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tien, comme dans sa diction, une différence réelle entre la manière de rendre ce rôle et celle qu’il mettrait s’il en remplissait un dans le comique d’un genre opposé, puisque l’un nous montre la nature polie par l’éducation, et que l’autre nous la montre privée de cette culture. Dans le genre noble, l’acteur nous instruit ; il cherche à nous corriger en nous faisant la peinture des égarements de l’esprit, des faiblesses du cœur, Dans le genre opposé, l’acteur excite notre gaieté, ou par l’air lisible qu’il prête au personnage qu’il représente, ou par son talent, en nous faisant rire des autres personnages de la pièce. Le rôle que remplit un acteur doit imprimer sur sa figure l’esprit de ce rôle. » Préville recommande de prendre les tics communs aux personnages qu’on représente. Avez-vous a jouer le valet d’un

riche impertinent, dit-ilj faites ressortir ce que peut produire sur un domestique le mauvais exemple que lui donne son maître : empruntez son ton et ses manières. Profitez avec avantage de la ressource que l’auteur vous donne souvent de nous égayer aux dépens des autres personnages de la comédie, soit en les parodiant, soit en nous peignant d’une manière comique leurs défauts les plus apparents ; comme lorsque Pasquin, dans l’Homme à bonnes fortunes, affectant le ton suffisant de son maître, adresse à Marton les mêmes discours tenus par Moncade à cette suivante : « Suis-je bien, Marton ?... Adieu, mon enfant... Je vous souhaite le bonjour. » Mais il faut que ces imitations soient rendues avec finesse ; autrement, elles seraient froides et insipides.

Il est des rôles qui veulent être chargés, accentués serait plus juste, et qui par cola seul sont l’écueil ordinaire des acteurs. Employer la charge avec une sorte de sobriété qui ne descende pas jusqu’à la trivialité est le talent je plus rare qui se puisse rencontrer. Tout rôle qui tient à ce genre, tel que Toutabas, dans le Joueur ; Harpagon, dans l’Avare ; M. Jourdain, dans le Bourgeois gentilhomme, permet à l’acteur qui le remplit de s’abandonner à une sorte d’exagération dans son débit comme dans son jeu muet ; mais, pour réussir complètement à le rendre alors agréable aux spectateurs, il faut, selon l’expression de Préville, qu’il ait l’art de les conduire à une sorte d’ivresse qui les mette hors d’état de pouvoir le juger avec la même sévérité que s’ils étaient de sang-froid. Il faut enfin qu’ils soient pour ainsi dire de moitié avec lui, et que le plus ou moins de gaieté qu’il leur inspire soit le thermomètre sur lequel il se règle pour se taire, agir ou parler, il s’ensuit de là qu’il est des rôles dans lesquels l’acteur laisserait son public froid s’il se contentait de les débiter sagement, et que la charge, loin d’être un défaut, est au contraire un degré de perfection dans la manière de rendre ces rôles. Mais s’il est des pièces dans lesquelles le comique peut forcer les intentions, il en est beaucoup d’autres où l’acteur défigurerait son rôle, s’il cherchait à en outrer la gaieté. Le Sganarelle, du Festin de Pierre, serait très-mal joué, par exemple, s’il n’était débité avec la plus grande simplicité. Le comique de ce rôle repose sur un air de crédulité et de bonne foi qu’il est difficile d’atteindre. Tels sont encore le valet et la soubrette des Fausses confidences et les Ménecàmes de Regnard.

Les grands comiques, nous l’avons déjà démontré, sont susceptibles d’une multitude de modifications, selon l’artiste qui est chargé de les piésenter au public. « Tartufe, dit l’auteur anonyme du Dictionnaire théâtral, est moins plaisant que comique ; le Légataire universel, au contraire. Bernard Léon est un comique bouffon, Potier est un bouffon comique. Le colique de Lepeintre est un peu froid, celui de Philippe un peu trop chaud. Brunet est naïf et comique naturellement ; Odry est outré, mais sa niaiserie affectée est cependant quelquefois comique ; Vizentini est un comique de bonne compagnie, Samson un comique spirituel et distingué, Monrose est tout au plus un plaisant. » Il y a ce qu’on appelle le comique en dehors, dont la gaieté est expansive et communicative, dont le jeu est plein de verve, de rondeur et d’entrain ; Got à la Comédie-Française, Geoffroy au Gymnase et au Palais-Royal, quoique parfaitement distincts l’un de l’autre en raison de la nature de leur talent, rentrent dans cette catégorie. Le comique en dedans, qu’on appelle aussi comique froid ou concentré, n’a pas moins d’action sur le public ; mais cette action s’exerce d’une façon différente, et c’est par un sang-froid imperturbable, en opposition complète avec les situations ou les mots, que se font remarquer ceux qui brillent en ce genre et parmi lesquels on peut citer : Arnal, Numa, Régnier, Delaunay, etc. Ce dernier genre est celui qui se rencontre le plus fréquemment, et certains critiques s’en montrent peu satisfaits, témoin ces lignes que nous extrayons des Épaves de M. Charles Maurice :

