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masse dans la rue, laissent approcher la garde municipale à portée du pistolet, et la repoussent trois fois de suite au cri de : Vive la république ! Leur exaltation semblait croître avec leurs dangers. Un enfant de douze ans, qui combattait parmi eux, ayant été cruellement blessé à la tête, Jeanne, un décoré de Juillet qui dirigeait la défense avec quelques vieillards, anciens soldats pour la plupart, Jeanne ne put, malgré les sollicitations les plus pressantes, faire quitter la barricade à cet héroïque enfant. Du reste, ce bouillant courage s’alliait, chez les combattants de la rue du Cloître-Saint-Merri, à un sentiment profond d’humanité. Après chaque engagement, ils sautaient par-dessus la barricade, prenaient les blessés dans leurs bras, les emportaient et les soignaient comme des frères. Le 6 au matin, les attaques se succédèrent plus fréquentes ; elles furent toujours énergiquement repoussées. Les insurgés renouvelaient leurs munitions épuisées en dépouillant les morts de leurs gibernes. Une jeune fille, dont l’amant était dans les barricades, s’était placée à l’une des fenêtres d’un café voisin, et avertissait par signes de l’arrivée des soldats, n’interrompant cette occupation que pour panser les blessés ou apporter aux combattants quelques aliments. Cependant la lutte ne pouvait se prolonger, chaque nouvelle attaque laissant dans les rangs des insurgés des vides qu’on ne pouvait combler. Abandonnés à eux-mêmes, en hommes intrépides, ils demeurèrent fermes à leur poste, attendant la mort avec un courage héroïque. Vers le milieu du jour, un détachement d’infanterie se présenta par la rue Aubry-le-Boucher ; mais, après quelques paroles échangées entre Jeanne et le commandant de ce détachement, celui-ci se retira sans avoir attaqué. Quelques instants après, la garde nationale de la banlieue déboucha par le bas de la rue Saint-Martin. Accueillie par un feu roulant, elle s’arrêta indécise, puis bientôt, culbutée et prise d’une indicible frayeur, elle s’enfuit et se dispersa dans toutes les directions. Ainsi, une poignée d’hommes, 60 braves, défiaient un gouvernement, tenaient en échec une armée, parlementaient, livraient bataille. Cependant bientôt les attaques se succédèrent rapidement. Pressés avec acharnement, cernés, réduits presque à moitié, n’ayant plus qu’une centaine de cartouches, les insurgés déployaient une intrépidité merveilleuse. Un vieillard au front chauve, à la barbe grise, tomba mort dans l’intérieur des barricades au moment où il élevait un drapeau en excitant ses compagnons. Près de lui, un jeune homme qui battait la charge eut la main fracassée par une balle : on voulut le transporter à l’ambulance : « Quand ils seront partis, » dit-il, et il continua à battre sa caisse de la main droite. Un des combattants de la rue se plaignant de la faim et demandant des vivres : « Des vivres ! répondit Jeanne ; il est trois heures, et à quatre heures nous serons morts ! » Il fallut recourir à l’artillerie. Deux pièces de canon, placées en avant de Saint-Nicolas-des-Champs, furent pointées contre la petite barricade du nord, dont les boulets emportèrent bientôt des pans entiers. On fit avancer en même temps une autre pièce par la rue Aubry-le-Boucher pour réduire la maison no 30. Enfin, vers quatre heures, les barricades furent attaquées de tous les côtés à la fois par des gardes nationaux et des soldats venant du haut de la rue Saint-Martin ; par un bataillon du 42e de ligne débouchant de la rue de la Verrerie ; par une colonne du 1er de ligne lancée, sous les ordres du général Laidet, dans le prolongement de la rue des Arcis. La résistance devenait impossible. Les défenseurs des barricades s’élancèrent à la fois. Les uns, sur les pas de Jeanne, percèrent audacieusement la première ligne des soldats, et s’échappèrent par la rue Maubuée, en perdant trois hommes seulement ; les autres s’engouffrèrent dans la maison no 30, dont ils refermèrent et barricadèrent la porte derrière eux. Un instant après cette maison était envahie ; 17 insurgés, poursuivis de chambre en chambre, furent tués à coups de baïonnette. Quelques-uns s’échappèrent par les toits et pénétrèrent par une fenêtre dans la maison no 48 de la rue du Cloître-Saint-Merri, où ils furent découverts et allaient être égorgés, sans la généreuse intervention du capitaine Billet, du 48e de ligne. Deux autres insurgés, restés dans la maison no 30, et qui avaient échappé aux recherches des soldats en se tenant cachés sous un lit, furent sauvés par un médecin de l’Hôtel-Dieu, qui leur fit envelopper la tête dans des mouchoirs trempés de sang, et, réclamant pour eux le respect dû aux blessés, les fit passer impunément à travers les lignes des soldats. La prise de la barricade du Cloître-Saint-Merri consomma la défaite de l’insurrection ; le lendemain, un calme profond régnait à Paris. La résistance opiniâtre, inconcevable des insurgés de Saint-Merri a fait croire à quelques-uns que le gouvernement l’avait favorisée, pour agrandir sa victoire et rattacher plus étroitement à sa cause, par l’épouvante, la majorité de la bourgeoisie.

