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ils sortent de la tente et se plongent sur-lechamp dans l’eau froide ou se roulent dans la neige. Ils regardent cette médication comme une panacée universelle ; ce n’est autre chose que le bain russe, dont la nature a elle-même enseigné l’usage à ces peuples primitifs. Ils ont aussi un remède fort singulier pour la colique et les dérangements d’intestins : ils se contentent d’avaler beaucoup de fumée de tabac, et ils assurent qu’ils se trouvent soulagés sur-le-champ. Quand les pères et mères sont devenus si vieux qu’ils sont hors d’état de se soutenir par leur propre travail, ils ordonnent à leurs enfants de les étrangler, ce qui est regardé par les enfants comme un pieux, devoir qu’ ils sont obligés d ’accomplir. Le vieillard entre dans une fosse. qu’on a construite exprès pour lui servir de tombeau ; il y reste uo instant à converser avec ses enfants, en fumant une pipe et en buvant un coup ou deux avec eux ; quand, à la fin, à avertit qu’il est prêt, deux de ses enfants viennent lui mettre une sangle autour du cou, et, se plaçant k l’opposé l’un de l’autre, tirent de toutes leurs forces, chacun de son côté, jusqu’à ce que le vieillard soit étranglé ; ils le couvrent ensuite de terre, et par-dessus ils élèvent une sorte de monument de pierres appelé cuirn. Ceux qui n’ont pas d’enfants demandent ce service à leurs amis ; mais, comme pour ceux-ci ce n’est pas un devoir, ils se voient souvent refusés. Ils permettent aux femmes, et souvent leur ordonnent de se faire avorter par l’usage d’une herbe très-commune en ce pays ; la raison de cet usage est de se soulager en quelque façon, en diminuant le pesant fardeau qui opprime une famille incapable de nourrir ses enfants. Un voyageur qui a longtemps séjourné dans ces parages glacés ajoute le passage suivant à sa relation : « Je ne saurais dire s’ils sont jaloux de leurs femmes, mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’ils nous les auraient volontiers prostituées, et cela par une prévention qui a prévalu parmi eux, étant persuadés que les enfants que nous aurions fait entrer dans leurs familles auraient été supérieurs à ceux de leur nation, comme ces pauvres gens croyaient que nous le sommes à leur égard. Ils portent la simplicité au point de croire que chaque homme engendre son pareil, et cela dans le sens le plus littéral, c’est-à-dire que le fils d’un capitaine doit absolument devenir capitaine, et ainsi de suite. •

L’art du dessin et de la peinture, la photographie même, ont chez eux quelques disciples. Nous no garantissons pas la finesse du trait, pas plus que la perfection des épreuves, mais il est néanmoins remarquable que, dans des régions si mal partagées, on rencontre des individus qui possèdent, sinon l’art, du moins le goût des choses artistiques. Au sujet du dessin chez les Esquimaux, rappelous une anecdote qui donne une assez juste idée de la naïveté des bons Groënlandais.

Un navigateur avait eu la pensée de faire le portrait d’une jeune fille du pays. La mère s’y oppose formellement et fait connaître ses motifs. L’excellente femme, dans son amour maternel, était persuadée que si le souverain d’Angleterre venait à voir le portrait de sa fille, ébloui par tant de charmes, il voudrait la demander’en mariage, peut-être la lui enlever de vive force.

Au reste, si cette population est inférieure aux populations des contrées moins exposées aux rigueurs d’un froid presque continuel, elle a, du moins, le mérite d’en convenir elle-même, comme le prouve l’anecdote suivante. Un Esquimau, du nom de Sackouse, avait été conduit à Londres, et un jour qu’on l’avait mené voir une ménagerie, on lui faisait remarquer avec quelle promptitude un éléphant obéissait aux ordres de son cornac : « Oh 1 s’écria-t-il, éléphant a plus d’esprit qu’Esquimau. >

Cependant, si l’on réfléchit aux dures conditions d’existence qui sont faites à ces malheureux habitants des contrées arctiques ; si l’on se souvient qu’ils sont privés de tout, de.métaux, de bois, de la plupart des animaux, on ne doit plus s’étonner de l’état d’ignorance où les tient une nature si avare de ses biens. Ainsi lorsque, en 1818, le capitaine John Ross s’aventura dans ces parages, les indigènes des terres boréales demeuraient confondus à l’aspect des vaisseaux ; ils rampaient jusqu’au rivage et prenaient à partie les navires comme des êtres vivants : à Qu’êtes-vous, grandes créatures î s’écriaient-ils avec effroi ; venez-vous du soleil ou de la lune ? Donnez-vous la lumière, le jour ou la nuit ? » On leur répondait alors que ce qu’ils prenaient pour des envoyés de la lune n’était que de grandes maisons de bois. « Non, non ! s’écriaient-ils, ces créatures sont vivantes, bien vivantes, nous les avons vues agiter leurs ailes ! » Et ils s’enfuyaient en se tirant le nez, ce qui, chez les Esquimaux, est la marque de l’émotion la plus- profonde.

