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sonné lancé contre Anne d’Autriche, qui l’avait glacé d’un regard de mépris, après s’être donné le spectacle d’un prince de l’Église dansant une sarabande devant elle et pour l’amour d’elle, en pantalon de velours vert, des sonnettes aux jarretières et des castagnettes à la main. Anne d’Autriche fut contrainte d’assister à la. première représentation de Mirame, et d’entendre les allusions les plus injurieuses à l’endroit de Buekingham. La Grande pastorale renfermait jusqu’à 500 vers de la façon de Richelieu, mais il céda aux observations de Chapelain, à qui il avait commandé de la revoir, et qui eut le courage de lui faire comprendre qu’elle ne méritait pas l’impression. La Société des Cinq Auteurs fut naturellement dissoute en 1642, par la mort du cardinal-ministre.

Cinq Saints (LES) Ou le Cbrist dans sa gloire,

tableau de Raphaël ; musée de Parme. Le Christ, assis sur des nuages, au milieu d’une gloire d’anges, lève les bras et montre ses mains marquées des sacrés stigmates de la Passion. À sa droite et à sa gauche, portés sur les mêmes nuages, sont placés la Vierge qui s’incline avec amour devant son divin Fils, et le jeune saint Jean qui montre de la main le Sauveur du monde. Au-dessous, dans un riant paysage, se trouvent d’un côté, saint Paul, debout, tenant sur son bras une épée nue, et de l’autre côté, sainte Catherine d’Alexandrie à genoux, appuyée sur la roue, instrument de son martyre, le regard tourné vers la Madone. Ce tableau, dont quelques connaisseurs ont contesté l’attribution à Raphaël, est un chef-d’œuvre digne du maître. « La majesté des traits du Rédempteur, dit M. Lavice (Musées d’Italie), la dignité modeste de saint Paul et de saint Jean, l’amour le plus pur brillant dans les physionomies de Marie et de sainte Catherine : tout cela est admirable. Catherine surtout est d’une extrême beauté. La lumière entourant le Christ et venant frapper son manteau bleu, éclaire aussi la Vierge et saint Jean, puis descend sur saint Paul et sur le profil, le haut du corps et la cuisse gauche de la sainte. » M. Guizot pense que les Cinq Saints — titre sous lequel on a coutume de désigner ce chef-d’œuvreappartiennent à la seconde manière de Raphaël, à cette époque où le génie du maître, dégagé des lisières de l’école, en conservait cependant quelques traces encore. On retrouve dans cette composition un peu de cette symétrie archaïque que Raphaël le premier bannit presque entièrement. « Les deux ft’gures à droite et à gauche du Christ présentaient, dans des attitudes différentes, des lignes parfaitement correspondantes ; les chérubins sont distribués entre les rayons de la gloire avec une singulière régularité ; le corps du Christ, sauf un léger mouvement de la partie inférieure vers la droite, est exactement de face, et les deux bras sont placés de la même manière ; la partie supérieure, un peu grêle, conserve un peu de la maigreur des anciennes formes de dessin ; mais la tète, par sa dignité juste et pleine de bonté, indique à la fois les douleurs et les récompenses du sacrifice, dont, par la situation de ses mains, le Sauveur semble occupé à nous découvrir les marques. Les deux têtes de femmes sont charmantes de pureté et de simplicité ; celle de saint Jean n’a perdu de son caractère sauvage que ce qu’en doit avoir adouci le ciel ; et celle de saint Paul est remarquable par la singularité forte de l’expression. On chercherait comment se rattache au reste de la composition cette figure, placée pour ainsi dire en sentinelle, si un mouvement de son pied ne semblait indiquer que Paul se met en marche au nom du Christ, pour la conquête du monde, auquel le Précurseur vient d’annoncer son maître. » Le tableau des Cinq Saints a été apporté à Paris, à l’époque de la conquête de l’Italie, et a figuré au Louvre ; il a été gravé par Marc-Antoine et dans le Musée royal publié par Laurent.

CINQ-ARBRES (Jean), en latin Quinquarboreua, orientaliste français, né à Aurillac, mort en 1587. Il professa pendant plus de trente ans l’hébreu et le syriaque au Collège de France. Il publia en 1546 une Grammaire hébraïque, à laquelle il joignit un petit traité De natis hebrœorum. 11 traduisit aussi en latin le Targum et quelques ouvrages d’Avieenne.