« Par une étrange singularité, en exceptant Baptiste Cadet, Michot, Brunet et Potier, les comiques de nos théâtres ont tous été atteints de cette insuffisance radicale, la froideur. Sans me borner à la classification consacrée, j’entends par comiques les acteurs chargés de rôles qui ont mission de faire rire et dont, par conséquent, ce reproche ruine la base essentielle de leur talent. Il est également applicable à ceux qui se jettent dans l’excès pour éviter l’écueil, car, au même thermomètre, le fausse chaleur èqmv&utk 10 degrés au-dessous de la glace. C’esticuler, s’agiter,

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grimacer et se persuader qu’où est plaisant, parce que l’emploi diffère de celui des niais, et que, vu le costume, le pavillon couvre la marchandise, ce ne sont pas là des titres pour se soustraire à la collection nominative que voici :

Comiques froids, — A l’Opéra : Beaupré, Capelle, Élie ; — au Théâtre-Français : Dazincourt, Dublin, Samson, Cnrtigny, Faure,

Armand Dailly ; — à l’Odéon : Fusil, Perraud, Ménétrier ; — à Y Opéra-Comique : Lesage, Juliet, Baptiste, Moreau, Feréol, Belnie, Vizentini, Darboville, Paul Dutrech, Henri, Gcnot, Cassel, Sainte-Foy ; — au Vaudeville : Saint-Léger, Duchaume, Carpentier, Chapelle, Fichet, Hippolyte, Guénée, Philippe Roustan, Bernard Léon, Bardou, Emilien ; — aux Variétés : Bosquier, Blondin, Cazot, Vaudoré, Lefèvre, Sylvestre, Lhérie, Dubourjal, Levassor, Réhard, Kopp ; — au Palais-Royal : Alcide Tousez, Sainville, Achard, Leménil, Grassot, Lhéritier, Gil-Pérez, Ravel ; — au Gymnase : Perlet, Klein, Numa, Legrand, Sarthé ; — à la Porte-Saint-Martin : Talon, Pierson, Pascal, Lepelle, Thibouville, Liez, Bertin, Boutin ;

— à l’Ambigu-Comique : Fo’ignet fils, Lebel, Paul Minet, Raymond, Raflile, Stockleit, Melcourt ; — à la Gqité : Ribié, Duménis, Mercier, Parent. — Avant ceux-là on avait vu : Volanges père, à laruedeLancry ; son fils, au Palais-Royal ; Mayeur, à la Gaité ; Beaulieu, au théâtre de la Cité.

Selon moi, ces acteurs (qu’à l’exception de Volanges père j’ai tous vus) ont été plus ou moins dépourvus du vrai sens comique, et n’ont mis en lumière que des similitudes, au lieu de cette hilarité saine et communicative qui déride irrésistiblement le front des plus difficiles spectateurs. »

Nous avons cité ce jugement pour sa singularité, car on voit qu’il enveloppe dans une même expression de blâme la plupart des grands artistes, et des plus grands, qui se sont fait en France un nom dans l’emploi des comiques ; tous les artistes qui parcourent la même carrière ne sont pas doués des mêmes facultés, et il serait, croyons-nods, injuste de les leur demander, car ils ne pourraient s’assimiler les qualités que la nature ne leur a point départies, qu’aux dépens de leur originalité.

Nous allons maintenant citer les noms des comiques qui, depuis trente, ans, se sont fait un nom sur les théâtres de Paris. — Au ThéâtreFrançais : Samson, Régnier, Got, Provost, les deux frères Coquelin ; — à l’Opéra-Comique : Sainte-Foy, Couderc, Lemaire ;— au Gymnase : Numa, Geoffroy, Bouffé, Landrol père, Landrol fils, Lesueur, Villars, Priston ;

— aux Variétés : Lepeintre aîné, Lepeintre jeune, Arnal, Hoffmann, Leclère, Rébard, Raynard, Dupuis ; — au Palais-Royal : Achard, Grassot, Amant, Levassor, Ravel, Sainville, Alcide Tousez, Brasseur, Lassouche ; — au Vaudeville : Parade, Delaunay, Ambroise ;à la Porte-Saint-Martin : Boutin, Vannoy, Laurent ; — à la Gaité * Paulin Ménier, Alexandre, Perrin ; — aux Bouffes-Parisiens : Léonce, Désiré, Pradeau, Berthelier ;

