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CONT

savetier Blondeau, qui ne fut oncq en sa vie melancholié que deux fois, et comment il y pourveut, et de son épitaphe ; De trois frères qui cuidèrent estre penduz pour leur latin ; Du jeune fils qui fit valloir le beau latin que son curé lui avait monstre ; D’un prèstre qui ne disait autre mot que Jésus en son Évangile ; De maistre Pierre Faifeu, qui eut des botes qui ne lui covstèrent rien, et des copieux de la Flesche en Anjou ; De maistre Arnaud, qui emmena la kacquenée d’un Italien en Lorraine et la rendit au bout de neuf mois ; Du conseiller et de son pallefrenier, qui lui rendit sa mulle vieille en guise d’une jeune ; Des copieux delà Flesche en Anjou, comme ils furent trompes par Picquel au moyen d’une lamproye ; De Vasne ombrageux qui avait peur quand on ostoit le bonnet, et de saints Chelault et Croisé, qui chaussèrent les chausses l’un de l’autre ; Du prevost Coquillaire, malade des yeux, auquel les’ médecins faisaient accroire qu’il voyait ; Des finesses et actes mémorables d’un Regnard qui estoit au bailly de Maine-la-Juhés ; De maistre Jeun de Pontalais : comment il la bailla bonne au barbier d’Estuvet, qui faisoit le brave ; De madame de Fourrière, qui logea le gentilhomme au large ; Du gentilhomme qui avoit couru la poste, et du coq qui ne pouvait chaucher ; Du curé de Brou, et des bons tours qu’il faisoit en son vivant ; Ou mesme curé et de sa chambrière, et de sa lexive qu’il lavoit, et comment il traicla son ëoesque et ses chevaux, et tout son train ; Du mesme curé, et de la carpe qu’il achepta pour son disner ; Du mesme curé qui excommunia tous ceux qui estoyent dans un trou ; De Teiran, qui, estant sur sa mule, ne paraissait point par-dessus l’arçon de la selle ; Du docteur qui blasmoit les danses, et de la dame qui les sousteitoit, et des raisons alléguées d’une part et d’autre ; De l’Escossais et de sa femme qui estoit un peu trop habile au maniement ; Du preslre et du masson qui se confessoit à luy ; Du gentilhomme qui erioit la nuict après ses oiseaux, et du charretier qui fouettait ses chevaux ; De la bonne femme vefue qui avoit une requête à présenter, et la bailla au conseillier lay pour la rapporter ; De la jeune fille qui ne voulait point d’un mary, pour ce qu’il avoit mangé te doz de sa première femme ; Du bastard d’un grand seigneur qui se laissoit pendre à crédit, et qui se faschqit qu’on le sauoast ; Du sieur de Raschault qui allait tirer du vin, et comment le fausset lui esnhappa dedans la pinte ; Du tailleur qui se desroboit soy-mesme, et du drap gris qu’il rendit à son compère le chaussetier ; De l’abbé de Sainct-Ambroyse et de ses moines, et d’autres rencontres dudit abbé ; De celuy qui renvoya ledit abbé avec une responce de nez ; De Chichouan, tabourineur, qui fit adjourner son beau-père pour se laisser mourir, et de la sentence qu’en donna le juge ; Du Gascon qui donna à son père à choisir des œufz ; Du clerc de finances qui laisse ckeoir deux delz de son escritoire devant le roy ; De deux poincts pour faire taire une femme ; La manière de devenir riche ; D’une dame d’Orléans qui aymoit un escalier t/ui faisoit le petit chien dsa porte, et comment le grand chien chassalepetit ;De Vaudrey et des tours qu’il faisoit ; Du gentilhomme qui coupa l’oreille à un coupeur de bourses ; De la damoisellede Thoulouze quine souppoitplus, et de celuy qui faisoit la diette ; du moyne qui respondoit tout par monossyltabesrimez ; De l’escolier légiste et de l’apothicaire qui lui apprint la médecine ; De messire Jehan, qui monta sur le maréchal, pensant monter sur sa femme ; De la sentence que donna le prevost de Bretaigne, lequel fit pendre Jehan Irubert et son fils ; Du jeune garson qui se nomma l’hoinelte, pour estre receu à une religion de nonnains, et comment elle fit sauter tes" lunettes de l’abbesse qui la visitait toute nue ; Du régent qui combatit une harangère du Petit Pont, à belles injures, De l’enfant de Paris qui fit le folpour iouyr de la ieune vefve, et comment elle, se voulant railler de luy, receut une plus grande honte ; De l’escolier d’Avignon, et de la vieille qui le print à partie ; D’un juge d’Aiguesmortes, d’un pasquin et du concile de Lairan ; Des gensdarmes qui estaient chez la bonne femme de village ; De maistre Berthaud, à qui on fit accroire qu’il estoit mort ; Du Poytevin qui enseigne te chemin au passant ; Du Poytevin et du sergent qui mit sa charetic et ses bœufs en la main du roy ; D’un autre Poytevin et de son fils Micha ; Du gentilhomme de Beausse et de son disner ; Du prestre qui mangea à desjeuner toute la pitance des religieux de BeauLieu ; De Jehan Doingé, qui tourna son nom par le commandement de son père ; De Janin, nouvellement marié ; Du légiste qui se voulut exercer d lire ; Du bon yvrongne Janicot, et de Jannette sa femme ; D’un gentilhomme qui mit sa langue en la bouche d’une damoiselle, en ta baisant ; Du. couppeur de bourses et du curé qui avoit vendu son bled ; Des mesmes coappeurs de bourses et du prevost La Voulte ; D’euxmesmes encore, et du coutelier à qui fut couppée la bourse ; Du bandoutier Cambaire, et de ta response qu’il fit à la court de parlement ; De l’honnesteté de monsieur Salzard ; De deux escaliers qui emportèrent les ciseaux du tailleur ; Du cordelier qui tenoit l’eau auprès de soy à table et n’en beuvoit point ; D’une dame qui faisoit garder les coqs sans congnoissance de poulies ; De la pie et de ses piauz ; D’un singe qu’avait un abbé, qu’un Italien entreprint de faire parler ; Du singe qui beut la médecine ; De l’invention d’un mary, pour se venger de sa femme. Les nouvelles dont l’authenticité est dou CONT