CINQCENTISTE s. m. (sain-san-ti-sterad. cinq cent). Hist. iittér. Dans la littérature italienne, Écrivain du xvie siècle, c’est-à-dire de 1501 jusqu’à 1600, série de dates dans laquelle les centaines sont figurées par le nombre cinq, [i On dit aussi cinque centiste, pour se conformer à l’orthographe italienne cinque centista.

CINQ-CENTS (conseil des), l’une des deux assemblées dont l’ensemble formait le Corps législatif, en vertu de la Constitution de l’an III. Comme le conseil des Anciens, elle était permanente et devait être renouvelée par tiers tous les ans. Les députés siégeaient trois ans et pouvaient de nouveau être réélus pour les trois années suivantes, après quoi un intervalle de deux ans était nécessaire pour qu’ils pussent se représenter aux suffrages des électeurs. Leur élection appartenait aux assemblées électorales que nommaient les électeurs du premier degré réunis en assemblées primaires. Leur nombre était invariablement fixé à 500. Ils devaient être âgés de trente ans au moins à partir de l’an VII ; jusque-là, l’âge de vingt-cinq ans accomplis était jugé suffi CINQ

sant. Une autre condition d’éligibilité était d’avoir été domicilié sur le territoire de la République pendant les dix années précédant l’élection. Le conseil des Cinq-Cents avait le droit exclusif de ia proposition des lois, qui étaient ensuite adoptées ou rejetées par l’autre assemblée. Deux cents membres au moins étaient nécessaires à la validité des délibérations. Les propositions déposées (sauf celles décrétées d urgence) étaient soumises à trois lectures et à diverses formalités, dont on trouvera le détail dans le texte de la Constitution de l’an III.

Les deux conseils devaient toujours résider dans la même commune. On sait que les Anciens avaient le droit de changer par un décret le lieu de la résidence du Corps législatif, si les circonstances lui paraissaient exiger une translation. Cet article, né des vieilles rancunes girondines contre Paris, fut, comme onne l’ignore point, le point d’appui de la conspiration du 18 brumaire. Jusqu’à ce moment, les Cinq-Cents avaient siégé au Manège, dans l’ancienne salle de la Constituante et de la Législative, et les Anciens aux Tuileries, *dans la salle de la Convention. En aucun cas, les deux conseils ne pouvaient se réunir dans une même salle. Les présidents et secrétaires ne pouvaient exercer leurs fonctions plus d’un mois. Ils avaient respectivement le droit de police sur leurs membres, mais ne pouvaient prononcer de peine plus forte que la censure, les arrêts pour huit jours et la prison pour trois. Aucun des deux conseils ne pouvait s’ajourner au delà de cinq jours sans le consentement de l’autre.

, Les députés aux Cinq - Cents recevaient (sans pouvoir la refuser) une indemnité de 28 fr. par jour, évaluée, d’après une réminiscence antique ; en un certain nombre de myriagrammes de froment, comme pour les membresduDirectoire et des Anciens. Ils communiquaient avec les Anciens au moyen de

messagers d’État (quatre pour chaque conseil), et concouraient avec eux aux déclarations de guerre, sur la proposition nécessaire du Directoire. Ils portaient un costume réglé par la loi, une robe longue et blanche, un manteau éearlate, une toque de velours bleu (les couleurs du drapeau), l’écharpe en ceinture (les Anciens la portaient en sautoir). Ce vêtement était orné de broderies de couleur.

Le conseil des Cinq-Cents était, en outre, chargé de former, pour la nomination du Directoire exécutif de la République et pour le renouvellement d’un directeur par an, une liste décuple de candidats, entre lesquels le conseil des Anciens choisissait.

On sait que la Convention nationale, effrayée des progrès de la réaction royaliste, décida, par ses décrets des 5 et 13 fructidor an III (22 et 30 août 1795), que, pour la mise en vigueur de la Constitution nouvelle, les deux tiers de la Convention entreraient dans le Corps législatif par le choix des assemblées électorales, et que, dans le cas où le chiffre

Erescrit (500) ne serait pas atteint, les memrés élus se formeraient en comité électoral pour le compléter. Ces décrets qui, d’ailleurs, furent acceptés par le peuple ainsi que la Constitution, servirent de prétexte à l’insurrection royaliste du 13 vendémiaire.