— au Théâlre-Déjazet : Joseph Kelm, etc.. Nous ne devons pas oublier dans cette nomenclature trois artistes d’un genre tout h

fait particulier, et qui doivent être mentionnés

fiarnii les grands comiques’, nous voulons parer des trois pierrots qui se sont fait tour à tour applaudir aux Funambules : Deburau père, Deburau fils et Paul Legrand. IJOpéraComique renferme aussi dans son cadre deux rôles comiques, la basse comique et le ténor comique ou trial, du nom de l’acteur qui, pendant vingt-cinq ans, joua les paysans et les valets lourdauds, les niais chantants qui exigent un physique imbécile et une voix d’un timbre particulier. Souvent la désignation des emplois comiques s’emprunte au nom de quelque artiste devenu célèbre : les laruettes dans l’emploi des ganaches, des pères dindons, des cassandres de l’opéra-comiçue ; les rosières dans les rôles de bailli ; les soliés, tenant des laruettes et qui, au plaisant, ajoutaient le charme d’une jolie voix.

Comique et lyrique (THÉÂTRE-FRANÇAIS),

fondé en 1790 par Clément de Lornaison. 11 était situé au coin des rues de Bondy et de Lancry, sur l’emplacement de l’ancien théâtre des Variétés-Amusantes, auquel avait succédé une manufacture de papier. On jouait au Théâtre-Français comique et lyrique le vaudeville, la comédie, te drame et l’opéra-comique, et son succès s’affirma dès l’origine, grâce à certaines pièces signées Piis, Léger, Guillaume, Deschamps, etc., et à quelques opéras-comiques dont la musique était composée par Leblanc, Désaugiers, Jadin, Chardiny, Arquier. Un événement qui le fit entrer d’un seul bond dans un état do fortune inespéré et le posa en rival des scènes les plus " imposantes fut la représentation d’une pièce du Cousin-Jacques ’ : Nicodème dans la lune ou la Révolution pacifique, pièce remplie d’allusions politiques et très-hardie pour l’époque, qui fut jouée cent quatre-vingt-onze fois en treize mois, rapporta aux administrateurs un bénéfice de 200,000 livres, et eut en 1793 sa 373e représentation. C’est la création du rôle de Nicodème dans cette pièce qui mit en pleine lumière le fameux comique Juliet, et qui le fit entrer au théâtre Feydeau. Cependant, et en dépit d’une chance aussi heureuse, les erreurs et les fautes d’une mauvaise administration entraînèrent vers sa perte le Théâtre-Français comique et lyrique ; il fut fermé dans les derniers mois de l’année 1793, et la

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salle resta inoccupée jusqu’en 1795, époque à laquelle un artiste du nom de Robillon la rouvrit pour en faire le théâtre des Jeunes-Artistes, qui devint l’un des plus fameux de ce temps. Pour les détails ultérieurs, nous devons donc renvoyer le lecteur au root JeunesArtistes (théâtre des).

Comique (THÉÂTRE DE l’AMBIGD-).V. PARIS. Comique (THÉÂTRE DE i/OPÉRA-). V. OPÉRA.

COMIQUEMENT adv. (ko-mi-ke-man— rad. comique). D’une façon comique : On représente COMIQUEMENT ce qui se passe de ridicule en divers lieux. (St-Evrem.) Est-ce parce que lu es en philosophie que tu te crois obligé d’arbo' rer cet air profondément triste et comiquement austère ? (A. Karr.) Notre héros se souleva et lui rendit son salut de Vair du monde le plus comiquement sérieux. (A. Iloussaye.)

COMIR s. m. (ko-mir — du lat. cum, avec j ire, aller). Hist. littér. Sorte de bateleur qui allait de pays en pays chanter les vers des troubadours, en s’accompagnant de quelque instrument.

COM1SO, bourg du royaume d’Italie, dans la Sicile, province de Noto, district et à 15 kilom. N.-O. de Modica, chef-lieu de canton ; 7,000 hab.

COMITAT s. m. (ko-mi-ta — bas lat. comitatus, dignité de comte). Hist. Nom des subdivisions administratives de la Hongrie : Quelques hussards et une trentaine de haïdouks sont chargés, dans chaque comitat, de veiller à la sûreté publique. (Depping.)