Si les Esquimaux ne forment pas un peuple à imagination bien vive, on leur doit néanmoins des récits naïfs qui ne sont pas dépourvus de grâce.

Ajoutons ici que le Groenland subit aujourd’hui les mêmes lois ethnographiques

que le reste du nouveau monde : la population autochthone disparaît. Le nombre des Esquimaux diminue chaque année ; le chiffre

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des morts dépasse de beaucoup celui des

naissances.

Les langues parlées par cette race sont généralement considérées comme constituant un groupe à part au milieu des langues du nouveau monde, bien qu’à différentes reprises on ait cherché à les identifier à certains idiomes américains ou asiatiques. Ces idiomes esquimaux sont parlés sur une surface de terrain immense, par des peuplades que séparent d’énormes distances, et cependant ils offrent toujours entre eux des affinités très-sensibles, contrairement à la plupart des

autres langues américaines, dont le moindre dialecte, à cause de l’isolement de la tribu qui le parle, tend toujours à faire souche distincte.

Voici quelques détails sur l’esquimau proprement dit, tel qu’il est encore actuellement usité dans le Labrador. Les substantifs, comme dans le groënlandais, prennent au pluriel la terminaison it et et : Iccvgub, domestique, kevget ; iiinuk, homme, innuit. Le suffixe pronominal de la troisième personne du singulier paraît être inné ou enne : kattengulinue, ses frères ; ajokœtsukenne, ses jeunes gens, etc. La lettre b est convertible en v, La conjugaison offre certaines formes particulières que l’on ne rencontre pas en groënlandais ; . ainsi : koirsigalloarpunga, je baptise ; ierkuiomarpotil, tu verras ; pinngnœrsotit, tu es guéri ; immerosulleromariok, il a soif, etc. On voit, d’après ces quelques exemples, que le procédé suivi par l’esquimau dans ses variations grammaticales repose sur la fixité de la syllabe radicale et sur l’agglomération des différentes particules destinées à modifier le sens primitif de cette racine, c’est-à-dire sur le principe des langues agglutinantes. Une remarque assez curieuse, c est que depuis fort peu de temps l’esquimau proprement dit a subi quelques changements

sensibles. On le voit parfaitement bien en comparant la récente traduction de saint Jean à celle qui fut faite antérieurement. Les principales modifications que l’on y remarque consistent dans le remplacement fréquent du s par le t et le y, l’intercalation du son i après le u, etc.

Les principaux idiomes de cette famille sont : l’esquimau propre, le groënlandais, l’esquimau occidental, le tchougatche-konega, Vateuthien, le tchoutchi américain et le Ichoutc/ii asiatique.

ESQUINANCIE s. f. (è-ski-nan-sî — V. l’étym. À la partie encycl.). Pathol. Inflammation et ulcération des amygdales : Quelques plaisants dirent tout haut que leur orateur JJémosthène avait été surpris la nuit, non d’une lesquinancie, mais d’une argyrançie, pour faire entendre que c’était l’argent d’IIarpalus qui lui avait éteint la voix, (liollin.) J’ai eu dans ma jeunesse des pleurésies et des ESQuiNANCtES, qui toutes m’ont fait voir la mort d’assez prés. (J.-J. Rouss.)

