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vêque, a la pompe funèbre de Henri IV ; la Chambre des comptes contre le parlement dans la cathédrale, quand Louis XIII donna la France a la Vierge ; le duc d’Epernon dans l’église de Saint-Germain contre le garde des sceaux du Vair ; les présidents des enquêtes à Notre-Dame contre le doyen des conseillers de lagrand’chambre Savare, etc. Et pourtant tout était réglé, tout semblait avoir été prévu ’ par l’étiquette, tout, jusqu’aux choses les plus cachées et les plus" mystérieuses. Si bien que Mme de Maintenon avait trois fois raison lorsqu’elle disait h son frère d’Aubigné, désireux d’être un de ces illustres serviles que le hasard a faits : « Après ceux qui ont les premières places, je ne connais rien de plus malheureux que ceux qui les envient. • Mais les pauvres humains vivent de tout cela, et asservir les autres et s’asservir soi-même passe pour être le rôle de la véritable grandeur. Nos princes avaient plus de peine à se dérober nux lois de l’étiquette qu’aux lois de la constitution de l’État. Souvent le monarque s’est trouvé dans l’impossibilité de faire un voyage, d’entrer dans une maison, parce qu’il n’avait pu concilier les prétentions respectives de ses serviteurs. « Nous rions, dit Mercier, en apprenant certains usages de peuples éloignés de nous ; de ce que le roi de Loango, en Afrique, par exemple, prend ses repas dans deux maisons différentes ; de ce qu’il boit dans l’une, mange dans l’autre ; et 1 habitude nous familiarise avec ces étiquettes, dont l’asservissement est plus encore pour les princes que pour ceux qui les environnent. On dirait qu’ils sont livrés, dès le moment de leur naissance, à une foule de farfadets capricieux qui arrangent tous les moments de leur vie au gré de leur fantaisie. » C’est l’étiquette, en effet, qui préside à la naissance d’un prince. Tous les grands officiers de la couronne sont là, assistant à l’enfantement. C’est l’étiquette qui voudra qu’après sa mort on lui serve une table splendide et qu’on l’interroge, à chaque instant, sur l’état de sa santé. L’étiquette donne un caractère de noblesse à tout co qui approche du roi, et les plus grands seigneurs ont toujours été fiers de s’assujettir à des fonctions domestiques auprès de sa personne. Un prince du sang était maître d’hôtel. Mais ceci n’était pas simplement d’étiquette : il y avait un très-gros revenu attaché à cette charge. Un prince du sang, à la cour, revendiquait le service sur tous les grands officiers, tant pour la chemise du roi que pour la serviette. Quand le roi donnait des audiences sur son trône, les princes du sang étaient sur la plate-forme, suivant leur rang. Ils avaient l’honneur de manger avec le roi dans les banquets. Quand le roi communiait, ils tenaient la nappe, honneur que personne ne pouvait partager avec eux. Quand le roi touchait, ils lui donnaient la serviette. Les princesses avaient chez la reine le même service que les princes chez le roi. Les princes servaient aussi la reine, sauf pour la chemise. Ils passaient devant les grands et les ducs en les reconduisant. En entrant dans les appartements du roi ou de la reine, on grattait à la porte de la chambre ; en sortant, on ne devait pas toucher la serrure. Une femme présentée à la cour devait se retirer à reculons et rejeter du talon en arrière la queue de son manteau -} le roi l’embrassait à la joue, et elle appliquait à ses lèvres le bord de la robe de la reine ; les duchesses saisissaient la robe moins bas que les autres femmes. On était présenté au roi avant de l’être aux princes, et on n’était admis à servir ceuxci qu’avec son agrément. On était ses gants, nous l’avons déjà, dit, pour offrir quelque chose au roi et à la reine ; quand ils buvaient ou éternuaient, on saluait. L’étiquette plaçait la chaise percée d’un prince au milieu des courtisans à qui il accordait les entrées, et voulait que tel offrit le coton. Une princesse, à telle heure, voyait ses femmes entrer chez elle, la décoiffer et la déchausser bon gré malgré ; ainsi le voulait l’étiquette. Tantôt une dame devait être solennelle, tantôt se montrer en déshabillé pour obéir a l’étiquette. L’étiquette voulait qu’on appelât ses gens comme des chiens, en criant à tue-tête : Eh ! eh ! C’est l’étiquette qui apprenait de combien de lignes courbes étaient les révérences d’un ministre ou d’un duc, et combien il fallait lui en donner de pouces. Les princesses devaient dans une visite appeler les cardinaux deux fois Eminence, malgré l’humilité chrétienne. Tout était assujetti à des règles implacables ; Marie-Antoinette, pour avoir voulu s’en affranchir quelque peu, mécontenta tous ces inutiles qui faisaient leur plus sérieuse étude, leur principale occupation des différentes manières de se coiffer, de se présenter, de saluer, de parler, de manger. Pour obéir à l’étiquette, qui prescrivait de ne rien laisser d’étranger à une fiancée royale quand elle mettait le pied sur le sol de France, elle avait été changée de tous ses vêtements avant d’être livrée aux personnes françaises chargées de la convoyer à la cour. Une sorte do tente avait été construite sur le Rhin pour opérer la remise de la jeune archiduchesse, qui, pour son "plus grand ennui, se vit aux mains de la comtesse de Noailles, la plus sèche des dames d’honneur, bornée d’esprit et furieuse d’étiquette. Aussi Marie-Antoinette, excédée, tourna vite en ridicule su roide comtesse, et lui donna le surnom de madame l’Etiquette.

