Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 8, part. 2, Fj-Fris.djvu/60

Cette page n’a pas encore été corrigée

474

FLEU

du lys, symbole de l’espérance, contenant la juste défense de sa gloire, dignité et prérogatiaes, etc., par Jean Tristan de Suint-Amand (Paris, 165C, in-4o, fig.) ; Lilium Francienm véritute historien, botunica et heraldica illustralum, auctore Joa.-Jac. Chifletio (Anvers, 1658, in-fol.j avec grav.) ; R. P. Joa, Fev- raridi, Aniciensis, E/iiuicioii pro liliis, sine pro uureis Francise liliis, aduersus D. lo. lue. Clnfhtwm, upes pro illîs suffiiere nuper audentem (Lyon, 1863-1667, in-i°) ; Epinicioa setundum pro iisdem liliis, auctore P.-J. Ferrando (Lyon, 1671, in-4o) ; Traitté historique des armes de France et de Navarre et de leur origine, par P.-Se. de Saiiite-Martha (Paris, 1673, in-12, avec blasons) ; Dissertation sur l’origine de la figure des fleurs de lys, par Pierre Rainssant (Paris, 1678, in-4<>) ; liecherc/tes sur les fleurs de lys, par J.-B. Durey de Noinville, dans le Dictionnaire généalogique et héraldique, par La Chesnaye des Bois (t. III, lre édic.) ; De Lohensohiold, De /tarions lyyiis vulgo lilia vocalis, reyni Gallim insiynibus (Tubingue, 1758, in-4 » ) ; Iconographie des plantes aroïdes figurées « umoj/fuàye en Picardie, et considérées comme origine de la fleur de lis en France, par E.-J. Woillez (Amiens, 18-18, in-8o, avec ; 10 pi. ; extr. des AJëm. de la Hoc. desantir/. de Picardie, t. IX). Langage des fleurs. Abécédaire de Flore, ou Langage des fleurs, méthode nouvelle di> figurer avec des fleurs les lettres, les syllabes et les mots…, par B.’de La Chénaye (Paris, 1811, in-8o, lig.) ; le Langage des fleurs, par Mm « de Latour (Paris, 1820, in-18) ; le Langage des fleurs, par Pierre Zaccone (Paris, 1862, in-12).

Peinture des fleurs. L’Art de peindre les fleuri à l’aquarelle, précédé d’un traité de botanique élémentaire, et orné d’un choix des plus belles usurs, gravées d’après les dessins de MU* Augustine Dufour(élevé de Redouté (Paris, Lequien, 1834, gr. in-4o, 36 pi. color.). Flcnr et Blnnebefleur, poerae du xnio siècle. V. Flor et iîlakchefloh.

Fleur », fruii » et épines, roman humoristique de Jean-Paul Riohter. V. Sibbeîjkaes.

Fiour-.i épim-, conte par Hamilton (1730). Pressé par les dames de la cour de faire des contes dans le genre des Mille et une Nuits, qui étaient en grande faveur, Hamilton, esprit original, prit le parti d imiter Cervantes, qui avait écrit un livre de chevalerie pour se moquer de ce genre : il affecta de renchérir sur la bizarrerie des fictions, et de la pousser jusqu’à la folie ; mais cette folie est si gaie, si piquante, si bien assaisonné » de plaisanteries, relevée par des saillies si heureuses et si imprévues, qu’on y reconnaît à tout moment un homme bien supérieur aux bagatelles dont il ?’amuse. Ce n’est pas tout : dans Fleur-d’épine, oui est son chef-d’œuvre, outre des traits d uni. vérité charmante, on trouve beaucoup d’intéi "t dans les caractères et les situations. L’objb.’. qui est moral et très-agréablement rempli, consiste a montrer qu’avec beaucoup d’esprit, de oC « rage et d’umour un homme sans beauté et u*.>’fortune peut vaincre les plus grands obstacle4 et que, prés des femmes, la grâce l’emporte sur La beauté. Hamilton devait, en effet, vanter la grâce, car son style en est plein.