Le dernier acte de la sanglante tragédie que nous venons de raconter se dénoua devant le jury : Jeanne fut condamné à la déportation ; un autre accusé, à huit années de réclusion ; deux autres, à six années de la même peine ; un autre, à dix ans de travaux forcés, sans exposition, et un dernier à cinq ans de prison. Seize accusés furent acquittés, et, parmi eux, la jeune fille que nous avons vue annoncer aux insurgés l’arrivée des soldats, des fenêtres d’un café.


CLOÎTRÉ, ÉE (klot-tré) part, passé du v. Cloîtrer. Soumis à la règle monastique de la clôture : Une religieuse cloîtrée. En France, le roi et la reine pouvaient seuls entrer dans les monastères cloîtrés, sans la permission des supérieurs ecclésiastiques. (Bouillet.) || Mis au couvent : Une fille cloîtrée par ses parents.

— Par ext. Qui reste enfermé, qui se tient ou est tenu enfermé : Une fille cloîtrée dans sa chambre par ses parents,

— Fig. Tenu à l’étroit :

« Dois-je vivre, portant l’ignorance en écharpe,
Cloîtré dans Loriquet et muré dans La Harpe ?
                    V. Hugo »


CLOÎTRER v. a. ou tr. (kloî-tré — rad. cloître). Enfermer dans un monastère, condamner à la vie du cloître : Les Matignon étaient cinq frères, et force filles dont ils cloîtrèrent la plupart. (St-Simon.)

Vous n’avez plus, monsieur, que le couvent en tête.
Vous voulez tout cloîtrer, et qui vous en croirait,
Avant qu’il fût dix ans le monde finirait.
                   Hauteroche.

— Par ext. Tenir enfermé ; confiner dans un lieu isolé : Ma cousine de Montauban m’a cloîtrée dans cette triste solitude. (Rog. de Beauv.) || Réduire à une vie solitaire, isolée : La religion a fait de Charles X un solitaire, et ses idées l’ont cloîtré. (Chateaub.)

Se cloîtrer v. pr. S’enfermer volontairement dans un cloître, embrasser la vie monastique : Souvent la perte d’une illusion fait qu’une jeune fille se cloître. Regardez nos jeunes veuves : vont-elles se cloîtrer, s’enterrer toutes vives ? (Destouches.)

Au lieu de vous cloîtrer, ainsi que vous le faites.
Amusez-vous, donnez des dîners et des fêtes.
                        C. Doucet.

— Fig. S’abstraire, se dégager de toute préoccupation étrangère, s’isoler dans une idée : Pothier veillait les nuits, et se cloîtrait comme un chartreux dans l’étude solitaire du droit. (Cormen.)

… Laissant notre âge et ses querelles,
Et tant d’opinions s’accommoder entre elles,
Cloîtrons-nous en notre œuvre, et n’en sortons pour rien.
                        Sainte-Beuve.

— Antonymes. Séculariser et décloîtrer.


CLOÎTRIER, IÈRE s. (kloî-trié, iè-re — rad. cloître). Religieux ou religieuse en résidence fixe dans un couvent ; par opposition à ceux qui n’ont pas de résidence fixe ou qui n’ont pas leur résidence dans le couvent où ils se trouvent.

— Adjectiv. Qui vit dans un cloître :

Leurs cloîtrières excellences
    Aimaient fort ces magnificences.
              La Fontaine.

|| Ne peut se dire que par plaisanterie.


CLOIURE s. f. (klo-iu-re). Ancienne forme du mot clôture.


ÇLOKA ou SLOKA s. m. (slo-ka). Métriq. Distique indien.