— Encycl. Linguist. Ce mot vient du grec kunankè, angine, avec épenthèse du j. 11 signifie proprement angine des chiens, de kuôn, chien, et anchein, étrangler ; cependant quelques-uns pensent que kunankè s’est dit simplement d’une angine violente qui fait tirer la langue comme au chien haletant. Le grec kuân, chien, est exactement le sanscrit koan, d’une racine kvan, crier, hurler, d’où aussi le latin cnnis [v. cynique et chien]. Le grec anchein, serrer, étrangler, angoisser, se rapporte à !a racine sanscrite agh, angh, ah, enserrer, d’où oAi, le serpent, celui qui enserre sa proie, le constrictor, et, avec une nasale intercalée, anhu, étroit, serré, an/ias, anxiété, malheur, péché, anhura, angoissé, malheureux, d’où aussi agha, mauvais, dangereux, mal, douleur, péché, angha, alignas, péché. Il est curieux de voir ainsi la langue primitive rattacher à la même racine les noms du mal, du péché et du serpent. Les deux formes"agh et awjh se retrouvent, d’ailleurs, avec une foule de dérivés et des transitions du sens matériel au moral, dans toute la famille aryenne. Ainsi, en persan, azidau, molester, chagriner ; en russe, uziti, rétrécir, ujati, serrer, presser, uzkii, étroit, ty’e, plus étroit ; en lithuanien, anksztis, étroit ; en grec, anchô, serrer, étrangler, angoisser, achâ, chagriner, ac/iomai, achnumi, être triste, anxieux, achos, angoisse, crainte, douleur, exactement le sanscrit agha ; fin latin, a/tgo, angor, angustus, anxius, etc. ; en gothique, aga’n, Craindre, agis, terreur, puis aggvus, étroit, resserré, aggoitha, anxiété ; ancien allemand, angust, avec tous les ternies germaniques qui s’y rattachent ; enfin, en irlandais, agh, crainte, ang, ing, danger, péril, et, en kymriqno, angu, embrasser, contenir, comprendre, d’où ang, largé, grand, par une liaison d’idées exactement contraire à celle qui conduit au sens du latin angvstus, étroit. Nous n’avons fait qu’indiquer rapidement les termes principaux de ce groupe, qui a pris une extension très-considérable, et à coLé désquels on trouve tout un groupe de noms aryens du serpent qui suivent fidèlement les mêmes variations phoniques. Dans toute la série, c’est le grec anchô et le latin ango qui ont le mieux conservé la forme et la signification primitive de la racine.

— Pathol. L’esquinancie débute d’ordinaire assez rapidement et sans prodromes ; le premier symptôme accusé par les malades est une difficulté plus ou moins grande pour avaler et une sensation de douleur et de sèche ESQU

resse à la gorge. Cette douleur devient plus vive à mesure oue les amygdales augmentent de volume, et le gosier est quelquetois oblitéré k ce point que les liquides mêmes ne peuvent plus y pénétrer. Cet état pénible est accompagné d une toux gutturale et d’accès de suffocation et de vomissements. Il est assez fréquent de voir une amygdale plus gonflée que l’autre ; on voit aussi quelquefois une seule amygdale "malade ; dans ce cas, il y a une seule saillie, et la luette est fortement déviée du côté opposé. Les malades éprouvent souvent une douleur plus ou moins vive dans l’une des oreilles ou même dans les deux à la fois ; cette douleur s’accompagne de bourdonnements, de crépitements, et même quelquefois de surdité, par suite de l’obstacle que le gonflement des parties oppose à la libre circulation de l’air. On rencontre dans l’esquinancie plusieurs troubles sympathiques, d’abord la céphalalgie, la soif, la fièvre, l’inappétence, et quelquefois l’ensemble des

symptômes qui caractérisent l’état bilieux. Cette maladie est très-variable comme intensité de symptômes et comme gravité, et on la voit quelquefois se produire, sur une seule amygdale, sans apporter de trouble dans la santé générale du sujet. La marche de cette maladie est généralement rapide, sa durée moyenne est de six à huit jours ; mais on la voit souvent se prolonger davantage à cause des récidives qui peuvent se produire. L’abcès s’ouvre souvent spontanément et presque toujours dans la bouche ; mais lorsque le traitement appliqué n’a pas triomphé de la maladie, les médecins aident souvent à l’ouverture de l’abcès par un coup de bistouri dans la partie gonflée de l’amygdale. Une saignée générale, des saignées locales, des révulsifs ont été aussi conseillés et doivent être employés ou rejetés suivant le degré de gravité de la maladie.

ESQUINE s. f. (è-ski-ne — autre forme du mot éi.hine, usitée en Provence). Ane. manège. Reins du cheval : Poulain-faillie d’ESQUiNE. il Sauter d’esquine, Voûter l’échiné en sautant : Ce cheval saute d’esquine,

— Bot. Syn. de squine : Prends de ces cheveux, que je ne laverai plus dans l’eau d’ES-QUINE. (Cnateaub.)

ESQUINISTE s. m. (è-ski-ni-ste). Hist. Membre d’une secte fondée au m^ siècle par un hérésiarque du nom d’Esquine : Les opinions des ksquinistes participent de la doctrine des rnoïttanistes et de celle des sabelliens. (Complém. de l’Acad.)