COMITÉ s. m, (ko-mi-te — du lat, cornes, comitis, comte, chef). Officier qui commandait une chiourme sur les galères : Ces forçats qui gémissent sous l’inhumanité d’un comité... (Fléch.) Là-dessus le capitaine fît venir le comité et lui demanda s’il était content de moi. (Le Sage.) La révocation de l’édit de Nantes mit nobles, riches, vieillards, gens aisés, faibles, délicats, à la rame et sous le nerf très-effectif du comité. (St-Sim.)

COMITÉ s. m. (ko-mi-té — du lat. comitatus, suite, réunion de personnes qui en accompagnent une autre). Réunion de personnes

déléguées pour l’étude de certaines questions ou l’exercice d’un certain pouvoir : Comité consultatif. Le président du comité. Le comité de Salut public. La Chambre a nommé un comité. Le comité vient de présenter son travail. Pour rendre l’action des comités révolutionnaires moins étendue et moins tracassière, on en réduisit le nombre à un seul par district. (Thiors.) Le comité évalua la totalité des biens de mainmorte du clergé propriétaire à i milliards. (Lamart.)

— Nom que l’on donne à chacune des sections du conseil d’État.

Eh comité secret, En séance privée, le public étant exclu de la salle des délibérations ; se dit dans les assemblées politiques : La Chambre s’est formée en comité secret. I Fam. En conversation, en délibération tenue à part et secrètement : Mais dites-nous donc bien ce qui en est, demandait-on à Stanislas, en se formant en comité secret, dans un coin du salon. (Balz.)

Petit comité, Réunion de quelques intimes : Je viens passer la soirée avec toi et te demander à souper... entre nous... en petit comité... rien que des amis. (Scribe.) Beaucoup de femmes n’ont pas assez de pudeur en petit comité, ou, pour parler plus juste, n’exigent pas que les contes qu’on leur fait soient assez gazés. (H. Beyle.)

Comité de lecture ou simplement Comité, Réunion d’acteurs ou d’hommes de lettres chargés d’examiner les pièces de théâtre, pour les admettre ou les rejeter :

Je veux au comité te présenter moi-même.

C. Délavions.

— Pop. Comité des recherches, Corps des chiffonniers : On de ces enfants de la nuit, gui, le dos chargé d’une hotte en osier, et marchant un crochet à la main, ont été plaisamment nommés, pendant la Révolution, membres du comité des recherches. (Balz.)

— Encycl. Théâtr. Comité de lecture. Dans l’antiquité, du moins chez les Romains, nous trouvons les comités de lecture déjà organisés. Tout ouvrage dramatique était d’abord porté au temple d’Apollon et soumis à l’examen de cinq juges. En France, la lecture des pièces se faisait, au xvu« siècle, à peu près comme aujourd’hui. L’auteur communiquait d’abord son œuvre à un comédien, et, suivant son avis, il la retirait ou demandait une assemblée chargée de l’entendre « sans prélude ni réflexions, ce que les comédiens ne veulent point, • écrit Chappuzeau. Les femmes se trouvaient rarement à ces lectures, quoiqu’elles eussent le droit d’y assister. On décidait alors de vive voix. Les bulletins furent ensuite adoptés, puis les boules blanches, rouges ou noires, comme on le verra ciaprès. Au temps de la monarchie absolue, sous le règne des gentilshommes de la chambre, les pièces arrivaient presque toujours à la Comédie-Française sous le patronage de quelque grand seigneur qui la recommandait à un acteur ou à une actrice en faveur. Le plaisir de la scène était alors purement aristocratique ; les riches seigneurs recherchaient les comédiens, encore plus les comédiennes, et vivaient volontiers en leur compagnie. Ils se préoccupaient beaucoup du théâtre, non

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point pour le salut de l’art, ni toujours pour le charme du spectacle, mais afin de courtiser plus aisément les princesses de la rampe. Mêlés à toutes les intrigues de coulisses, ayant leur loge dans la salle et leurs entrées sur la scène, ils se donnaient des airs de protecteurs des lettres, et ce n’était souvent que sur leur intervention que les poètes parvenaient à être joués. Toutefois, les auteurs déjà célèbres lisaient leurs ouvrages dans les salons, devant une assemblée d’élite, et de là ces ouvrages passaient sur la scène, sans autre examen. La comédie n’avait point encore de comité de lecture. Une pièce d’un auteur inconnu ne pouvait arriver que sous le couvert d’un de ces grands seigneurs, qui la remettait à tel ou tel acteur, et, sur l’avis de ce dernier, la pièce était ou non agréée. À part l’humiliation imposée au talent par ces sollicitations auxquelles il devait s’abaisser, il arrivait encore que les acteurs lisant peu se faisaient attendre ou affectaient même un dédain superbe pour les écrivains dramatiques. Un jour, un marquis très-haut placé présente le drame d’un jeune poëte à Mole, qui promet toute sa