CLOMÈNE s. f. (klo-mè-ne). Bot. Genre de plantes, de la famille des graminées,


CLOMÉNOCOME s. f. (klo-mé-no-ko-me — du gr. klaô, je brise ; kômê, chevelure). Bot. Genre de plantes, de la famille des composées, tribu des sénécionées, voisin des tagètes, et comprenant une seule espèce qu’on croit originaire de l’Amérique australe : La cloménocome orangée.


CLOMION s. m. (klo-mi-on). Bot. Syn. de chardon.


CLOMPAN s. m. (klon-pan). Bot. Arbrisseau grimpant de la Guyane, de la famille des légumineuses.


CLONARD, cap de l’Asie orientale, à l’extrémité S.-E. de la presqu’île de Corée, par 35° 30′ de lat. N. et 127° 25′ de long. E. || Il doit son nom à un des officiers de La Pérouse.


CLONARD, ville d’Irlande, comté de Meath, à 42 kilom. N.-O. de Dublin, à 18 kilom. S.-O. de Trim, près de la Boyne ; 4,348 hab. Ville ancienne, autrefois siége d’un évêché, possédant une vaste abbaye ; plusieurs fois pillée, elle a beaucoup perdu de son ancienne importance.


CLONARD (le chevalier Sutton de), marin français, né vers 1745, un des compagnons du célèbre La Pérouse. Il entra dans la marine en 1767, prit, en qualité d’enseigne de vaisseau, en 1774, une part brillante au combat de Mahé, puis reçut divers commandements pendant la guerre d’Amérique. En 1780, Clonard, alors lieutenant de vaisseau, livra, comme commandant du Comte-d’Artois, un combat dans lequel il fut fait prisonnier. Lorsqu’il fut rendu à la liberté, La Pérouse, qui connaissait son mérite, le prit pour second dans son voyage autour du monde. Il reçut le commandement de la Boussole (1785), montra autant d’intelligence que de zèle durant l’expédition, qui devait avoir une issue si funeste, fut promu capitaine de vaisseau en 1787, et prit le commandement de l’Astrolabe après la mort du capitaine de Langle. Le 25 février 1788, il se trouvait à Botany-Bay (Nouvelle-Hollande), ainsi que l’atteste une lettre qu’il adressa à M. de Castries ; mais on ignore ce qu’il devint à partir de cette époque et en quel lieu il trouva la mort.


CLONARD (Joseph-Ernest DE), auteur dramatique français, né en 1765, mort en 1816. Quoique attaché en qualité d’employé au ministère de la marine, il a composé une vingtaine de comédies et de vaudevilles, parmi lesquels nous citerons les suivants, représentés à Paris et à Bordeaux : Frontin tout seul ou le Valet de la malle, vaudeville (Paris, 1801) ; Jean-Baptiste Rousseau, comédie-vaudeville (1803) ; Monsieur Botte ou le Négociant anglais, comédie en trois actes (1803) ; la Ville au village ou les Hommes tels qu’ils sont, comédie-vaudeville en un acte (Paris, 1809) ; les Époux de quinze ans, comédie-vaudeville (1810), etc.


CLONAS, poète et musicien grec, qui vivait vers 620 avant notre ère. Il était né à Tégée suivant les Arcadiens, à Thèbes suivant les Béotiens. On est aussi peu fixé sur la date que sur le lieu de sa naissance ; il était probablement contemporain de Terpandre. Il excellait à jouer de la flûte, et on a même prétendu qu’il était l’inventeur de cet instrument. Le son plaintif de la flûte a sans doute une grande analogie avec le ton ordinaire à l’élégie, et voilà peut-être tout simplement pourquoi Clonas a été surnommé l’élégiaque. Il se pourrait bien qu’il n’eût été que musicien, et non poëte comme on le prétend. Pourtant, quelques écrivains anciens rapportent qu’il était célèbre par ses nomes aulodiques, dont l’un était appelé Clégor. Mais, à coup sûr, le texte qu’il faisait chanter au son de sa flûte ne consistait encore qu’en hexamètres et en distiques élégiaques, sans grand art dans la structure rhythmique. On attribue à Clonas l’invention des prosodies, du schœnium et de l’apothétos. Il excellait, dit-on, à varier les différents modes de la musique, témoin ce chœur célèbre dans lequel la première strophe était composée suivant le mètre dorien, la seconde suivant le mètre phrygien, la troisième suivant le mètre lydien. On voit que ce raffinement n’est déjà plus l’enfance de l’art.