VU.

ÉTIÔ

Chaque page des Mémoires de Saint-Simon est remplie de querelles d’étiquette. Louis XIV était souvent obligé d’intervenir pour déclarer qui avait le droit de draper à l’occasion de la mort des princes, qui pouvait embrasser les princesses dans une audience publique. Souvent il renonça à des fêtes et à des cérémonies pour éviter les querelles d’étiquette. L’anecdote suivante est racontée par la princesse palatine.

La duchesse de Villars, chargée d’accompagner Mll<* de Valois jusqu’à la frontière, lui était devenue odieuse. Elle prétendait, par son titre, partager avec elle les honneurs de la soucoupe, c eét-à-dire boire dans un verre à pied présenté sur une soucoupe. La hautaine princesse refusa d’y consentir ; afin d’humilier la vanité de cette dame, elle cessa de manger avec elle, et, lorsqu elle y fut obligée, elle s’abstint de boire pendant tout le repas. Mme de Villars l’imita, décidée à mourir de soif plutôt que de compromettre pour une goutte d’eau le droit des duchesses.

La Révolution balaya toutes ces niaiseries ; Napoléon ressuscita l’étiquette, La Restauration nous rendit de vieux us qu’on croyait aussi réellement enterrés que le bon roi Dagobert. Le gouvernement bourgeois de Louis-Philippe oublia sagement l’étiquette dans le coin ou dorment les oripeaux du droit divin. Mais Napoléon III, en se créant une cour, la dota d’un cérémonial. Il fallait sous lui, lorsqu !on entrait chez le souverain, à moins que ce ne fut dans l’intention de le détrôner, ce qui simplifiait de beaucoup les choses, faire trois révérences a distances égales, lui parler à la troisième personne et ôter ses gants des deux mains. Quant aux présentations à la cour, c’était l’aide de camp de service qui faisait toute espèce d’invitation pour les hommes, et même pour les audiences des femmes" qui ont un certain rang dans le monde. L’étiquette, relativement au costume, dans les grands bals de la cour impériale, exigeait l’uniforme pour tous ceux qui, parleurs fonctions, en avaient un. Nous avons vu revivre dans certains cas la culotte courte de Casimir blanc, la fameuse culotte illustrée

f>ar M. Darimon, les bas de soie et les souiers à boucles.

« À mesure que les pays sont barbares ou que les cours sont faibles, le cérémonial est plus en vogue, ■ a dit Voltaire. Il parait pourtant que c est la stricte observation des minuties de l’étiquette et des nuances du protocole qui constitue l’homme bien né ; mais nous sommes si mal élevés depuis 1789, que, sur 36 millions de Français, il n’y en a pas 2,000 qui sachent écrire au souverain selon les lois du protocole.