ESQUINTÉ, ÉE (è-skain-té) part, passé du v. Esquinter). Ereinté, brisé de coups, de fatigue, de maladie : J’ai travaillé toute la nuit, je suis lesquinté. Voilà ce qui fait que nos vieux ëcloppés, torgnolés, lesquintés de grognards se sont couverts de gloire. (La Bédollière.)

ESQUINTER v. a. ou tr. (è-skain-té). Pop. Ereinter, fatiguer extrêmement : Ce voyage m’A. lesquinté. |] Assommer, rouer de coups : Esquinter un homme à coups de bâton, il Perdre, abîmer, ruiner : Ne va pas lesquinter ta poitrine. Un coup de poing lesquinta mon chapeau, il Dérouter, jouer, mettre dedans : Je vois que tu as assez d’esprit pour lesquinter la raille [déjouer la police]. (Balz.)

S’esquinter v. pr. Se fatiguer extrêmement : Pourquoi t’esquinter mus ! du matin au soir ? Il Ruiner sa santé : Cette pauvre fille s’esquinte à veiller.

— Ruiner, abîmer à soi : Tu vas t’esquinter le tempérament.

— Réciproq. Se battre, s’entr’assommèr : S’esquinter à coups de poings.

ESQUIPOT s. m. (è-ski-po — Ménage croit que ce mot est une corruption de estipot, et que ce nom a été donné a la tirelire, du latin stipus, qu’on a dit pour slipes, tronc, et qui est le même que le grec stupos. C’est ainsi que les troncs des églises ont conservé ce nom du latin truncus. Cette explication est spécieuse ; nous préférons cependant l’opinion de Le Duchat, qui remarque qu’en Languedoc on appelle esqm’pol un petit plat, une petite écuelle, et qui dérive ce mot de l’allemand scltif, bateau, d’où aussi notre esquif. Et Le Duchat ne doute point que l’esquipot des garçons barbiers n’ait été appelé de la sorte parce qu’anciennement ce n’était qu’una espèce de gondole ou d’écuelle. Le jeu de cartes appelé esquipol doit aussi, d’après lui, avoir été appelé de la sorte, soit de quelque écuelle où l’on mettait l’argent du jeu. soit de ce qu’on le met dans une carte repliée par les côtés en forme d’un petit esquif, explication pour le moins ingénieuse). Pop. Tirelire en terre cuite : Z/esquipot est plein, il faut le briser, il Tronc qui se trouvait anciennement chez les barbiers et dans lequel-on déposait son offrande pour les garçons.

— Jeux. Masse déposée par les joueurs. || Nom d’un ancien jeu de cartes.

ESQUIPPE s. m. (è-ski-pe — V. l’étym. à lesquif). Mar. Embarcation, il Vieux mot.

ESQUIPULAS, ville de l’Amérique centrale, État de Guatemala, à 29 kilom. S.-S.-E. de Chiquimala ; 2,200 hab. Elle est surtout célèbre par une foire annuelle qui commence le 15 janvier et dure trois jours. Il y vient un grand nombre d’étrangers de toutes les parties de la contrée, les uns attirés par l’espoir du gain, les autres par le désir de se distraire,

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mais le plus grand nombre par des motifs religieux ; car il existe, dans une magnifique église moderne qui s’élève à un kilomètre de la ville, un tableau représentant le crucifiement de Jésus-Christ, et qui est le but d’un pèlerinage auquel les fervents catholiques attribuent des grâces spéciales.

ESQUIRACO s. m. (è-ski-ra-ko). Mar. Navire italien du xvie siècle.


ESQUIRE s. m. (è-skouaï-re — mot angl. qui signifie écuyer). Terme honorifique dont les Anglais et les Américains des États-Unis ont l’habitude de faire suivre tout nom d’Anglais non accompagné d’un titre nobiliaire. || On dit aussi squire.

— Encycl. En Angleterre, le titre d’esquire appartient, par droit de naissance, aux plus jeunes fils de ducs et de marquis ; à tous les fils de comtes, vicomtes et barons ; aux fils aînés de baronnets et de chevaliers de tous ordres. Le titre est également appliqué à tous les officiers de la cour et de la maison du roi ; aux officiers de l’armée et de la marine jusqu’au grade de capitaine inclusivement ; aux docteurs en loi, avocats, médecins, juges de paix en exercice et aux shérifs de comtés nommés à vie. Les chefs d’un grand nombre d’anciennes familles sont aussi reconnus comme esquires par prescription.