Lorsque la Convention termina sa mémorable session, le 4 brumaire an IV (26 octobre 1795), les membres réélus, au nombre de 379, se constituèrent en corps électoral pour choisir 104 conventionnels non réélus, ce qui, avec 17 députés des colonies provisoirement conservés, tonnait le chiffre désigné par la loi. À ces 500 vinrent s’adjoindre le nouveau tiers nommé par les électeurs (250), et tous ensemble commencèrent le travail de classement pour former les deux assemblées, comme nous l’avons décrit à l’article Anciens. Enfin, l’organisation du gouvernement fut complétée par l’élection du Directoire, et les pouvoirs publics entrèrent en fonction.

Le nouveau tiers comprenait des membres des anciennes assemblées, tels que Vaublanc, Pastoret, Dumas, Dupont de Nemours, Tronchet, des hommes nouveaux comme Portails, Siméon, Barbé-Marbois, Tronçon-Ducoudray, la plupart d’un modérantisme qui devait s’accommoder de tous les régimes ; enfin quelques royalistes avoués ; en somme, un flot d’hommes dont le caractère et les convictions n’avaient rien de rassurant pour l’avenir de la République. Chose remarquable, le résidu de la Convention conservait un relief étonnant, comparé à ces nouveaux venus ; tels hommes, qui n’étaient que des médiocrités à côté des grands acteurs des temps héroïques, vont tenir maintenant la tête du mouvement, et la décadence de la République coïncidera précisément avec l’écoulement successif des anciens conventionnels.

Nous ne suivrons pas le conseil des Cinq-Cents dans le détail de ses travaux, dont nous parlerons de nouveau à l’article Directoire, et nous ne donnerons ici que le résumé des principales péripéties de son existence.

Le conseil avait à désigner cinquante candidats, parmi lesquels les Anciens devaient choisir les directeurs. Les ex-conventionnels, après s’être concertés, convinrent entre eux de réunir leurs efforts pour faire nommer cinq régicides, pour donner plus de garanties à la Révolution. Ils obtinrent ce résultat en inscrivant sur leur liste, à côté des hommes dont ils désiraient l’élection, quarante-cinq noms à peu près inconnus ou obscurs. Dans cette pre CINQ

mière session, le Corps législatif marcha généralement d’accord avec le Directoire. Mais les élections de l’an V, pour le renouvellement du deuxième tiers, amenèrent dans les assemblées beaucoup de députés royalistes et même des hommes vendus et des conspirateurs, comme Pichegru, Imbert, Colomès, etc., qui se joignirent à la faible opposition et commencèrent une guerre incessante contre le Directoire et la République, parvinrent à faire passer des lois en faveur des émigrés, des prêtres rebelles, etc., et à porter au Directoire un des leurs, Barthélémy. Toutes ces luttes et les complots avérés du royalisme amenèrent le coup d’État du 18 fructidor (v. fructidor). Le conseil, ’épuré de quelques meneurs, annula les élections précédentes, et dès lors les patriotes reprirent le dessus. Ils eurent la majorité aux élections de l’an VI. Mais le Directoire, craignant dès lors d’être débordé par les révolutionnaires, imagina son déplorable système de bascule, qui consistait à neutraliser les opinions extrêmes en les opposant alternativement l’une à l’autre. Dans beaucoup

d’assemblées électorales, la minorité royaliste, ou tout au moins réactionnaire, désespérant de faire passer ses candidats, s’était séparée pour former des conciliabules, qui élurent audacieusement des députés. Le Directoire, par un calcul de détestable politique, entraîna les csnseils à confirmer la plupart des choix faits par les minorités scissionnaires. C’est cet acte illégal qu’on a nommé le coup d’État du 22 floréal (11 mai 1795). Néanmoins, la majorité des Cinq-Cents, quoique fort modérée et souvent inconséquente dans ses votes, demeura acquise à la République. Les élections de l’an VII, qui cette fois furent respectées, amenèrent de nouveau beaucoup de patriotes dans les conseils. Le Directoire était alors fort déconsidéré, et le Corps législatif fit à son tour une sorte de coup d’État contre lui en annulant la nomination de Treilhard, et en forçant La Réveillère et Merlin à donner leur démission (30 prairial, 18 juin 1799). Quelques mois plus tard avait lieu le coup d’État militaire du 18 brumaire, dont nous avons donné le récit à la fin de l’article Bonaparte (Napoléon).

Le conseil des Cinq-Cents tomba avec énergie et dignité, et sous les baïonnettes des prétoriens il protesta par un dernier cri de : Vive la République !

CINQ-ÉGLISES, ville de Hongrie. V. Funf-

KIRCHEN.