C’est surtout en Espagne qu’a fleuri l’étiquette. C’est là. qu’on vit un roi perdre la vie, victime de sa fidélité et de celle de sa cour à observer l’étiquette. Philippe III avait un jour dans sa chambre un brasier ardent qui lui brûlait la figure ; le gentilhomme chargé de cette partie du service se trouvant absent, personne ne crut devoir le remplacer, et le roi lui-même pensa qu’il était de sa dignité de se laisser imperturbablement griller. Il en résulta une.inflammation a la face, dont il mourut quelques jours après. La reine Victoria se montra plus sensée dans une circonstance analogue. Un jour, à Londres, dans une soirée royale, la lampe se mit à filer. La reine se leva et baissa la lampe. Stupéfaction générale. « Quoi ! Votre Majesté a daigné elle-même... s’écria une dame d’honneur.-Mon Dieu, oui, répondit la reine. Si je m’étais écriée : La lampe file I une de mes dames d’honneur aurait dit au chambellan : Mais, voyez donc, monsieur, la lampe fiiel Le chambellan aurait- dit au premier valet de chambre : Monsieur, la lampe de la reine file ! Le premier valet de chambre aurait appelé un domestique, et la lampe filerait encore. J’ai mieux aimé l’arranger moi-même. "Voici, pour revenir à l’Espagne, une anecdote caractéristique, racontée par Mm° d’Aulnoy dans son Mémoire sur la cour d’Espagne : « Le roi fit amener à la reine de très-beaux chevaux d’Andalousie. Elle en choisit un fort fringant et le monta ; mais elle ne fut pas plus tôt dessus qu’il commençade se cabrer ; et il étoit prêt de sa renverser sur elle, lorsqu’elle tomba. Son pied, par malheur, se trouva engagé dans i’étrier ; le cheval, sentant cet embarras, ruoit furieusement et entraînoit la reine au grand péril de sa vie. Ce fut dans la cour du palais que cet accident arriva. Le roi, qui le voyoit de son balcon, se désespéroit ; et la cour était toute remplie de personnes de qualité et de gardes ; mais l’on n’osoit se hasarder d’aller secourir la reine, parce qu’il n’est point permis à un homme de la toucher, et principalement au pied, à moins que ce ne soit le premier de ses menins, qui lui met ses chappins. Enfin deux cavaliers espagnols se résolurent à tout ce qui pouvoit leur arriver de pire : l’un saisit la bride du cheval et l’arrêta, l’autre prit promptement le pied de la reine, l’ôta de 1 étrier, et se démit même le doigt en lui rendant ce service. Puis, sans s’arrêter un moment, ils sortirent, coururent chez eux et firent vite seller deux chevaux pour se dérober à la colère du roi. »

Travaux et plaisirs, parties de chasse ou conseils, confessions ou changements d’habits, processions, promenades, etc., toutes les actions de leurs Majestés Catholiques étaient soumises a certaines règles établies par Phi ETIQ

lippe II et observées par ses successeurs. On les nommait les étiquettes du palais ; elles fixaient le coucher de la reine à dix heures en été, à huit heures et demie en hiver. • Au commencement que la reine fut arrivée, dit M»’e d’Aulnoy, elle ne faisoit point de réflexions à l’heure marquée, et il lui sernbloit que celle de son coucher devoit être réglée par l’envie qu’elle auroit de dormir ; mais aussi il arrivoit souvent qu’elle soupoit encore, que, sans lui rien dire, ses femmes commençoient à la décoiffer ; d’autres ladéchaussoient’par-dessous la table, et on la faisoit

coucher d’une vitesse qui la surprenoit fort. Les rois d’Espagne couchent dans leur appartement et les reines dans le leur. Mais celui-ci aime trop la reine pour avoir voulu se séparer d’elle. Voici comme il est marqué dans l’étiquette que le roi doit être lorsqu’il vient la nuit de sa chambre dans celle de la reine. Il a ses souliers mis en pantoufles (car on ne fait point ici de mules), son manteau noir sur ses épaules, au lieu d’une robe de chambre dont personne ne se sert à Madrid : son broquet (c’est une espèce de bouclier) passé dans un bras, sa bouteille passée dans l’autre avec un cordon ; cette bouteille n’est pas pour boire : elle sert à un usage tout opposé que vous devinerez. Après tout cela, le roi a encore sa grande épée dans une main, et une lanterne sourde dans l’autre. Il faut qu’il aille ainsi tout seul dans la chambre de la reine. »

Dans les relations sociales, même roideur, même étiquette où l’on reste emprisonné comme dans un vêtement étriqué. Les dames espagnoles ■ ne se baisent point en se saluant, ^dit Mmo d’Aulnoy ; je crois que c’est pour ne pas emporter le plâtre qu’elles ont sur la figure ; mais elles se présentent la main dégantée, et, en se parlant, elle se disent tu et toi, et elles ne s’appellent ni madame ni mademoiselle, ni excellence, mais seulement doïia Maria, doîia Clara, doïïa Térésa. Je me suis informée d’où vient qu’elles en usent si familièrement, et j’ai appris quéc’est pour n’avoir aucun sujet de se tâcher entre elles, et que, comme à y a beaucoup de manières de se parler qui marquent, quand elles veulent, une entière différence de qualité et de rang, et que toutes ces différences ne sont pas aisées à faire sans chagriner quelquefois, pour l’éviter, elles ont pris le parti de se parler sans cérémonie. »

Il n’y a que les Chinois qui puissent l’emporter sur les Espagnols pour la roideur et la sévérité de l’étiquette. Dans les visites qu’ils se font, tout est prévu, réglé d’avance, et on ne saurait s’écarter d’un iota de ce formufaire sans passer pour un homme mat élevé. Voici, d’après M. de Rémusat, l’étiquette observée par tous les Chinois.