Le calife de Cachemire avait une fille nommée Luisante, plus belle que le jour, et dont les yeux avaient tant de vivacité et d’éclat, qu’ils aveuglaient les imprudents qui osaient la contempler. Un ècuyer, nommé Tarare, fut envoyé consulter la fée Sirène pour remédier à ce malheur, qui menaçait de transtoviner l’empire du calife en royaume des aveugles. La fée exigea le portrait de Luisante, sa tille Fleurd’epine qu’on lui avait ravie, le chapeau de diamants qu’elle portait lors de son enlèvement et sa jument, Sonnante, qui avait à chaque crin une sonnette d’or. Tarare se chargea de tout. 11 se confectionna des lunettes d’un ver obscur et rit le portrait de Luisante, et pendant ce travail, « le peu de brillant de sa figure n’empêcha pas celui de son esprit de faire le même effet que s’il eût été le mieux, fait des hommes, » si bien que Luisante en tomba amoureuse, il partit ensuite et ramena l « ’leurd’epine, son chapeau et sa jument, après mille aventures plus extraordinaires les unes que les autres, notamment la rencontre de son frère Phénix, métamorphosé eu perroquet ; mais ils n’avaient pu se voir sans s’aimer avec Kleur-d’épine. Il l’épousa, et Luisante devint la femme de Phénix, qui avait recouvré sa forme humaine.

Noua avons dit que le style d’Hamilton est plein de grâce ; le brillant écrivain réussit, en outre, par son naturel dans les peintures du cœur. Il suffit, pour le prouver, de se rappeler le tableau de Tarare, emmenant avec lui, sur la jument Sonnante, Fleurd’épine qu’il a tirée des mains de la fee Deiitue, son ennemie, et qui ne le connaît encore que pour son libérateur, mais qui, à ce seul titre, commence déjà a se sentir de l’inclination pour lui. On ne trouve point ici de ces conversations de romans mille l’ois répétées dans des situations analogues. Hamilton sait s’y prendre autrement pour nous faire lire dans le cœur de Fleur-d épine. Tarare lui raconte, chemin faisant, comme il a été choisi pour peindre la belle Luisante dont les yeux causuient tant de ravage. « Vous l’avez donc souvent regardée ? demande Fleur-d’èpine.

— Oui, dit-il, tout autant que je l’ai voulu, et sans aucun danger, comme je viens de vous

FLEU

le dire. — L’avez-vons trouvée si merveilleusement belle qu’on vous l’avait dit ? — Plus belle mil ! <î fois, répondit-il. — On n’a que faire de vous demander, ajouta-t-elle, si vous en êtes d’abord devenu passionnément amoureux ; mais dites-m’en la vérité. » Tarare ne lui cache rien de ce qui s’est passé entre lui et la princesse, pas même l’assurance qu’elle lui a donnée de l’épouser en cas qu’il réussît dans son entreprise. Fleur-d’épine ne l’a pas plus tôt compris que, repoussant les mains dont il la tient embrassée, elle se redresse, au lieu de rester penchée sur lui comme auparavant. Tarare continue son discours sans faire semblant de rien:« Je ne sais, dit-il, quelle heureuse influence avait disposé le premier penchant de la princesse en ma faveur, mais je sentis bientôt que je n’en étais pas digne par les agréments de ma personne, et que je le méritais encore moins par les sentiments de mon cœur ; car je no me suis que trop aperçu depuis que l’amour que je croyais avoir pour elie n’était tout an plus que de l’admiration. Chaque instant qui m’en éloignait effaçait insensiblement son idée de mon souvenir, et, dès les premiers moments que je vous ai vue, je ne m’en suis plus souvenu du tout. » Il se tait, et la belle Kleur-d’épine, au lieu de parler, se laisse aller doucement vers lui comme auparavant et appuie ses mains sur celles qu’il remet autour d’elle pour la soutenir. Dans la foule des peintures que l’amour a fournies, il n’y en a peut-être pas une qui soitala fois plus vraie et plus gracieuse. « Elle remplit, dit un critique, le cœur de l’idée d’un de ces moments délicieux qui sont faits pour lui et qui sont pour lui d’un prix d’autant plus grand qu’il semble que tout, ce que l’amour promet soit encore au-dessus de tout ce qu’il peut donner. »