teuse sont au nombre de quarante-neuf ; elles sont assez courtes, comme les contes de la première série, dont plusieurs sujets se retrouvent, soit dans les vieux fabliaux, soit dans les recueils des conteurs français et italiens.

Les Nouvelles de Des Périers sont du même style que les écrits des grands prosateurs du xvic siècle ; elles méritent autant d’estime que les ouvrages d’Amyot et de Montaigne. Les Contes de cet esprit tout rabelaisien contiennent en général le développement simple, hardi et souvent licencieux, d’un trait d’esprit, d’une joyeuse réplique. Les rares qualités déployées dans ces charmantes compositions ont été finement appréciées par M. Louis Lacour, qui n’admet pas que plusieurs y aient travaillé. « Pas de lenteurs dans la narration ; tous les mots portent, et leur intention comique, lorsqu’elle est voilée, ne leur donne que plus d’attrait. La fin des devis répond au commencement ; c’est une moralité, mais la forme

varie : tantôt courte histoire, confirmation de la principale ; tantôt remarque isolée très-drôle ; quelquefois il y a plusieurs réflexions, qui, faites d’une manière précise, brillante, imprévue, se gravent aussitôt dans la mémoire, et y fixent profondément toute la fable qu’elles ont suivie. C’est le secret du poète. Des Périers, ne l’oublions pas, Rabelais et Marot mis de côté (pourquoi Marot ?), fut le plus remarquable des écrivains de son époque. » Sa prose est d’une pureté exquise ; elle est vive, rapide, naturelle. Son style brille par la délicatesse et la clarté. Des Périers est un des trois grands esprits qui, au sentiment de Charles Nodier, dominent la première moitié du xvi» siècle.