« Celui qui veut rendre visite doit, quelques heures auparavant, envoyer par son domestique, un billet à la personne qu’il a dessein de voir, tant pour s’informer si elle est chez elle que pour l’inviter à ne pas sortir si elle a le loisir d’accepter la visite : c’est une inarque de déférence et de respect pour ceux que l’on veut aller voir chez eux. Le billet est une feuille de papier rouge, plus ou moins grande, suivant le rang ou la dignité des personnes, et le respect qu’on désire leur témoigner. Ce papier est aussi plié en plus ou moins de doubles, et l’on n’écrit que quelques mots sur la seconde page ; par exemple : à Votre disciple ou votre frère cadet, un tel, est venu « pour baisser la tète jusqu’à, terre devant vous et vous offrir ses respects. » Cette phrase est écrite en gros caractères quand on veut mêler à sa politesse un certain air de grandeur ; mais les caractères diminuent et deviennent petits à proportion de l’intérêt qu’on peut avoir à se montrer véritablement humble et respectueux. Ainsi prévenu par billet, on doit prendre de beaux habits et se tenir prêt à recevoir son hôte à la porte de la maison ou à la descente de son palanquin et lui dire d’abord : ■ Je vous prie d’entrer. ’ On a soin d’ouvrir les deux battants de la porte du milieu ; car il y aurait de l’impolitesse à laisser entrer ou sortir par les portes latérales. Les grands se font porter dans leurs palanquins ou entrent à cheval jusqu’au pied de l’escalier qui conduit à la salle des hôtes. Le maître do la maison les reçoit en se mettant à leur droite, puis il passe à leur gauche en leur disant : « Je vous prie d’aller devant, » et il les accompagne en se tenant un peu en arrière. Dans la salle des hôtes, les sièges doivent être préparés et rangés sur deux lignes parallèles, l’un devant 1 autre. En y entrant on commence, dès le bas de la salle, à faire les révérences, c’est-à-dire qu’on s’incline du côté de son hôte et un pas en arrière, jusqu’à, ce que les mains qu’on tient l’une dans l’autre touchent à terre. Dans les provinces du midi de la Chine, le côté sud est le plus honorable ; c’est le contraire dans celles du nord. On pense bien qu’il faut, suivant la province, céder le côté le plus honorable à son hôte. Celui-ci, par une ingénieuse courtoisie, peut, en deux mots, changer l’état des choses, et dire, si on l’a placé du côté du midi : Pe-li, ce qui signifie ; «J’espère qu’en me mettant du côté du Midi, vous m’avez assigné la place la moins distinguée ; » mais le maître de la maison s’empresse de rétablir la situation convenable en disant : Nan-li, « Point du tout, seigneur, et vous êtes à la place que vous devez, occuper.« Souventlovisiteuraffecta de prendre le côté le moins honorable ;

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alors le maître de la maison s’excuse en disant : « Je n’oserais... » et, passant devant son hôte en le regardant toujours et en ayant soin de ne pas lui tourner le dos, il va se mettre à la place convenable.et un peu en arrière ; c’est alors que tous les deux font en même temps la révérence. Si plusieurs personnes font une visite ensemble ou si le maître a quelque parent qui demeure avec lui, on répète la révérence autant de fois qu’il y a de personnes à saluer. Ce manège dure alors assez longtemps, et tant qu’il dure on ne se dit autre chose que : Pou-kan, pou-knn, « Je n’oserais. » Une politesse que l’on doit aux grands et qui ne déplaît pas aux personnes de condition mo3’enne quand on en use avec elles, c’est de couvrir les chaises de petits tapis faits exprès ; alors on se fait réciproquement de nouvelles façons. On refuse

de prendre le premier fauteuil, pendant que le maître insiste pour qu’on l’accepte ; celui-ci feint de l’essuyer avec le par de sa robe, et l’étranger fait le même honneur au fauteuil

