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laient sans craindre les piqûres de l’aiguille ; elles habitaient des mansardes, ornées surtout de quelques jolis pots de Heurs placés à la vieille fenêtre ; elles aimaient leurs amants sans songer à se faire enrichir ni épouser, sans autre prétention que celle de passer avec eux ces années de jeunesse envolées si vite ; et, le rêve fini, elles continuaient bravement leur travail quotidien : elles cousaient ! Rentrées dans leur humble sphère, elles se faisaient, de leurs fuyantes amours, des souvenirs à. charmer toute une vie âpre et laborieuse. Les étudiants, eux, avaient le courage de les aimer sans ruiner pour elles leurs familles... » C’est dire que, du jour où ('étudiant s’est mis en tète d’être beau comme une gravure de mode, d’être verni, frisé, ganté, sa compagne a dû subir une métamorphose analogue. IL l’a voulue, non pas rieuse, épanouie, aimante, prête h toutes les misères comme à tous les plaisirs, mais habillée de soie, de velours, pommadée, poudrée, cachant sous des gants des mains qui ne travaillaient plus. Un cieau jour elle s est laissé offrir un parapluie à deux roues, style priental, et elle s’en est allée vers les régions où s’ensevelissent toutes les gaietés à l’ombre des lansquenets et des baccarats clandestins. Ceux qui avaient mission de la conserver l’ont donc tuée, et si bien tuée qu’aujourd’hui noussommes autorisés à nous poser cette question : Existe-t-il encore des griset les ?

Oui, il en existe encore, messeigneurs ; mois, hélas 1 ce n’est plus sur les rives de la Seine qu’il faut les chercher : c’est la province qu’il faut battre à cette heure pour retrouver ce genre, disparu de la région parisienne. On a dressé de la France des cartes de toutes sortes, géographiques, astronomiques, statistiques, gastronomiques, etc. ; il nous manque une carte d’un genre tout à fait particulier, à, l’usage des voyageurs. Notre prétention n’est pas de combler cette lacune ;■ mais nous voudrions teinter des couleurs les plus aimables certaines provinces renommées encore pour leurs jolies filles. O

frisettes de Bordeaux ! grisettes aux noirs andeaux bien lisses, au madras noué coquettement sur l’oreille et retombant sur le cou, à la robe courte froncée aux hanches, au pied mignon emprisonné dans un escarpin découvert, au tabliei de soie ou fripon, rappelant celui des soubrettes de comédie ; curieuses et malicieuses sans effronterie, vives, généreuses, pétulantes avec une de.se de gravité, comme on voit bien, quand vous passez le fleuve en chantant et en mangeant des dat- ’ tes, pour aller travailler à la Bastide, ou pour aller danser à Vincennes et y manger . les royants mouillés de vin blanc ; comme on voit bien, déesses aux yeux noirs, que vous n’ignorez pas votre importance et la réputation qu’on vous a faite dans le monde entier ! Vous avez de la tenue dans votre liberté ; vous êtes coquettes et ne vous en cachez pas ; ce serait d’ailleurs* difficile, car le désir de produire de l’effet semble votre passion . principale ; mais vous conservez une dignité naturelle qui ne vous messied point. Sur la carte, nuus vous teinterions de pur carmin, riche couleur de vos lèvres et de votre vin bordelais. Mais nous ne vous demanderons