CINQ-FEUILLES s. m. Archit. Ornement en forme de rosace à cinq feuilles ou lobes.


CINQ-MARS, bourg et commune de France (Indre-et-Loire), arrond. et à 35 kilom. N.-E. de Chinon, sur la rive droite de la Loire, au pied d’un coteau et sur le chemin de fer de Tours à Nantes ; 1,999 hab. Carrières de pierre tendre et de pierres meulières. Ce bourg portait autrefois le nom de Saint-Médard-la-l’île, parce qu’on voit, dans la campagne, un énorme pilier carré en briques, de 29 mètres de hauteur sur 4 mètres d’épaisseur. On le trouve cité pour la première fois dans un écrit du xic siècle, mais il doit être beaucoup plus ancien. On suppose que c’est un monument funéraire, dont la construction est attribuée par les uns aux Romains, par d’autres aux Alains ou aux Goths. M. de Caumont n’hésite pas à le ranger, avec les autres édifices analogues, tels que la pile de Pirelonge, la tour d’Ebuon, etc., parmi les traces laissées par les Romains sur notre territoire. Ces sortes de pyramides étaient, ou des tombeaux élevés à des personnages illustres, ou des édifices érigés en souvenir de quelque victoire, ou des bornes marquant la limite des provinces. Le village auprès -duquel se trouve la pile en question ayant porté, pendant tout le moyen âge, le nom de Saint-Maars ou Saint-Médardi on pourrait voir dans cette circonstance une nouvelle indication de l’ancienne existence d’un temple de Mars dans cette localité. M. de La Saussaye, dont l’autorité semble devoir faire loi, se range à cette opinion. Quelques antiquaires ont vu dans ce monument une colonne qui aurait inarqué les limites de l’Anjou et de la Touraine. C’était, suivant cette version, une espèce de terme surmonté de cinq autres termes. Bailly le nomme pile des cinq marques de César, et tire de cette dénomination son nom actuel. Du reste, comme le remarque M. de La Saussaye, rien n’empêche que ce monument n’ait rempli la double destination de trophée militaire et de colonne terminale. Quoi qu’il en soit, ce monument est entièrement construit à l’extérieur en briques romaines de la plus belle fabrication. L’épaisseur de ce revêtement est d’environ 1 mètre, et l’intérieur du massif, qui est entièrement plein, est formé de pierrailles noyées dans du mortier. Aux deux tiers environ de sa hauteur, la pile est décorée d’un cordon formé par deux rangs de briques en saillie ; entre ce cordon et 1 entablement sont disposés, sur la face méridionale du monument, onze compartiments quadrangulaires, remplis par des mosaïques de dessins variés. Dans le voisinage de ce pilier, on voit un château célèbre par la sanglante catastrophe qui termina la carrière de Henri d’Eftiat, marquis de Cinq-Mars. Ses deux tours furent rasées par Richelieu à hauteur d’infamie, après l’exécution du malheureux conspirateur. Ce château avait été bâti par les ordres de Hardouin, premier seigneur du nom de Cinq-Mars, sur la fin du xi" siècle. Il passa ensuite à la famille de

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l’Ile-Bonchârd, et devint successivement la ’ propriété des Rougé, des Château-Giron, des La Trémoille, des de Broc, des Martin de Ruzé, d’où il sortit pour retourner à Henri d’Eftiat. En 1768, ses descendants le vendirent au duc de Luynes, et de nos jours il fut acheté par M. Boisseau.