CLONDALKIN, petite ville d’Irlande, comté et à 8 kil. de Dublin ; ville déchue ; 2,421 hab. Débris d’un vieux château, dont il ne reste qu’une tour ronde de 30 m. de hauteur, sur 5 m. de diamètre, couverte d’un toit conique de pierre. On remarque encore à Clondalkin les restes d’un ancien monastère.


CLONES, ville d’Irlande, comté et à 32 kilom. S.-O. de Monaghan, près du canal de l’Ulster ; 3,700 hab. Brasserie, tannerie, moulins à blé ; fabriques d’instruments aratoires. Commerce actif en toiles, grains, etc. Ruines d’une ancienne église et d’une vieille tour ronde.


CLONFERT, petite ville d’Irlande, comté et à 70 kilom. E. de Galway, sur le Shannon ; 4,000 hab. Évêché catholique ; belle église ; abbaye fondée en 562 par saint Brusdau.


CLONIOCÈRE s. m. (klo-ni-o-sè-re — du gr. klonèo, j’agite ; keras, corne). Entom. Genre de coléoptères longicornes, comprenant une seule espèce du Cap de Bonne-Espérance.


CLONIQUE adj. (klo-ni-ke — du gr. klonos, agitation). Méd. Se dit des mouvements convulsifs, irréguliers et tumultueux : Spasme clonique. On distingue les convulsions en cloniques et en toniques. (Chomel.)


CLONIS s. m. (klô-niss). Moll. Genre créé par Adanson, pour une coquille du Sénégal, la vénus verruqueuse.


CLONISME s. m. (klo-ni-sme — du gr. klonos, agitation). Méd. Mouvement convulsif, irrégulier et tumultueux.


CLONISSE s. f. (klo-ni-se — du gr. klonos, tumulte). Moll. Espèce de coquille bivalve. Ce mot, donné par plusieurs lexiques, est probablement une fausse leçon du mot clovisse.


CLONMEL, ville d’Irlande, dans la province de Munster, ch.-l. du comté de Tipperary, à 146 kilom. S.-O. de Dublin, à 40 kilom. N.-O. de Waterford ; 13,600 hab. Manufactures de coton, brasseries ; manufactures de lainages, autrefois plus florissantes. Commerce important en grains et autres produits agricoles. Cette ville, située sur les bords de la Suir, fut jadis entourée de murailles ; on voit encore quelques vestiges des tours qui défendaient son enceinte, et une seule de ses quatre portes existe encore. Vers l’extrémité E. de la ville, se trouvent les ruines de l’église Saint-Stephens, et vers le S. celles de l’église Saint-Nicolas. On remarque encore à Clonmel l’église Sainte-Mary, flanquée d’une tour octogone de 30 m. d’élévation ; l’école de grammaire, un hôpital et deux casernes.


CLONTARF, bourg d’Irlande, comté et à 4 kilom. N.-E. de Dublin, sur la baie de Dublin, formée par la mer d’Irlande ; 1,560 hab. Bains de mer très-fréquentés par les habitants de Dublin. Ancien château bien conservé, et nombreuses villas. Bataille qui rendit à l’Irlande son indépendance, après deux siècles d’invasions danoises, en 1020.


CLOOTS (Jean-Baptiste, dit Anacharsis, baron du Val-de-Grâce), philosophe et révolutionnaire, l’apôtre de la république universelle, l’Orateur du genre humain, né le 24 juin 1755, au château de Gnadenthal, près de Clèves (Prusse rhénane). Son père était conseiller privé du roi de Prusse, Frédéric le Grand, et descendait d’une famille noble de Hollande, qui se rattachait aux illustres patriotes de Witt, et qui s’était enrichie dans le commerce maritime ; il était baron de Gnadenthal (en allemand vallée de grâce, belle vallée : c’est la délicieuse vallée de Clèves) ; pour plaire à Frédéric, sans doute, il francisa ce nom au baptême de son fils. Telle est l’explication authentique de ce titre, qui a paru singulier à quelques historiens.

