre les mains de la police, Groubentall fut conduit à la Bastille (1762), d’où il sortit au bout de quelques mois, sur la demande de son père. Depuis cette époque, il vécut dans l’obscurité. On a de lui : irus ou le Savetier du coin, poème (Genève, l 760, in-8o) ; le Sexe triomphant, poème (1760, in-8<>) ; Y Antimoine ou Considérations politiques sur les moyens et la nécessité d’abolir les ordres monastiques en France (1790) ; Conseils de la sagesse à la nation française (1795).

GItOUBER DE GROUDENTAL, économiste français, né en Allemagne dans la première moitié du xvnr8 siècle, mort dans les premières années du xixe siècle. Il exerça, avant la Révolution, la profession d’avocat au barreau de Paris. Cet écrivain, qu’on a souvent confondu avec Groubentail de I.inière, a publié, entre autres ouvrages : la Finance politique réduite en principe et eu pratique (Paris, 1775, in-8o) ; Théorie générale de l’administration des finances (Paris, 1788,2 vol. in-8u) ; Moyens assurés de parvenir à la formation d’un système général de finance en France (Paris, 1800, in-S°) ; Principes élémentaires de gouvernement pour parvenir à l’établissement d’une Constitution générale (Paris, !802, in-8o).

    1. GROUCHY ou GROUCHÉ (Nicolas), en latin Gruchius, érudit français #

GROUCHY ou GROCCHÉ (Nicolas), en latin Gruchius, érudit français, né à Rouen vers 1520, mort en 1572. Il se livra à l’enseignement du grec à Bordeaux et à Coïmbre, revint en France pendant les guerres de religion, professa le protestantisme, ce qui le força à mener une vie errante et malheureuse, et fut enfin appelé à prendre la direction du collège de La Rochelle. Il venait d’entrer en fonctions lorsqu’il mourut. Ce savant, dont de Thou faisait le plus grand cas, a publié, entre autres ouvrages : Dialecticæ præscriptiones (Paris, 1552) ; De comitiis Romanorum (Paris, 1555) ; Elenchi sophistici (Paris, 1556) ; De conjugiis romanis (Venise, 1568) ; Histoire des Indes de Portugal (1553), traduite de Fernand Lopez de Castaneda.

GROUCHY (Emmanuel, marquis DE), maréchal de France, né à Paris en 1768, d’une ancienne famille de Normandie, mort en 1847. Ce général, on ne l’ignore pas, a été l’objet de beaucoup de controverses à propos de son rôle à la bataille de Waterloo, qu’on l’accuse communément d’avoir fait perdre par son inertie. Mais donnons d’abord le résumé de sa vie militaire, qui ne fut pas sans éclat. Il entra au service à l’âge de treize ans, et il était sous-lieutenant aux gardes du corps lorsque éclata la Révolution, dont il embrassa la cause avec le généreux enthousiasme de la jeunesse. Il devint rapidement général, combattit en Savoie et en Vendée, fut destitué, comme noble, pendant la Terreur, mais réintégré l’année suivante, et adjoint au général Hoche, qu’il seconda dans l’expédition de Quiberon et dans l’expédition avortée d’Irlande (1796). Il passa ensuite à l’armée d’Italie, parvint, par un coup de main hardi, à déterminer l’abdication du roi de Sardaigne en faveur de la France, et montra un courage héroïque à la malheureuse bataille de Novi, où il tomba, atteint de quatorze blessures, entre les mains des Russes. Échangé après Marengo, il reçut le commandement d’un corps d’armée, prit une part glorieuse, sous Moreau, à la bataille de Hohenlinden, puis se distingua à Ulm, à Eylau et à Friedland. Il avait voté contre le consulat, et il s’était honoré en prenant la défense de Moreau, son ancien chef et son ami ; néanmoins, il reçut, en 1808, le gouvernement de Madrid, se distingua de nouveau à Raab et à Wagram, commanda un des trois corps de cavalerie de la grande armée, dans la campagne de Russie, et, par son intrépidité à Wilna, Krasnoé, Smolensk, la Moskowa, fut jugé digne de commander, pendant la retraite, l’Escadron sacré, débris des cadres de nos héroïques légions.

Tombé dans une sorte de disgrâce en 1813, il ne reprit un commandement que dans la lutte suprême de l’année suivante, soutint sa réputation pendant la campagne de France, et fut blessé assez grièvement au combat de Craonne. Mis à l’écart par la Restauration, il reçut, au retour de l’Île d’Elbe, le commandement de l’armée du Midi (1815), contraignit le duc d’Angoulême à capituler, et fut élevé à la dignité de maréchal de France. Au début de la campagne si courte et si tragique de 1815, il eut sous ses ordres la cavalerie de réserve, et joua un rôle extrêmement brillant à la bataille de Ligny.

Ici nous touchons à Waterloo.

Au lendemain de Ligny, c’est-à-dire le 17 juin, Napoléon donna à Grouchy le commandement d’un corps d’armée de 35,000 hommes, avec ordre de poursuivre les Prussiens, d’empêcher Blücher de faire sa jonction avec Wellington. D’après la légende longtemps reçue, la conduite de Grouchy, depuis cette matinée du 17 jusqu’à la soirée du 18, n’aurait été qu’une suite de bévues, un enchaînement de fautes plus grossières les unes que les autres ; enfin la bataille de Waterloo eût été gagnée par Napoléon, si le maréchal n’eût laissé passer les Prussiens ou fût accouru sur le terrain avec son corps d’armée. M. Thiers, toujours favorable aux données populaires et napoléoniennes, n’a fait que confirmer cette version complaisante, écho du Mémorial de Sainte-Hélène. Napoléon, en effet, suivant son invariable coutume de rejeter ses propres fautes sur ses lieutenants, a imputé la perte de la bataille, nettement, formellement, à Ney et à Grouchy, l’un fusillé, l’autre proscrit pour sa cause. Ces allégations, soutenues par d’autres témoignages, ont donné lieu à différentes publications. Grouchy, encore en exil, fit paraître en 1819 un mémoire justificatif ; quelques assertions contenues dans ce mémoire furent alors combattues ; la publication d’un poëme de Méry et de Barthélémy vint réveiller cette controverse. Le général Gérard, depuis maréchal, alors député de la Dordogne, dans le camp de l’opposition, y prit part, et publia un écrit intitulé : Quelques documents sur la bataille de Waterloo, propres à éclairer la question portée devant le public par M. le marquis de Grouchy (brochure in-8oj.