CINQ-MARS (Henri Coiffier de Ruzé, marquis de), favori de Louis XIII, deuxième fils du maréchal d’Effiat, né en 1620. À l'âge de dix-huit ans, il fut placé auprès du roi par Richelieu, autant pour amuser ses loisirs que pour le surveiller. Bientôt sa société devint indispensable à ce prince mélancolique et maladif, et lui-même, qui n'avait d'abord ressenti que les ennuis de son rôle, songea à en recueillir les avantages, à s’emparer de l'esprit du roi et à se rendre indépendant du cardinal, auquel il était asservi. Il fut nommé successivement capitaine aux gardes, maître de la garde-robe et grand écuyer de France (d'où vint qu’on ne le désignait plus à la cour que sous le nom de M. le Grand). Assuré de son ascendant, il sollicita le titre de duc et pair, une place au conseil et l'autorisation d'épouser Marie de Gonzague, princesse de Mantoue, dont il était aimé. Mais Richelieu, qui voulait un instrument et non point un rival, fit échouer tous ses projets et lui reprocha durement sa présomption et son ingratitude. S'il faut même en croire les mémoires du marquis de Montglat, il le gourmanda comme un valet, le traitant de petit insolent. Blessé dans ses ambitieuses prétentions, dans sa dignité, dans son orgueil, Cinq-Mars ne s'occupa plus que des moyens de se venger. Ce malheureux enfant entreprit follement de renverser le terrible cardinal. Il s'attacha à irriter de plus en plus le roi contre lui, et forma enfin une conjuration dont les principaux chefs étaient avec lui Gaston d'Orléans, frère du roi, et le duc de Bouillon. De coupables négociations furent ouvertes pour obtenir l'appui de l'Espagne et un traité fut signé avec cette puissance par l'entremise de Fontrailles. Richelieu était instruit de tout et il n’attendait pour agir que d’avoir une copie du traité, ce qu’il obtint par le nonce de Madrid. Il mit alors cette copie sous les yeux du roi, qui, lui-même, fit arrêter Cinq-Mars à Narbonne, où il 1'avait appelé, en même temps que son ami de Thou, qui connaissait le complot sans y prendre part et qui fut jugé coupable parce qu’il ne l'avait point révélé. Richelieu, qui était à Tarascon, remonte le Rhône en traînant ses deux victimes dans une barque remorquée par la sienne, et les livre à Lyon à une commission de juges à sa dévotion, parmi lesquels figuraient le fameux Laubardemont et le conseiller Pierre Séguier. Le lâche Gaston, qui s’était hâté de brûler l'original du traité, avoua tout pour obtenir son pardon du roi, chargea ses amis et certifia véritable la copie de Richelieu. Cinq-Mars et de Thou furent condamnés à mort et décapités à Lyon le 12 septembre 1642. Cinq-Mars avait vingt-deux ans. M. Alfred de Vigny a composé un roman plein d'intérêt sur ce tragique épisode : Cinq-Mars ou une Conjuration sous Louis XIII.

Cinq-Mars ou une Conjuration sous Louis XIII , roman d’Alfred de Vigny (Paris, 1827). Dans ce récit, dont la conspiration et la mort de Cinq-Mars ont fourni le cadre, l'auteur a voulu peindre avant tout la grande figure de Richelieu. Le portrait qu’il a fait de ce ministre, qui avait des sicaires pour les victimes obscures et des juges vendus pour la noblesse, est vrai selon 1’art et l’histoire. C'est bien là l’homme vu de près et pris sur le fait ; mais c’est surtout Richelieu dans ses jours de haine et de colère, Richelieu organisant le meurtre ou l'espionnage avec le père Joseph et avec Laubardemont. Toutefois, en mettant surtout en saillie le mauvais génie de Richelieu, il ne lui ôte rien de sa grandeur réelle. Le même homme qui vient d'ordonner tout à l'heure un assassinat dans l'ombre paraît en public et se montre à l’Europe avec une véritable grandeur et un éclat majestueux. On le voit, maître du secret de toutes les cours, à l’armée, sous la cotte d'armes, gagnant et préparant des victoires, et envoyant Louis XIII se battre dans la mêlée comme un obscur capitaine, pour le dédommager de sa nullité dans les conseils. Voilà tout Richelieu : c’est un portrait achevé, où la donnée historique n’est nullement altérée par la fiction du poëte. Le caractère de Louis XIII est également bien rendu ; c’est bien là cette figure étrange et morne, un fils de Henri IV qui envoie à la mort ses amis les plus dévoués, et qui, maître de la France, est l’esclave de Richelieu. Alfred de Vigny a admirablement rendu cette opposition du maître qui commande et du maître qui obéit. Il y a dans ce livre des scènes d'une haute valeur historique. Citons, entre autres, celle où Richelieu, sur le refus du roi de signer un arrêt de mort, se retire, abandonnant Louis XIII à lui-même. Il est là, ce malheureux prince, seul dans son cabinet, au milieu de dépêches dont il ne connaît pas le secret, de notes mystérieuses qu’i1 faut interpréter. Que faire ? Le roi se dépite, tente de se révolter, puis se hâte de mander Richelieu. Qu'importe que quelques têtes encore roulent sous la hache ? le repos royal ne vaut-il pas quelques gouttes de sang ? La figure de Cinq-Mars est nettement dessinée. Peut-être pourrait-on reprocher à A. de Vigny un peu d'indécision dans le portrait de de Thou ; mais,