Fleur d’or (la), poème intitulé primitivement les Ternaires, par Auguste Brizeux (Paris, 1841). Brizeux avait donné toute son ame dans Marie ; il voulut, dans la Fleur d’or, donner toute son intelligence, tout son esprit, et à l’émotion naïve qui remplissait son premier poème, il substitua la science et la philosophie. Auguste Barbier, son ami, venait de s’illustrer par la publication des/amles et s’apprêtait à partir pour l’Italie, d’où il devait rapporter son beau poème à’Il Piantû. Brizeux le suivit, et la Fleur d’or est le résumé de ses impressions artistiques et philosophiques pendant ce voyage. Cette fois, disons-nous, le poète sacrifia plus à la raison qu’au sentiment; mais, même lorsqu’il veut n’avoir d’yeux que pour la nature méridionale, lorsqu’il s’efforce de concentrer son attention sur les chefs-d’œuvre de l’art italien, on sent que son cœur est resté dans sa chère Bretagne qu’il aime tant, et que tout ce qu’il voitsert à la lui rappeler. Tout lui est prétexte à nous ramener là-bas vers son pays natal, au bord de la mer : t Que vienne à passer un pauvre Italien jouant de la piva, dit M. Ratisbonne, il ferme ses yeux au soleil rouge qui se reflète dans le Tibre, et croit entendre sonner le enru-boud rustique dans les brouillards d’Arvor. Est-il au détroit de Messine, où le peuple vient voir se réfléchir miraculeusement, sous la baguette de la fée Morgane, les beaux rivages de la Sicile, lui, par un miracle plus étrange de la fée Imagination, il découvre dans les flots les paysages de l’Armorique, la tour de Léon elles pics de Cornouailles ! » La Fleur d’or contient bon nombre de pages d’une grande beauté, fortement pensées et écrites dans le style harmonieux et pur des meilleurs morceaux de Marie.

Deux pièces méritent surtout d’être citées dans les Ternaires. L’une est Jacques le maçon, et l’autre le Vieux collège. Jacques le maçon nous présente l’idéal du dévouement et de l’abnégation. Il s’agit d’un ouvrier jeune et vigoureux qui voit le danger, qui pourrait sauver sa vie, et qui la sacrifie, sans hésiter,

pour ne pas livrer au dénûment une veuve

et des orphelins. « Les âmes les plus engourdies, dit Gustave Planche (Études littéraires), ne peuvent se défendre d’un frisson d’épouvante, ni retenir un cri d’admiration en voyant ce héros, dont l’histoire ne sait pas le vrai nom, s’élancer au-devant de la mort pour assurer le pain d’une pauvre famille. » Le Vieux collège réalise, sous une forme heureuse et sans trop d’effort, l’alliance de la philosophie et de la poésie. Dans cette pièce, pleine à la fois d’onction et de sévérité, les faits et les pensées s’enchaînent si naturellement, que le lecteur n’a pas le temps d’apercevoir la leçon, cachée sous le récit. Ce vieux collège où Brizeux a passé ses premières années, au milieu des jeux et de l’étude, est maintenant habité par des vieillards fiévreux qui viennent s’asseoir sur des bancs de pierre et réchauffer leurs membres tremblants. Les naïves espérances du premier âge, les épreuves de l’âge înùr. les souffrances de ht vie à son déclin, se présentent aux esprits les plus frivoles, et lorsque le poète formule la leçon contenue dans ce rapprochement douloureux, il trouve sa besogne à moitié faite. On a déjà compris le mot de la touchante énigme.

M. de Pontmartin a raison lorsqu’il dit que chez Brizeux, • la corde italienne n’est qu’une corde étrangère ajoutée à l’instrument original, pour le rendre plus sonore et plus varié ; et que s’il veut grossir son trésor, s’il veut butiner sous un autre ciel d’autres fleurs de poésie, c’est pour les rapporter a ses compa FLEU

triotes, a ses frères, pour les acclimater, en

un mot, dans sa chère Bretagne :

Pour vous, 4 Bretons, voyez mon amour, Comme en tout pays et de plage en plage Je m’en vai3, semant cette fteur sauvage, Qui devant vos pas doit fleurir un jour !


Fleurs du mal (LES), poésies par Charles Baudelaire (Paris, 1857). Il s’est fait beaucoup de bruit autour de ces poésies étranges, qui ont révélé au monde littéraire un écrivain des plus saisissants, des plus habiles à manier la langue, en même temps qu’elles ont exaspéré la plupart des critiques et des lecteurs. La forme savante de ces pièces de vers, si curieusement travaillées, l’originalité le plus souvent bizarre des conceptions, l’énergique concentration de la pensée, concentration qui va parfois jusqu’à l’obscurité complète, empêcheront toujours qu’elles soient goûtées du grand nombre ; de plus, les dépravations morales, les décompositions, les pourritures, tes pestilences, qui sont les sujets ordinaires du poëte, éloigneront sans doute de lui certains lecteurs délicats. Avouons cependant qu’on peut lire les Fleurs du mal sans se boucher le nez, comme si on traversait une salle de dissection. La pensée de la mort, du squelette, de ce que deviennent les plus beaux corps « après les derniers sacrements » est, il est vrai, la plus grande préoccupation de Baudelaire, et presque toujours il y arrête ou y ramène son esprit ; mais à côté, et comme un antidote aux puanteurs qu’il a remuées, que de vers exquis sur les parfums ! Il y a des gens qui trouvent que l’on rencontre dans ses vers encore plus de musc, de benjoin, de myrrhe, d’oliban et de toute espèce d’aromates que de cadavres ; et, en effet, il a dit de lui-même, bien poétiquement, que « son esprit nageait sur les parfums comme l’esprit des autres hommes vogue sur la musique. »