Il y a déjà de la malveillance dans ce titre : Grouchy était marquis, sans doute, mais il était général, titre qui, aux yeux de M. Gérard, devait valoir mieux que l’autre, et qu’en bon camarade il eût dû préférer donner à celui qu’il voulait combattre.

Mais passons.

Le point sérieux du débat est celui-ci : Grouchy commandait un corps d’armée séparé du corps de bataille et opérant sur la droite. Il avait ordre de suivre Blücher, qui se retirait du côté de Namur, mais qui déroba habilement sa marche au général français au moyen d’une forte arrière-garde, passa la Dyle à Wavres et revint sur Waterloo opérer sa jonction avec les Anglais et décider la victoire.

Le matin du 18, Grouchy marcha sur Wavres, lorsqu’il entendit une forte canonnade sur sa gauche : c’était le canon de Waterloo. S’il eût marché sur le canon, il eût, dit-on, en prenant part à l’action principale, opéré une diversion puissante qui, peut-être, eût changé les résultats de cette funeste et mémorable journée. Pour ne l’avoir pas fait, Grouchy allégua ses ordres, qu’il n’aurait pu modifier, en y contrevenant, qu’en prenant sur lui une grave responsabilité, et en vertu d’une certitude qu’il n’avait pas. Mais ce n’est pas tout ; non-seulement on disait que Grouchy n’avait point eu l’idée de marcher sur la gauche, mais qu’il avait expressément rejeté le conseil que lui donnait le général Gérard, de manœuvrer en ce sens. Ce fait est contesté dans le mémoire de 1819, qui contient, en outre, quelques observations défavorables au 4e corps.

Le général Gérard n’avait point d’abord répondu ; d’autres l’avaient fait pour Lui ; mais, quant à lui, il pensait sans doute que la situation malheureuse d’un ancien compagnon d’armes lui prescrivait le silence. Mais ce motif n’existant plus en 1828, et comme la question venait d être relevée dans un sens contraire au sien, il crut de son devoir de s’expliquer. Dans la brochure qu’il publia à cette époque, le commandant du 4e corps se justifie sans doute de tout reproche, mais il n’y prouve pas que Grouchy en ait eu à se faire, Gérard y dit bien qu’il avait ouvert, le 18, entre onze heures et midi, l’opinion de faire manœuvrer un corps d’armée, avec quelque cavalerie, sur le canon de l’Empereur. « Je n’ai pas la présomption de dire, ajoute-t-il, que dans ce moment je calculais les immenses résultats qu’aurait produits cette manœuvre, comme l’événement l’a prouvé, si elle eût été exécutée ; en manifestant cet avis, je n’étais frappé que de l’idée, du reste fort simple, de nous lier avec les troupes de gauche. » Tout cela est fort bien, et peut entrer comme témoignage dans le grand procès d’art militaire dont la bataille de Waterloo est le sujet, mais ne prouve pas que le général Grouchy, qui croyait encore avoir les Prussiens devant lui, ait dû prendre sur lui d’exécuter une manœuvre que ses ordres lui prescrivaient de ne pas faire. Il a pu être malhabile dans une circonstance suprême où le succès fait absoudre de la désobéissance ; mais il y a loin de là à un mauvais dessein prémédité et surtout à cette persistante et terrible accusation de trahison, que les partisans trop zélés de Napoléon ont voulu et veulent encore attacher au nom de Grouchy. Sa conduite postérieure le justifie d’ailleurs suffisamment de ce banal reproche de trahison.

Son fils, sénateur du second Empire, a publié, en 1864 (Paris, Dentu, in-12), une brochure destinée à réfuter une partie des assertions de M. Thiers, et qui est intitulée : le Maréchal Grouchy du 16 au 19 juin 1815. Sans doute, on doit se tenir en garde contre ces apologies de famille ; mais ce travail contient des détails intéressants, et nous devions l’indiquer comme une des pièces du procès. Mais il y a des études plus profondes et plus concluantes, parce qu’elles embrassent tout l’ensemble des opérations. Pour avoir une idée exacte et de cette terrible défaite et de l’épisode qui nous occupe, il est absolument indispensable de lire les derniers travaux, et spécialement l’Histoire de la campagne de 1815, par Charras, et le livre de M. E. Quinet sur le même sujet (Paris, Michel Lévy, 1862). La question qui nous occupe est complètement élucidée dans ces ouvrages de premier ordre, qui, sortant de la donnée commune, s’appuyant sur une masse de matériaux, ont porté la lumière sur bien des points et détruit bien des préjugés. En ce qui concerne Grouchy, qu’il ait commis des fautes, c’est ce qui paraît incontestable ; mais il ne l’est pas moins que la direction fausse dans laquelle il s’avança et s’égara lui avait été imposée par Napoléon, qui, au lieu de faire poursuivre les Prussiens dès le soir même de Ligny, et, dans la nuit, de les faire serrer de près, afin qu’il ne pussent nous dérober un seul de leurs mouvements,