firotection à l’ouvrage nouveau. Le marquis ui remet le manuscrit, élégant rouleau entouré d’un ruban qui lui sert de lien. Six mois se passent. Le marquis revient chez Mole pour savoir ce qu’il pense de l’ouvrage de sou protégé. « La pièce est admirablement écrite, ’ dit le comédien, le sujet en est original, et les caractères tracés avec une grande observation du cœur humain. Ce jeune homme ira loin ; mais il faut encore qu’il étudie les chefsd’œuvre, qu’il suive nos représentations, qu’il travaille pour acquérir cette expérience de la scène, sans laquelle, vous savez bien, monsieur le marquis... — Ce que je sais bien, interrompit le marquis, c’est que vous n’avez pas lu la pièce. » Et déroulant le manuscrit, il lui montra les pages d’un cahier de papier blanc qu’il n’avait pas même délivré de son lien. Racontée à la cour et à la ville, cette aventure fit du bruit et devint le sujet d’une comédie-proverbe représentée à l’Ambigu-Comique le H septembre 1784, sous le titre de la Matinée du comédien de Pwsépolis. Ce qui ajoute au curieux de l’affaire, c’est que cette pièce, que Mole put aller voir afin de juger de la ressemblance du portrait, figure sous son nom dans ses Mémoires ; elle est d’Aubryet, et c’est par erreur que la biographie Didot l’attribue à Cailleaii. Quoi qu’il en soit, « cette petite chienne d’aventure fort piquante, » comme aurait dit Mme de Sévigné, eut assez d’importance pour amener un heureux changement dans les habitudes du théâtre. De ce moment, s’il faut en croire Jouslin de Lasalle, dans ses Sduvenirs dramatiques, les comédiens ne voulurent plus laisser à un seul le soin de juger les auteurs ; ils formè•rent un comité d’examen composé des principaux acteurs ; tous les auteurs n’y comparurent pas d’abord ; la plupart des ouvrages étaient lus par les lecteurs de la troupe ; Mole et Monvel, par le charme de leur élocutio», la séduisante mélodie de leur voix, acquirent une telle réputation dans ces lectures, qu’ils firent recevoir à l’unanimité des suffrages une foule de pièces que le public sifflait quand elles arrivaient ensuite devant lui. La Comédie leur fit défense de lire à son comité d’examen. C’est à partir de cette défense que tous les auteurs, indistinctement, furent admis à lire eux-mêmes leurs ouvrages. Cet usage s’est continué, et, aujourd’hui comme alors, le comité est encore composé d’acteurs et d’actrices. Le décret de Moscou règle ainsi ses attributions, en ce qui concerne le Théâtre-Français :

« Art. es. La lecture des pièces nouvelles se fera devant un comité composé de neuf personnes choisies parmi les plus anciens sociétaires, par le surintendant, qui nommera

en outre trois suppléants, pour que le nombre des membres du comité soit toujours complet, Art. 69. L’admission a lieu à la pluralité absolue des voix.

« Art. 70. Si une partie des voix est pour le renvoi à correction, on refait un tour de scrutin sur la question du renvoi, et on vote par oui ou non.

Art. 71. S’il n’y a que quatre voix pour le renvoi à correction, la pièce est reçue... •

De tout temps, ainsi que le fait justement remarquer Jouslin de Lasalle, on s est beaucoup préoccupé des comités ; les hommes da lettres ont toujours prétendu qu’ils devaient être jugés par leurs pairs, et non par des comédiens inhabiles à apprécier le mérite littéraire d’un ouvrage et disposés à se laisser influencer par de bons ou de mauvais rôles, et, vers la fin de la Restauration, le ministre exigea des comités mixtes pour le premier et le second Théâtre-Français. L’Odéon eut un comité exclusivement littéraire. Larel, directeur alors, qui jamais n’immisçait ses pensionnaires dans 1 administration, avait refusé de les faire entrer au comité ; mais il manœuvra do telle sorte, que, peu de temps après sa formation, il y avait fait admettre son notaire, adjoint de la mairie, le colonel de la garde nationale du quartier dont lui-même était chef de bataillon, les deux capitaines de son bataillon, le secrétaire et le caissier du théâtre. Ce comité dura peu, et Larel resta seul un matin ; il ne s’en trouva pas plus mal. Au reste, sa méthode de réception était assez originale. « La lecture des pièces doit vous prendre un temps énorme, lui disait un jour Jouslin