Une analyse de ces poésies serait trop sèche et trop incomplète:on n’analyse pas le rêve, l’incohérence, l’hallucination, l’idée fixe ; il faut lire ces pièces, dans lesquelles chaque mot est ciselé, chaque expression polie et caressée avec amour; et même, un choix de quelques-unes de ces conceptions singulières ne donnerait pas une idée suffisante du volume, car c’est dans leur suite, dans leur juxtaposition, qu’on peut saisir le développement de la pensée principale, comme dans une œuvre d’architecture un simple fragment ne pourrait pas servir à reconstruire le reste.

Nous nous contenterons de donner, sur les Fleurs du mal, les opinions, peu divergentes au fond, de deux critiques cependant bien dissemblables:MM. Théophile Gautier et de Pontmartin. Voici comment le premier explique et excuse le choix des sujets de Baudelaire. « S’il a souvent traité des sujets hideux, répugnants et maladifs, c’est par cette sorte d’horreur et de fascination qui fait descendre l’oiseau magnétisé dans la gueule du serpent ; mais, plus d’une fois, d’un vigoureux coup d’aile, il rompt le charme et remonte vers les régions les plus bleues de la spiritualité. Personne n’a professé pour les turpitudes de l’esprit et pour les laideurs de la matière un plus hautain dédain ; il haïssait le mal comme une déviation à la mathématique et à la norme, et, en sa qualité de parfait gentleman, il le méprisait comme inconvenant, ridicule, bourgeois et surtout malpropre. Si son bouquet se compose de fleurs étranges, aux couleurs métalliques, aux parfums vertigineux, dont le calice au lieu de rosée, contient d’âcres larmes ou des gouttes d’aqua-tofana, il peut répondre qu’il n’en pousse pas d’autres dans le terreau noir et saturé de pourriture, comme un sol de cimetière, des civilisations décrépites. Sans doute les wergiss-mein-nicht, les roses, les marguerites, les violettes, sont des fleurs plus agréablement printanières, mais il n’en croît pas beaucoup dans la boue noire dont les pavés de la grande ville sont sertis, et d’ailleurs, Baudelaire, s’il a le sens du grand paysage tropical, où éclatent, comme des rêves, des explosions d’arbres d’une élégance bizarre et gigantesque, n’est que médiocrement touché par les petits sites champêtres de la banlieue, et ce n’est pas lui qui s’ébaudirait, comme les philistins de Henri Heine, devant la poétique efflorescence de la verdure nouvelle, et se pâmerait au chant des moineaux. Il aime à suivre l’homme pâle, crispé, tordu, convulsé par les passions factices et le réel ennui moderne, à travers les sinuosités de cet immense madrépore de Paris, à le surprendre dans ses malaises, ses angoisses, ses misères, ses prostrations et ses excitations, ses névroses, ses désespoirs. »

Cette page est détachée de l’excellente étude placée en tête de la dernière édition des Fleurs du mal (Michel Lévy, 1869), une des plus belles œuvres de Théophile Gautier ; jamais poète n’a été si bien analysé, si bien compris et suivi avec autant de soin dans tous les détours de son imagination capricieuse. On va voir que M. de Pontmartin, quoique placé à un point de vue bien différent, se rapproche beaucoup, dans ses conclusions, de celles de Théophile Gautier.