Îias cette naïve confiance qu’on trouve chez es Alsaciennes, ni cette rêverie du nord qui erre sur le front de vos blondes sœurs de Lorraine. Vous ne vous nourrissez pas d’illusions, nous le savons, et les grands sentiments glissent sur votre cœur comme le soleil sur vos joues brunies. La grisette de Strasbourg serait teinte de bleu, le bleu des bluets, le bleu des Beroiss-mein-nicht, le bleu des faïences allemandes, le bleu de ses yeux. Elle va toujours tête nue, la grisette de Strasbourg, les cheveux retenus par un large peigne imitant plus ou moins l’écaillé ; c’est une fille bien fraîche et faisant honneur à l’Alsace par sa mine appétissante et son bon cœur. Et quelle valseuse, ô mon Dieu ! Du reste, travaillant vertueusement pendant toute la semaine sans la moindre distraction, excepté quand il passe sous ses fenêtres un étudiant ou un officier d’artillerie, et à Strasbourg il y a toujours beaucoup d’artilleurs et d’étudiants qui passent sous les fenêtres. S’il n’est pas beaucoup pardonné à la grisette strasbourgeoise, c’est qu’il ne faut plus croire à la sagesse des nations, car elle a beaucoup aimé, comme la Madeleine de l’Écriture. A 100 kilomètres de Strasbourg se trouvent Metz et Nancy, villes voisines dont les grisettes ont cependant un type si différent que nous nous permettrions de les teinter, sur la carte, du plus aimable rose tendre. À Metz, le vieux sang lorrain, ou même austrasien, se reconnaît aux cheveux châtain clair et a la charmante carnation d’une peau fine et transparente ; un petit bonnet coquet, orné d’un ruban rose, vient s’harmoniser agréablement avec ces couleurs innocentes ; enfin une taille déliée et bien prise concourt à, former un ensemble qui ferait de cette grisette l’une des plus parfaites de France et de Navarre, si, par malheur, les mains et les pieds ne laissaient beaucoup à désirer. A Nancy, toutes les femmes se ressentent encore du séjour de la cour du roi Stanislas : elles ont conservé un cachet de distinction tout particulier ; les pieds féminins y sont des plus aristocratiques, ainsi que la tournure et la toilette : Aussi les brodeuses de Nancy ne sont-elles pas moins occupées à faire fin pied que fine taille, et cela pour la

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satisfaction des heureux élèves de l’École forestière. Comment pourrions-nous bien teinter les brunes grisettes arlésiennes, les grisettes callipyges, aux yeux fendus en amandes, aux lèvres de grenade et à la cheVelure d’ébène ? Et les célèbres épinglières de Toulouse, ainsi nommées non parce qu’elles font des épingles, mais parce qu’elles en ont toujours une très-longue pour faire leur broderie ? Et les gantières de Grenoble ? Mais on conçoit bien que nous ne pouvons pas nous arrêter davantage en si fragile compagnie. ■Paris nous réclame ; revenons à Paris. C’est là qu’a trôné la grisette accomplie, heureux mélange des qualités de toutes les grisettes du monde entier. La grisette parisienne a depuis longtemps abdiqué, hélas ! La lorette l’a chassée ; la cocotte, la femme entretenue, sous leurs aspects divers et multiples, ont fait évanouir l’ouvrière au cœur joyeux, gaie dans le travail, folle dans le plaisir, vivant au jour le jour sans souci du lendemain, ne craignant pas de passer la nuit à savonner sa robe pour la verdir sur l’herbe le dimanche. Une femme en chapeau n’aurait pas osé se risquer à la Chaumière, à l’Élysée des Dames et dans les bals où elle trônait avec sa petite robe d’indienne, son tablier de soie, son bonnet de linge et son liphu. Ces filles étaient toutes plus ou moins perdues. Il leur restait le cœur ; au besoin, elles étaient dévouées jusqu’au sacrifice. Plus d’une, par son travail, a aidé quelque étudiant trop pauvre à passer Ses examens. D’autres, enfin, ont combattu pour la liberté Sur les barricades. Le 29 juillet 1830, par exemple, on remarquait, au milieu de la petite armée fournie par les écoles, une jeune habitante de la rue Monsieur-le-Prince no 15, qui, le 27, avait vendu ses effets pour fournir des secours aux blessés. On l’avait surnommée la petite vivandière. C’était M’Io Joséphine Mercier, élève sage-femme, qui se signala par des actes d’intrépidité. Grâce à un travestissement, elle n’était connue des gardes nationaux avec qui elle avait fait le coup de feu que sous le nom de Victor, élève en médecine. Cette courageuse étudiante, d’une complexion très-délioate, ne paraissait pas avoir plus de

2uinze ans sous l’habit d’homme. La reingote verte dont elle était revêtue était percée de deux balles, l’une reçue dans les patrouilles et reconnaissances, l’autre en soignant des blessés. On connaît les vers d’Alfred de Musset :.

Miroi n’a pas l’âme vulgaire,

Mais Bon cœur est républicain ; Aux trois jours elle a fait la guerre, Landerirette !

En cnsaquin.

À défaut d’une hallebarde,

On l’a vue avec son poinçon

Monter la garde.

Heureux qui mettra la cocarde

Au bonnet de Mimi Pinson.