Aujourd’hui, en Angleterre comme aux États-Unis, l’appellation d’esquire est un titre banal que tout le monde porte avec ou sans droits. Le nom écrit d’un individu qui n’a pas droit à une plus haute désignation est toujours suivi de ces trois lettres : Esq, abréviation de l’ancien titre nobiliaire tombé maintenant dans le domaine public, et devenu une simple formule d’usage.


ESQUIROL (Jean-Étienne-Dominique), médecin français, né à Toulouse le 3 février 1772, mort à Paris le 12 décembre 1840. Il se destina d'abord à la prêtrise. Après avoir achevé ses études au séminaire de l'Esquille, il vint faire sa philosophie à Saint-Sulpice. Il s'y faisait remarquer par son ardeur au travail, lorsque la Révolution ferma cette maison religieuse. Le jeune séminariste retourna alors à Toulouse et entra à l'hospice de la Grave, où son zèle et la justesse de ses vues ne tardèrent pas à attirer sur lui la bienveillance de Gardiel et d'Alexis Larrey, l'un médecin, l'autre chirurgien en chef. Grâce à la direction et aux conseils de pareils maîtres, les progrès d'Esquirol furent rapides, et, au bout de quelque temps il fut envoyé à l'armée des Pyrénées-Orientales en qualité d'officier de santé. Il avait alors vingt-deux ans. Comme il se trouvait à Narbonne dans les hôpitaux militaires, il eut le bonheur d'arracher au tribunal révolutionnaire un officier accusé d'avoir abandonné ses drapeaux. Dans son discours prononcé sur la tombe d'Esquirol, le 14 décembre 1840, M. Pariset raconte ainsi cet épisode de la vie du célèbre aliéniste : « Le tribunal révolutionnaire était en permanence à Narbonne. Un mauvais avocat plaidait en mauvais langage pour les prévenus, et les prévenus étaient condamnés. Révolté de cet odieux mélange de ridicule et de barbarie, Esquirol s'écrie d'une voix émue : « Je saurais mieux défendre l'innocence. » Des femmes l'entendirent. Le mari de l'une d'elles allait être mis en cause. Elle conjure, en pleurs, Esquirol de parler pour ce malheureux. Esquirol consent. Le voilà devant le tribunal révolutionnaire. Inspiré par la justice et la pitié, Esquirol fait entendre cette fois un langage si incisif, si touchant et si nouveau pour les juges, surpris et charmés, que le prétendu coupable est absous... Ce même service, il le rendit peu après dans sa ville natale à un pauvre officier qu'on accusait d'avoir pris un peu de fer dans les ateliers de la République. »

Ces succès oratoires ne le détournèrent pas de la carrière médicale. Aussitôt qu'il fut libéré du service militaire, Esquirol fut envoyé comme élève du gouvernement à la Faculté de Montpellier, où il obtint, un an après son entrée, deux seconds prix d'histoire naturelle. Pour la seconde fois il vint alors à Paris, désireux de compléter ses études et de trouver dans l'exercice de sa profession des ressources que sa pauvre famille n'était plus à même de lui fournir. Il y arriva léger d'argent. Une étourderie mit le comble à sa détresse, dit M. Pariset, qui raconte comme il suit les premiers pas d'Esquirol dans une carrière qui lui réservait un si bel avenir : « Dans les replis d'un court vêtement, il tenait cachée une petite somme en or que lui avait ménagée la tendre prévoyance de son père ; ce vêtement n'était plus de service. Il le jeta par la fenêtre sans en retirer la somme. Il l'avait oubliée. Il en écrivit à Toulouse, demandant un supplément ; on ne le crut pas ; le supplément n'arriva que plus tard. Toutefois, il ne perdit pas courage. Il se ressouvint d'un ami qu'il s'était fait au séminaire, M. de Puisieulx, lequel était instituteur d'un enfant que nous avons vu depuis à la tête des affaires, M. Molé. M. Molé demeurait avec sa mère à Vaugirard. Esquirol va trouver son ami. M. de Puisieulx le présente à Mme Molé, qui l'accueille avec bienveillance et lui donne une chambre dans sa maison. Le vivre et le couvert, voilà pour le présent, l'étude va faire le reste. Chaque jour, pendant deux années, Esquirol venait de Vaugirard à la clinique de la Salpêtrière, aux cours du Jardin des plantes, aux leçons de