Lacroix du Maine, Duverdier, et La Monnoye, qui les suit, attribuent la plus grande part de ces contes à Jacques Pelletier, du Mans, et à Nicolas Denisot ; les bibliophiles modernes rejettent cette prétendue collaboration des deux amis de Bonaventure. Ces

deux amis, de concert avec Antoine Dumoulin, ne Aient que revoir et compléter l’œuvre inachevée du malheureux Des Périers.


Contes de La Fontaine (LES). De même que Boccace, sur lequel il a pris modèle, avait composé son Décaméron pour satisfaire le caprice de ses deux amantes, la Fiammetta, fille naturelle de Robert, roi de Naples, et Jeanne, reine de Florence, de même, La Fontaine écrivit ses premiers contes pour plaire à Mme  de Bouillon, nièce de Mazarin, et les autres pour se complaire à lui-même. Exilée à Château-Thierry, cette princesse, en compagnie des quatre sœurs Mancini, aimant, comme elle, la galanterie et les plaisirs, tenait une petite cour qui fut charmée de l’enjouement, de l’imagination de La Fontaine. Sur les instances de cette société, le poète se mit à l’œuvre et Boccace fut bientôt égalé, sinon surpassé. La Fontaine ne s’est guère mis en frais d’imagination pour ses contes, dont il a emprunté les sujets à Boccace, à l’Arioste, à l’Heptaméron, etc. Il possède à un haut degré l’invention du détail et on remarque en lui une plénitude de poésie qui ne se retrouve nulle part chez les autres auteurs français. C’est le dernier des vieux Gaulois ; Villon, Rabelais, Régnier, sont ses ancêtres, dont l’esprit s’est résumé, personnifié et rajeuni en lui, grâce à son art de plaire et de n’y penser pas, comme il disait de Mme  de la Sablière. Chaque conte est un petit chef-d’œuvre qui, dans le genre naïf, servira toujours de modèle pour la narration. L’intérêt et la saillie, sans cesse à côté du simple et du naturel, y charment l’esprit et surprennent l’imagination d’une manière agréable et séduisante. Lorsqu’il raconte, on ne songe plus qu’on lit une fiction ; on s’oublie soi-même et, livré à une espèce d’enchantement, l’on croit entendre et voir tout ce qu’on lit. Si, changeant de style, il adresse la parole aux dames, quelle élégance ! quelle finesse dans ses compliments ! quelle tournure délicate et galante dans ses louanges ! Selon l’expression de Chamfort, « il ne faut pas discuter ce qu’on doit sentir ni analyser la naïveté. » Ses joyeusetés folâtres rappellent celles de la reine de Navarre, mais sont moins libres dans la forme ; ses grâces apparaissent sans voiles, mais non pas sans pudeur. « Il prépare et fond, dit M. Sainte-Beuve, comme sans dessein, les incidents, généralise les peintures locales, ménage au lecteur des surprises qui sont l’âme de la comédie, anime le récit par une gaieté de style relevée par la grâce d’une poésie légère se montrant et disparaissant tour à tour. » Il excelle dans l’art charmant de s’entretenir avec le lecteur, de se jouer du sujet, d’en changer les défauts en beautés, de plaisanter sur les objections que peut soulever son invraisemblance, tout en accordant les nuances les plus changeantes, en établissant l’harmonie entre les couleurs les plus opposées. « Par mille artifices de style, remarque Chamfort, les beautés se placent d’elles-mêmes dans sa narration, sans en interrompre ni retarder la marche ; aussi doit-on le montrer et non le peindre, le transcrire et non le décrire. » On ne sait qu’admirer le plus, de l’heureuse alliance d’expressions, de la hardiesse et de la nouveauté des figures, du charme continu du style, des couleurs riches et variées, de l’agrément et du sel des rapprochements et des plaisanteries. La Fontaine vous frappe, pour me servir d’un de ses mots, par la grâce de la soudaineté, le tour naïf qu’il donne à ses pensées ingénieuses, la forme simple dont il revêt une idée énergique et forte. Il se joue si naturellement de toutes les difficultés qu’on ne se douterait jamais que

La gloire vend ce qu’on croit qu’elle donne.