Jean-Baptiste était neveu du chanoine Cornélius de Pauw, le savant et paradoxal auteur des Recherches philosophiques. Élevé à la française, il savait notre langue dès l’âge de sept ans. Quatre ans plus tard, il était envoyé à Paris pour achever ses études ; il se lia, encore adolescent, avec les philosophes, auprès de qui le nom de son oncle était une puissante recommandation, et s’éprit d’un amour enthousiaste pour la France et pour son génie, pour Paris surtout, qui lui apparut de bonne heure comme la métropole du monde. Aussi, quand sa famille l’eut fait entrer à l’École militaire de Berlin, éprouva-t-il une profonde antipathie pour le despotisme militaire dont il avait le modèle sous les yeux. La mort de son père le laissa libre de suivre sa vocation ; il s’échappa comme il put de l’École de Berlin et accourut à Paris. Il avait vingt et un ans, 100,000 livres de rentes, la passion de l’indépendance et de la philosophie ; il était, en outre, apparenté aux Montesquiou-Fezenzac et autres familles françaises ; il fut donc accueilli dans les sociétés les plus distinguées, et même à la cour. Mais, au grand étonnement de ses nobles amis, le jeune philosophe allemand préférait, à la vie brillante et aux plaisirs faciles, les longues heures d’étude à la bibliothèque et les entretiens avec Franklin et J.-J. Rousseau. Dès cette époque il avait adopté pour règle de conduite cette belle devise : Veritas atque libertas. Bientôt il voulut lui-même mettre la main à l’œuvre du siècle, écraser l’infâme, comme on disait alors. Bergier venait de publier son ouvrage : Certitude des preuves du christianisme. Cloots, en manière de réfutation, entreprit de démontrer dans les mêmes termes et par les mêmes raisons la certitude des preuves du mahométisme. Il rassembla ses matériaux, courut s’enfermer dans son château de la vallée de Clèves, et composa d’enthousiasme son premier ouvrage : Certitude des preuves du mahométisme, qu’il fit imprimer à Amsterdam (in-12, 1779), avec la rubrique Londres, 1780, et signé de l’anagramme du nom de Bergier, Ali Gier-Ber. 11 est presque inutile d’ajouter que ce livre est une attaque en règle contre le christianisme et toutes les religions révélées. Aussi Cloots fut-il dès lors recherché par les cénacles philosophiques, où il rencontra les combattants vieillis des anciens jours, Diderot, d’Alembert, d’Holbach, ainsi que la brillante armée de leurs disciples, dont la plupart allaient figurer dans le grand drame de la Révolution. Menacé de la Bastille, il passa en Angleterre (1784), revint à Paris, puis repartit de nouveau, alla en Hollande faire imprimer ses Vœux d’un gallophile, véritable hymne d’amour pour cette France qui le rejetait, et se mit à voyager dans toutes les contrées de l’Europe, cherchant la sagesse et la science, à la manière des anciens philosophes, et ne trouvant partout que superstition, despotisme et misère. Par ses déplacements continuels, il savait échapper aux persécutions dont il était souvent menacé. « J’étais à Rome, dit-il, quand on voulait m’incarcérer à Paris, et j’étais à Londres, quand on voulait me brûler à Lisbonne. »

Enfin, comme le désenchantement l’envahissait, comme il rêvait d’abandonner l’Europe plongée dans la nuit, et d’aller aux États-Unis voir poindre l’aube éclatante de la liberté, il apprit en Portugal la réunion des états généraux et les premiers mouvements de notre Révolution. Il traverse l’Espagne, et, au moment où il hésitait encore au pied des Pyrénées, un cri retentit dans le monde entier : la Bastille est prise ! D’un bond il est à Paris. La vie de l’action allait commencer pour lui. Son historien, M. Georges Avenel, date ainsi cette nouvelle phase de l’existence de son héros : « Il avait trente-quatre ans quand il prit la cocarde. »

Le voilà dans la ville dont il veut faire la commune centrale du globe, écrivant, pérorant, s’enivrant d’enthousiasme, et se mêlant à tous les événements avec l’ardeur et la passion des Parisiens du tiers et des faubourgs. Cette grande commotion lui parut le signal de l’affranchissement universel, le premier pas vers la réunion de tous les peuples et l’unité du genre humain, idée grandiose et neuve, dont il devait être l’apôtre et le martyr. Affilié au club Breton, berceau des Jacobins, et à l’ardente société des Cordeliers, auditeur assidu des motionnaires du Palais-Royal, il était non-seulement avec les plus audacieux, mais lui-même donnait le signal des grandes initiatives. L’un des premiers il cria : Le roi et l’Assemblée à Paris ! comme avant la Révolution même il avait imprimé : La France au Rhin ! Ce vœu d’un Allemand du Rhin allait être dans peu d’années exaucé par la République.

Cloots, dans son ardeur d’apostolat, courut en Bretagne (où la noblesse et le parlement résistaient), alla droit aux paysans, leur lut les décrets contre la féodalité et les dîmes, leur apprit toutes les grandes choses que faisait l’Assemblée nationale pour leur affranchissement, et fit épeler à ces pauvres serfs les pre-