— IV. Monuments littéraires élevés à la gloire de la grisette et de l’étudiante. Nous ne les compterons pas tous, ces monuments devenus rares et que les bibliophiles de l’avenir se disputeront au poids de l’or. C’est en les parcourant que l’on voit combien sont fragiles les gloires de ce monde. Et nunc erudimini ! Si l’on sait ce que deviennent les vieilles lunes, sait-on bien ce que deviennent ces illustres danseuses de cancan» qui ont rempli, à de certaines heures, le quartier Latin, Paris tout entier et même la province et l’étranger du bruit de leurs exploits chorégraphiques ? Se cachent-elles pour mourir, comme les perroquets ? Le fait est qu’elles disparaissent un beau jour sans qu’on s’informe plus des lieux où elles sont allées qu’on ne s’était informé d’où elles étaient venues. Celles qui, à l’âge de trente ans, ne sont pas encore passées ïorettes, deviennent marchandes do vin, bonnes épouses et tendres mères. La plupart finissent à l’hôpital ou dans quelque bouge ; quelques-unes profitent de leurs relations avec l’Académie de médecine pour travailler et se faire recevoir sages-femmes. Il en est qui émigrerit en province, et qui, devenues bourgeoises, se souviennent parfois et regrettent le bras si dodu, la jambe bien faite et le temps perdu.

O ma Sophie) au fond de ta province, En tricotant le soir, loin du Prado, N’entends-tu pas, comme un démon qui grince A ton oreille un air de Piiodo ?... Au souvenir des beaux jours, pauvre fille, L’aiguille échappe a ta tremblante main : Ton cceur s’émeut ! Va, reprends ton aiguille, Car il n’est plus le vieux quartier La(in. La Pliysiologie de la Chaumière (1841) chantait Clara la blonde et la grande Héloïse en termes pompeux et attendris : « Héloïse, la brune aux yeux perçants, aux élans passionnés, à la chevelure désordonnée, au sourire délirant 1 Voyez comme elle agite follement sa robe, et comme elle arrondit poétiquement son écharpe pour couronner son danseur 1 > Couronner son danseur avec une écharpe passerait, chez nos étudiantes d’aujourd nui, pour quelque chose de tout à fait perruque. En même temps, M. de Boigne consacrait, dans le Constitutionnel (vous avez bien lu : dans le Con-sti-tu-ti-on-nel), cet organe sérieux et prudhommesque, un feuilleton entier à. célébrer les talents de la ci-devant rosière baptisée entre deux bols de punch du nom mirobolant de reine Pomaré. D’autre part, l’abbé Constant avait pris cette

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chorégraphie carabinée au sérieux, au point de vue humanitaire s’entend, dans ses Pilles d’Hérodiade. Quant à la Physiologie de la Chaumière, elle avait appelé la gravure au secours de sa prose laudative. Sa couverture montrait un étudiant entre le Vice, sous le3 traits d’une élégante à tête de chameau, et la Vertu, petite fille couverte d’un simple spencer et coiffée de ses cheveux. Un portrait du père Lahire était joint a cette monographie, relevée par les innombrables couplets du chant sacré :

Quand on n’a plus d’argent,

On écrit à son père,

Qui vous répond : • Ch’napan,

1’ n’ fallait pas tant faire

L’amour (ter)

La nuit comme le jourl •

Et ioup, ioup, ioup,

Tra la la la la.

L’Almanach de la polka (1845) est dévoué au talent de Clara Fontaine ; « l’immortelle Clara, Clara la polka incarnée, la reine ducoup de talon, la déesse de la valse tortillée. » Les diverses phases de la lutte engagée entre Clara Fontaine et Pomaré se déroulent avec le sérieux de l’épopée. Qu’on en juge par ce léger sommaire du chapitre cinquième : » Le père Lahire apprend qu’on danse la polka au bal Mabille. — Violente jalousie du grand Lahire. — Il va trouver Clara Fontaine. — Il l’engage à l’accompa- ’ gner au bal Mabille. — Clara Fontaine y consent. — Entrée triomphale de Lahire et de Clara. — Les lions, lionceaux, commis de nouveautés et calicots forment un cercle pour admirer Lahire et Clara, qui dansent la polka.

— Dépit de la reine Pomaré. — Son altercation avec Clara, pour laquelle le père Lahire prend fait et cause. — Les lions et lionceaux se rangent autour de Pomaré. — Le combat commence. — Le père Lahire culbute les lions et fait un effrayant butin de binocles, de lorgnons et de gants jaunes. — Clara terrasse par trois fois la reine Pomaré.-Elle s’empare de son bonnet et l’emporte comme un trophée. — L’histoire dit que Pomaré perd une dent à la bataille. — Lahire et Clara sont reçus à la Chaumière au milieu des vivats. — Histoire de la dent de la reine Pomaré, racontée par un municipal qui pleure comme une Madeleine. > Ouf 1 II y en a huit comme cela.