« M. Baudelaire, dit M. de Pontmartin, est assurément un des plus curieux produits d’une littérature dont le faisceau se brise, un frappant exemple de l’excès où peut tomber le sens individuel, lorsque, n’ayant plus ni lien, ni frein, ni loi, il combine un remarquable talent d’artiste avec des rêves d’halluciné. Rien de plus facile que d’attaquer l’auteur des Fleurs du mal par de vulgaires sarcasmes ou des formules d’indignation vertueuse. M. Baudelaire, selon nous, mérite mieux et plus que cela ; il y aurait peut-être à lui appliquer une étude psychologique, ou même physiologique, qui ne serait pas inutile à l’ensemble de notre histoire littéraire… C’est le sens personnel qui a absorbé le sentiment général ; c’est le germe maladif qui est devenu l’organe tout entier. C’est ainsi que peut s’expliquer la poésie de M. Baudelaire. Nous le croyons sincère dans son excentricité, et nous reculons devant le lieu commun qui consisterait à le traiter d’immoral. Ce gros mot perdrait de sa valeur vis-à-vis d’un homme pour qui se sont naturellement déplacées les idées du bien et du mal, et dont l’instrument poétique ne résonne plus que sous la main des puissances mauvaises. Comme ces malades qui trouvent ou donnent un arrière-goût de fièvre à tout ce qu’ils touchent, pour qui les aliments les plus savoureux et les plus sains deviennent indigestes et amers, M. Baudelaire ne peut plus aspirer une gorgée de poésie sans que cette gorgée s’imprègne de venin ou d’amertume. Pour lui, les mondes extérieurs ou invisibles sont hantés par le mal comme par leur hôte naturel, infestés de visions farouches, de laideurs gigantesques, de corruptions étranges, de perversités inouïes, de toutes les variétés de la souffrance, de la scélératesse et du Vice ; les fleurs y sont vénéneuses et y exhalent un parfum pestilentiel; les sources y sont empoisonnées, et l’on ne peut se pencher sur leur frais miroir sans y voir la pâle figure d’un spectre ou d’un condamné à mort. »

On range d’ordinaire parmi les morceaux les plus remarquables:Abel et Caïn, le Reniement de saint Pierre, le Vin des chiffonniers, la Martyre, le Vin de l’assassin, Don Juan aux enfers et les Tableaux parisiens. Ce sont autant de morceaux d’une parfaite ciselure, et qui méritent à leur auteur la réputation d’artiste consommé dont il jouit. Des poursuites judiciaires ont été dirigées contre les Fleurs du mal, dont plusieurs pièces ont été frappées d’interdiction comme attentatoires à lu morale publique. Une édition nouvelle a donc été faite, expurgée au moins en partie ; les pièces supprimées ont été publiées à part à Bruxelles (1869, broch. in-18). Nous n’en dirons rien ; la perfection de la forme gaze vraiment trop peu, dans les Femmes damnées, le Vampire et Celle gui est trop gaie, de monstrueuses dépravations et une sensualité pur trop cynique.

Nous citons le morceau type du volume de Baudelaire :

UNE CHAROGNE.

Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,
     Ce beau matin d’été si doux :
Au détour d’un sentier une charogne infâme
     Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,
     Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique
     Son ventre plein d’exhalaisons.
Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
     Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
     Tout ce qu’ensemble elle avait joint.
Et le ciel regardait la carcasse superbe
     Comme une fleur s’épanouir ;
La puanteur était si forte que sur l’herbe
     Vous crûtes vous évanouir.
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
     D’où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
     Le long de ces vivants haillons.
Tout cela descendait, montait comme une vague,
     Ou s’élançait en pétillant.
On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,
     Vivait en se multipliant.
Et ce monde rendait une étrange musique,
     Comme l’eau courante et le vent,
Ou le grain qu’un vanneur, d’un mouvement rhythmique,
     Agite et tourne dans son van.
Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,
     Une ébauche lente à venir
Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève
     Seulement par le souvenir.
Derrière les rochers, une chienne inquiète
     Nous regardait d’un œil fâché.
Épiant le moment de reprendre au squelette
     Le morceau qu’elle avait lâché.
Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
    À cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
    Vous, mon ange et ma passion !
Oui, telle vous serez, ô la reine des Grâces,
    Après les derniers sacrements.
Quand vous irez sous l’herbe et les floraisons grasses
    Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté, dites à la vermine,
    Qui vous mangera de baisers,
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
    De mes amours décomposés.

Il y a là une vigueur incontestable : on peut regretter que tant de verve ait été dépensée sur un sujet si répugnant, mais, pour mieux faire ressortir l’originalité de ce morceau, constatons qu’il n’est qu’un développement du mot de l’Écriture : Mémento homo quia pulvis es ! et qu’il découvre, dans sa dernière strophe, une aspiration spiritualiste bien inattendue.