?ui doit être occupé par le maître. Enfin on

ait la révérence a la chaise avant do s’asseoir, et l’on ne prend sa place qu’après avoir épuisé toutes les ressources de la civilité et de la bonne éducation. À peine est-on assis que les domestiques apportent le thé ; les tasses de porcelaine sont rangées sur un plateau de bois vernis. Chez les gens riches on ne se sert pas de théière - la quantité de thé nécessaire est mise au fond>de la tasse, et l’eau bouillante versée par-dessus. L’infusion est très-parfumée, mais on la prend sans sucre. Le maître de la maison s’approche des plus considérables de ses hôtes et leur dit en touchant le plateau : Tsino-tcha, « Je vous invite à prendre le thé. » Alors tout le monde s’avance pour prendre chacun sa tasse. Le rnaître en prend une avec les deux mains et la présente au premier de la compagnie, qui la reçoit de même avec les deux mains. Les autres affectent de ne prendre les tasses et de ne boire qu’ensemble, quoiqn’onJs’irivite par signe tes uns les autres h, commencer. Quand tout le monde est servi de cette manière, celui ou ceux.qui sont venus en visite, tenant leur fasse avec les deux mains et demeurant assis, se courbent en la portant jusqu’à terre. Il faut bien prendre garde alors de répandre la moindre goutte de thé : cela serait fort incivil ; et pour empêcher que cela n’arrive, on a soin de ne remplir les tasses qu’à moitié. Les invités boivent le thé a plusieurs reprises et fort lentement, quoique tous ensemble, pour être prêts à reposer la tasse sur le plateau tous a la fois. Quelque chaude qu’elle soit, on doit plutôt souffrir et se brûler les doigts que de faire ou de diro rien qui puisse troubler la bienséance et l’ordre des civilités. Dans les grandes chaleurs, le maître prend son éventail après que le thé est bu, et, le tenant avec les deux mains, il fait une inclination à la compagnie en disant : Tsing-chen, ■ J« vous invite a vous servir de vos éventails. » Chacun alors prend son éventail ; il serait impoli de ne pas en avoir avec soi, parce qu’on serait cause qu’aucun ne voudrait en faire usage. La conversation doit toujours commencer par des choses indifférentes ou même insignifiantes. Communément les Chinois sont deux heures à dire des riens, et vers la fin de la visite ils exposent en trois mots l’affaire qui les amène. Le visiteur se lève et dit le premier : « 11 y a longtemps que je vous ennuie. » Do tous les compliments que se font les Chinois, celui-là sans doute est celui qui approche le plus de la vérité. Avant de sortir de la salle, on fait une révérence de la même manière qu’en entrant. Le irmître reconduit son hôte en se tenant à sa gauche et un peu en arrière, et le suit jusqu’à son palanquin ou à son cheval ; avant d’y monter, l’étranger supplie le maître de le laisser et de ne pas assister à une action qui n’est pas assez respectueuse ; mais l’autre se contente de se retourner à demi comme pour ne pas le voir. Quand l’étranger est remonté à cheval ou que les porteurs ont soulevé le palanquin, il dit adieu et on lui rend cette courtoisie, qui est la dernière de toutes. »

Tous les peuples, toutes les cours ont leur étiquette différente : chez les Esquimaux on se salue en se tirant le nez ; à la cour des souverains des régions du haut Nil, les courtisans se tiennent accroupis devant leurs maîtres et ne doivent pas laisser apercevoir leurs pieds ; Baker en a vu plusieurs condamnés à mort pour avoir manqué à cette règle de l’étiquette. La plupart des ambassadeurs et envoyés européens admis à l’audience des princes orientaux ont beaucoup de peine à se soustraire nu prosternement, qui est de rigueur pour tous ceux qui paraissent devant ces souverains despotiques. Quelques-uns résistent énergiquement, d’autres s’en tirent par la ruse, comme le diplomate dont nous allons conter l’aventure. Il se trouvait à la cour du Grand Mogol et nvait toujours refusé de courber son échine en arrivant devant lui. Le prince asiatique jura d’en avoir raison, et un jour que le diplomate devait venir il fit mettre une barrière en travers de la porte d’entrée, ce qui forçait à entrer à quatre pattes. Le diplomate no fut pas embarrassé pour si peu, et, tournant la difficulté, il présenta au souverain ce que M. de Pourceatignaû présentait au médecin. Le Grand Mogol fut dès lors moins à cheval sur l’étiquette.