En 1846, Privât d’Anglemont se révèle au monde des lettres par une production dont Maria et Céleste Mogador font tous les frais : u Souveraine l’an dernier, Maria, pâle brune, énergique, dramatique dans sa danse, a cette majesté hautaine et cette fougue superbe que conservent les reines déchues. Ses grands yeux, noirs brillent comme des astres dans une nuit sombre... Maria a quitté le quartier Latin et habite maintenant la Chaussée-d’Antin... Céleste Mogador, sa co-reine, belle et grande femme aux cheveux châtains, aux sourcils bien arqués, a les bras nerveux, les beaux reins, les audacieuses proportions des cariatides michelangesques. Elle est un peu grêlée, juste assez pour avoir un faux air de la Vénus de Milo. Heureusement elle a des bras, elle, et de fort beaux. Aussi relève-t-elle toujours, au bal masqué, les manches de son bourgeron de débardeur... » Un émule de Privât d’Anglemont, M. A. V., se fait, presque en même temps, l’admirateur et l’historien de Céleste Mogador : « Elle a deux qualités précieuses, dit-il : de l’entrain, de la verve et beaucoup de naturel ; elle réussira. » . Celui-ci était prophète. Cette héroïne du Prado, après avoir parcouru tous les degrés de la vie de plaisir, après avoir été actrice et écuyère, puis lorette, est devenue comtesse de Chabrillan, puis romancière, auteur dramatique, directrice de théâtre... Qui sait ce qu’elle ne sera pas encore ? V. Chabrillan.

N’oublions pas d’ajouter que Nadaud a consacré à ces individualités une chanson restée célèbre :

Pomaré, Maria,

Mogador et Clara,

À mes yeux enchantés,

Paraissez, celles divinités !

Cette Mogador fait encore, avec Frisette, Rigolette et une certaine Feuille de rose, le sujet d’un coquet petit livre, le Jardin Mabille (1847), dû à la plume d’un journaliste aujourd’hui grave et bien posé. Les Mystères du jardin Dullier, qui arrivent en 1851, ne contiennent qu’une série de réclames assez plates en faveur de pauvres diablesses d’étudiantes plus plates encore. Les Folles nuits, légendes du Prado, par un invalide du sentiment (1854), signalent l’existence de deux types, Jenny l’Hirondelle, la reine de la redowa, et Annette la Petite, « qui, d’un coup de pied, décoifferait le génie de la Bastille, si, prévoyant le cas, on n’avait omis de lui offrir un chapeau. « Les Bals publics à Paris, par Victor Rozier (1855), constatent que la grisette n’existe plus dans le quartier latin, et parle avec sévérité des modernes étudiantes à la < robe de soie souillée, » au « chapeau fané, qui inspirent le dégoût. • 1860 vit surgir une foule de brochures à prétentions scandaleuses. Nous ne parlerons pas des Mémoires de lligolboche, qui n’ont rien de commun avec le quartier Latin, mais nous énumérerons :

l« Les Etudiants et les femmes du quartier Latin en isgo, par un étudiant (Granier),

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anecdotes brutales, révélations stupides, prose vulgaire.

2t> Ces dames, par Vermorel, avec portraits photographiés de Zouzou, Risette et MalakotT, dont le succès de mauvais aloi fut arrêté par une condamnation judiciaire. Commérages assez neufs, entre autres ceux concernant une certaine comtesse de Martini. En somme, réclame peu avouà"ble.

3° La Ballade des buveurs de bière (autographiée), réclame ayant pour but de célébrer la tière attitude de Camille et de ses amis à la Closerie des Lilas.

Viennent ensuite quatre réfutations des œuvres précédentes :

îo Guerre ! guerre ! réponse à la brochure rose, par Mounpaïs. 2° l'École du scandale, Ces messieurs ! par Daunay. 3° Sus aux gandins ! sus aux Mettes ! par un étudiant en droit. 40 Réponse à la brochure rose : les Étudiants et les femmes du quartier Latin.

La Camille, dont les charmes tour à tour prônés et attaqués avaient causé cette grotesque petite guerre d’opuscules, se vit en fin de compte interdire l’entrée de la Closerie des Lilas, sa présence suffisant pour faire sortir le public féminin de l’endroit de la retenue dont il a d’ailleurs si peu l’habitude. Quatre nouvelles brochures surgissaient en même temps : 1° Avez-vous fini ? 2° le Passé, le présenCet l’avenir de ces dames. Vivent les étudiants !Vive le quartier Latin ! total douze. Croyez-vous que ce soit la tout ? Ah bien oui I Parurent presque aussitôt : îo A bas le qunrtier Latinlî0 Encore un mou ton de Panurye !A bas les hommes, par une femme éclaboussée.