Évitant les détails oiseux avec le plus grand soin, La Fontaine peint d’un trait des figures vraies et frappantes, sans se préoccuper de la bordure et du cadre de son tableau. Il brille surtout, malgré quelques incorrections,

Par la grâce, plus belle encor que la beauté,

et par la vivacité de ses petites scènes animées, cachant son génie par son génie même, tant il excelle à faire ressembler l’art au naturel.

On a blâmé dans les Contes de la Fontaine l’irrégularité des vers, le ton licencieux et le peu d’estime de l’auteur pour le beau sexe. Les vers irréguliers, étant ceux qui tiennent le plus de la prose, rendent l’allure du récit plus naturelle, de même que le vieux langage lui prête une grâce particulière. La nature même du conte autorise une certaine licence, et trop de scrupule le gâterait. En définissant, d’après Cicéron, les bienséances, le ton conforme au sujet, on pécherait dans ce cas contre les lois de la bienséance, au sens ordinaire du mot, en voulant les observer trop rigoureusement. Le charme ne réside pas plus dans l’austérité que dans la vraisemblance, il est tout entier dans la manière de conter. Quant au peu de cas que l’auteur fait des femmes, il faut se rappeler que ce n’est qu’un jeu où l’on menace, mais sans porter de coups, et que La Fontaine, qui regardait les passions, non comme une maladie, mais comme un ressort de l’âme, ne devait point trouver extraordinaire leur peinture naturelle. Ses contes excitent le rire, plaisent à l’esprit, sans effleurer ni corrompre le cœur. Néanmoins, un peu plus de réserve et de moralité ne nuirait nullement à l’intérêt. L’auteur semblait ne pas s’en douter, car ayant effarouché la pudeur de la censure par une application licencieuse de ce verset de la Bible : « Tu m’as donné cinq talents, et j’ai su en gagner cinq autres, » il voulait dédier le conte où se trouvait cette parodie inconvenante au docteur Arnaud ! Il ne se rendit bien compte du danger de ces œuvres, plus que légères, que lorsque Louis XIV différa son admission à l’Académie, et ne l’approuva que sur sa promesse d’être plus sage à l’avenir. Vers la fin de ses jours, La Fontaine désavoua ses Contes et, pour expier ce mauvais usage de son talent, fit amende honorable. Il s’exagérait la portée de son péché, que le lecteur charmé est tout disposé à juger des plus véniels.

Les Contes de La Fontaine se divisent en cinq livres, dont les trois premiers furent publiés à Paris, avec privilège du roi : le premier en 1665, le second de 1667 à 1669, et le troisième en 1671. Le quatrième fut imprimé en 1675, à Mons, et interdit à la requête du lieutenant de police La Reynie. Ce fut la Champmeslé qui se chargea de l’acclimater en France ; aussi, pour la remercier, La Fontaine lui dédia-t-il son Belphégor. Quant au cinquième, il dut de voir le jour aux instances du prince de Condé et du duc de Vendôme, de 1682 à 1684, mais il fut présenté sous un autre titre que celui de Contes, et après avoir circulé assez longtemps en manuscrit. C’est cependant celui dans lequel l’auteur s’est montré le plus réservé.

Voici les titres des Contes du Bonhomme :

Livre Ier. Joconde, Richard Minutolo ; Cocu, battu et content ; le Mari confesseur, le Savetier, les Deux amis, le Glouton, Sœur Jeanne, le Juge de Mesle, le Paysan qui avait offensé le seigneur.