L’année 1861 vit paraître les Cocottes, par Antonio Watripon, petit volume contenant une jolie histoire de Carmagnole, la dernière grisette, partie des folles gnie>t, ésde la Grande-Chartreuse pour aboutir à l’amphithéâtre de dissection. L’auteur appelle cocottes les habituées des crémeries, les étudiantes qui s’habillent et se nourrissent à bon marché. Il en cite plusieurs connues par des sobriquets, tirés de leur plus ou moins de ressemblunce avec les animaux : la Souris, la Chèvre, le Rat, Cigale, Pécari, Gazelle, etc. Une brune magnifique, à la voix haute, se nomme Oléa ; on ne manque jamais de l’appeler Otéa-gineuse. Une autre, Clary, a reçu le sobriquet de Fauvette, parce qu’elle chante tout ce qu’elle veut dire.

— V. Le parc aux étudiantes. Le triomphe de Yétudiante, son rêve et son plaisir, c’est le bal Bullier, autrement dit la Closerie des Lilas. C’est la qu’elle se retrouve avec ses pp.-, reilles, qui deviennent en même temps ses rivales. La reine de la Closerie, chorégraphiquement parlant, était, il y a quelques années, une certaine Léontine Tape-à-l’ail, ainsi baptisée à cause d’un œil à demi fermé, qui donnait une grâce toute particulière à sa physionomie. Elle avait inventé une sorte de pyrotechnie des jambes pleine de désinvolture, d’enjouement, qui attirait, chaque soir de bal, une nombreuse galerie autour d’elle. Dans les soirées d’hiver, c’était au Prado qu’elle régnait. Un de ses fanatiques lui décocha le sixain suivant :

Reconnaissant en toi la reine du Prado, Pour mieux te voir l’Amour a jeté son bandeau. Il se meurt de dépit, à tes pieds il expire ; Et, volant sur tes pas, plus d’un cœur qui soupire Espère, en se mirant dans ton œil demi-clos, Le bonheur qu’autrefois donnait Ninon Lenclos.

De même qu’elle n’a qu’une demi-vertu, Yétudiante n’a qu’un demi-état, fleuriste, corsetière, poseuse, souvent blanchisseuse et quelquefois brocheuse ; elle exerce une de ces professions dans la morte saison des vacances, alors que le quartier Latin est désert. Le temps qu’elle n’emploie pas à travailler-et la . marge est élastique— elle le passe à danser, à grignoter, à chanter, à boire et à fumer dans les caboulots, les crémeries et les brasseries. Dans ces derniers endroits stationnent, pour ainsi dire à demeure, les doyennes du quartier, les étudiantes qui n’ont pu franchir les ponts ou qui sont revenues des grandeurs passées. C’est là qu’on rencontrait lléloïse Pavillon, qui a acquis une célébrité presque européenne. Pavillon était douée de cette saillie naturellé, de cette originulité qui n’a rien de commun avec l’esprit grossier des étudiantes d’aujourd’hui. Pauvre fille, si brillante de verve et d’entrain, elle roula jusqu’à l’abîme de la folie. Elle est morte à la Salpétrière, dans cet état d’embonpoint hideux qui caractérise les gâteux. Les étudiants de première année ont achevé cette malheureuse en se faisant un jeu de lui chanter à tue-tête « Pavillon ! • sur l’air des lampions, chaque fois qu’elle paraissait dans un endroit public. Cette scie lamentable détermina une crise nerveuse et finit par détraquer son cerveau "malade. Une contemporaine de Pavillon, et qui lui survit, Sophie Ponton, vénérable matrône, tient un établissement de lingerie pour les jeunes mariées. Quelle prédestination dans ce nom : Ponton 1 Qui dit ponton dit vaisseau rasé, corvette démâtée. La plus vieille en date était Lucile la Parisienne, qui ressemblait a un pierrot marqué de la petite vérole. Elle avait composé elle-même son épitaphe :. Quand Lucile mourra,

Sur sa tombe on mettra :

« Étudiants, portez l’deuil, Lucile a tourné d’I’œil. ■

Ces doyennes sont la. tradition vivante du

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