Livre II. Le Faiseur d’oreilles, les Cordeliers de Catalogne, le Berceau, le Muletier, l’Oraison de saint Julien, la Servante justifiée, la Gageure des trois commères, le Calendrier des vieillards, À Femme avare galant escroc, On ne s’avise jamais de tout, le Villageois qui cherche son veau, l’Anneau d’Hans Carvel, le Gascon puni, la Fiancée du roi de Garbe, l’Ermite, Mazet de Lamporechio.

Livre III. Les Oies du frère Philippe, la Mandragore, les Bernois, la Coupe enchantée, le Faucon, la Courtisane amoureuse, Nicaise, le Bât, le Baiser rendu, Alis malade, Portrait d’Iris et l’Amour mouillé, imités d’Anacréon ; le Petit chien qui secoue de l’or et des pierreries.

Livre IV. Comment l’esprit vient aux filles, l’Abbesse malade, Dindenaut et Panurge, les Troqueurs, le Cas de conscience, le Diable de Papefiguière, Féronde ou le purgatoire, le Psautier, le Roi Candaule et le maître en droit, le Diable en enfer, la Jument du compère Pierre, le Pâté d’anguilles, les Lunettes, le Cuvier, la Chose impossible, le Magnifique, le Tableau.

Livre V. La Clochette, le Fleuve Scamandre, la Confidente sans le savoir, le Remède, les Aveux indiscrets, les Quiproquo.

On imprime ordinairement à la suite de ces contes : la Couturière, le Gascon, la Cruche, Promettre est un et tenir est un autre, le Rossignol. C’est à tort. Les trois premiers de ces contes appartiennent à d’Autereau, et les deux autres sont dus à Lamblin, conseiller au parlement de Dijon, ou à Trousset de Valincourt, célèbre par sa critique du roman de la Princesse de Clèves. Dans quelques éditions on trouve encore : Belphégor, la Matrone d’Éphèse, Philémon et Baucis, les Filles de Minée et l’épitaphe de La Fontaine. Il suffit de jeter les yeux sur ces différents morceaux pour reconnaître qu’ils ne participent nullement de la nature du conte.

Choisir entre les contes de La Fontaine serait trop délicat : tous sont charmants. Nous allons citer trois des plus courts, pour donner une idée du genre.

LE BÂT.

Un peintre était qui, jaloux de sa femme,
Allant aux champs, lui peignit un baudet
Sur le nombril, en guise de cachet.
Un sien compère, amoureux de la dame,
La va trouver et l’âne efface net,
Dieu sait comment ! puis un autre en remet
Au même endroit, ainsi que l’on peut croire.
À celui-ci, par faute de mémoire,
Il mit un bât, l’autre n’en avait point.
L’époux revient, veut s’éclaircir du point.
« Voyez, mon fils, dit la bonne commère,
L’âne est témoin de ma fidélité. —
Diantre soit fait, dit l’époux en colère,
Et du témoin et de qui l’a bâté ! »

LE VILLAGEOIS QUI CHERCHE SON VEAU.

Un villageois, ayant perdu son veau,
L’alla chercher dans la forêt prochaine.
Il se plaça sur l’arbre le plus beau
Pour mieux entendre et pour voir dans la plaine.
Vint une dame avec un jouvenceau.
Le lieu leur plaît, l’eau leur vient à la bouche,
Et le galant, qui sur l’herbe la couche,
Crie en voyant je ne sais quels appas.
« Ô Dieu ! que vois-je et que ne vois-je pas ! »
Sans dire quoi, car c’était lettres closes.
Lors le manant, les arrêtant tout coi,
« Homme de bien, qui voyez tant de choses,
Voyez-vous point mon veau, dites-le moi ? »

SŒUR JEANNE.

Sœur Jeanne, ayant fait un poupon,
Jeûnait, vivait en sainte fille,
Toujours était en oraison,
Et toujours ses sœurs à la grille.
Un jour donc l’abbesse leur dit :
« Voyez comme sœur Jeanne vit,
Fuyez le monde et sa séquelle. »
Toutes reprirent à l’instant :
« Nous serons aussi sages qu’elle
Quand nous en aurons fait autant. »

Le jugement de La Harpe mérite d’être rapporté : « Du côté des mœurs, la plupart des contes de La Fontaine sont plutôt libres que licencieux : ce qui n’empêche pas qu’on ait eu raison d’y voir un mal et un danger qu’il n’y voyait pas lui-même, et qu’il aperçut dans la suite.... En total, cet ouvrage ne me paraît pas du nombre de ceux qui sont les plus dangereux pour les mœurs. Les livres où la passion est traitée de manière à exalter l’imagination de la jeunesse, ceux où la volupté est représentée sans voile, enfin ce qui peut nourrir dans les jeunes personnes les erreurs de la sensibilité ou exciter l’ivresse du libertinage, voilà les lectures vraiment pernicieuses, et l’expérience apprend tous les jours le mal qu’elles ont fait. »

Vauvenargues a sévèrement jugé La Fontaine, au point de vue de ses œuvres, notamment de ses Contes et nouvelles. Il dit, dans les Réflexions critiques sur quelques poètes : « Le nœud et le fond des contes de La Fontaine ont peu d’intérêt, et les sujets en sont bas. On y remarque quelquefois bien des longueurs, et un air de crapule qui ne saurait plaire. Ni cet auteur n’est parfait en ce genre, ni ce genre n’est assez noble. » Le jugement de Vauvenargues n’a pas obtenu d’autorité ; nous préférons de beaucoup celui de La Harpe. En terminant, citons l’opinion de M. Géruzez sur les Contes de La Fontaine :

« Ce côté de la gloire de La Fontaine doit être voilé ; car, bien que l’ingénuité corrompue du Bonhomme n’ait pas embrassé l’immoralité de propos délibéré, et qu’il se soit étonné que pour cinq ou six contes bleus on l’ait accusé de pervertir l’innocence, l’accusationn’en est pas moins fondée.

« La licence des tableaux qu’il trace, loin d’être couverte par la grâce d un style inimitable, n’en est que plus dangereuse. Toutefois, de ses deux chefs-d’œuvre en ce genre, il y en a un au moins, le Faucon, qui n’offense en rien la pudeur. Ajoutons bien vite, et pour courir sur ce sujet scabreux, que, dans aucune langue, par aucun poëte, l’art du récit n’a été porté à ce degré de perfection. »


Contes de fées ou Contes de la mère l’Oie, par Charles Perrault. Ces contes, qui vivront aussi longtemps que la langue française, furent imprimés pour la première fois en 1097 et dédiés à Mlle de Montpénsier, sous le nom du jeune Perrault d’Avrancourt encore enfant, fils de l’académicien Charles Ferrault, qui un était le véritable auteur. Le tou naïf et familier, l’air de bonhomie, la simplicité qui régnent dans ces contes, étaient bien propres k leur acquérir la célébrité dont ils jouissent. Ils étaient au nombre de huit : le Petit Chaperon rouge, les Fées, Barbe-Bleue, la Belle au bois dormant, le Maitre Chat ou le Chat botté, Cendrillon ou la Petite pantoufle de vair, Biquet à la Houppe et le Petit Poucet. On y ajouta plus tard l'Adroite princesse ou les Aventures de Finette, Peau-d’Ane et Grisélidis dont l’auteur est incertain.

11 y a, dans les Contes de Perrault, une ingénuité qui met au niveau le conteur et l’enfant qui l’écoute : on croit ici les voir également affectés du merveilleux du récit, également sensibles aux événements, également simples dans la manière d’exprimer ce qui les affecte. =