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paysans, évoque des souvenirs belliqueux, excite leur haine contre l’étranger en chantant les belles strophes : La France a l’horreur du servage, avec le refrain Guerre aux tyrans, jamais en France l’Anglais ne régnera, La musique et la poésie de ces strophes suffisent à réunir dans une commune admiration les noms de Casimir Delavigne et d’Halévy. Le Dauphin, sous l’habit d’un écuyer, prend part à ce chant de délivrance, interrompu par l’arrivée des soldats anglais, de Bedford et de la reine. Dans l’entrevue de celle-ci avec Odette, on doit remarquer la belle phrase : Respect à ce roi qui succombe, dont l’harmonie et le caractère sont d’une élévation et d’une distinction extrêmes. Le Dauphin, que son amour frivole pour Odette avait conduit, ne tarde pas à apprendre d’elle la mission qu’elle doit remplir auprès de son père ; ce qui amène cet air :

En respect mon amour se change :
Reste pure, Odette, et sois l'ange
De tes rois et de ton pays !

Pour eux, c’est en toi que j’espère ;
L’ange qui va sauver le père
Sera respecté par le fils.

Quoique Duprez n’aimât pas ce rôle sacrifié, il le chantait avec beaucoup de charme, et surtout ce duo : Gentille Odette, eh quoi ! ton cœur palpite. Le Dauphin, reconnu, est sauvé par Odette de la poursuite des Anglais.

Au second acte, on assiste à une fête donnée par Isabeau de Bavière au duc de Bedford, à l’hôtel Saint-Paul. Mme Dorus-Gras se faisait applaudir dans cette scène. Elle est suivie de celle dite de la folie, la plus remarquable page de cet opéra. Les récitatifs, le cantabile, C’est grand’ pitié que ce roi, que leur père, portent l’empreinte de l’égarement, et chaque phrase a le caractère et l’expression qui conviennent au sens. Lorsque le musicien pense et sent comme le poète, l’œuvre dramatique est parfaite. Odette cherche à distraire Charles VI ; nous signalerons ici des couplets de la facture la plus distinguée : Ah ! qu’un ciel sans nuage, et le grand duo des cartes. Isabeau parvient à faire signer à Charles à la fois l’adoption du jeune Lancastre et la déchéance du Dauphin.

Le troisième acte est rempli en grande partie par la marche du cortège qui se rend au couronnement du jeune Anglais. Le roi reprend ses sens et arrache la couronne du front de l’enfant. L’air de Raymond, Fête maudite, est accentué avec énergie.

La reine et Bedford, au quatrième acte, remettent sous les yeux de Charles l’acte d’abdication qu’il a signé. Le roi le brûle, et les chasse. Épuisé par cet effort, il s’étend sur un lit de repos et chante cette phrase touchante :

Avec la douce chansonnette
     Qu’il aime tant,
Berce, berce, gentille Odette,
     Ton vieil enfant.

Suit alors une ballade admirablement dite par Mme Stoltz : Chaque soir, Jeanne sur la plage. L’accompagnement du hautbois produit un effet ravissant. Le roi s’est endormi ; mais, dès qu’il rouvre les yeux, Isabeau fait apparaître des spectres, Clisson, Jean sans Peur, l’homme de la forêt du Mans, qui lui déclarent qu’il mourra de la main du Dauphin. Ce prince est arrêté par l’ordre de son père.

Le cinquième acte a deux tableaux : le premier représente les bords de la Seine où se réunissent les chevaliers restés fidèles, Dunois, Tanneguy-Duchâtel, La Hire, Xaintrailles ; guidés par Odette, ils iront à Saint-Denis s’opposer à ce qu’on livre la France à l’étranger. Le second tableau montre le chœur de l’abbaye de Saint-Denis. Tous les personnages s’y rencontrent. Odette saisit l’oriflamme et la place dans les mains du roi. Une bataille s’engage ; les Anglais sont repoussés, et Charles tombe mourant dans les bras de son fils.

Casimir Delavigne n’avait pas terminé son poème aussi simplement ; en voici les derniers vers ; si la longueur de l’opéra n’y avait mis obstacle, il eût été beau d’entendre déclamer cette prosopopée prophétique sur des accords que le génie d’Halévy aurait pu imaginer :

BEDFORD.

À moi, braves Anglais !

LE DAUPHIN.

             France, à moi !

CHARLES.

                      Sacrilèges.
N’insultez pas aux divins privilèges
    De ces murs par vous profanés.
Voyez se soulever les pierres sépulcrales
    D’où sortent ces morts couronnés !
    Tout ce peuple d’ombres royales,
Qui par ma voix vous parle en m’entourant,
Vient de votre avenir dérouler les annales
    Aux derniers regards d’un mourant.

LE CHŒUR.

Respect à ces ombres royales,
À la voix sainte d’un mourant !

CHARLES.

   Bedford, Bedford, je succombe, et toi-même
Bientôt tu me suivras ; je t’ouvre le chemin,
     Mais pour te traîner par la main
     Au pied du tribunal suprême.
Prêtres, où portez-vous, sans pompe et sans flambeaux
     Le cadavre de cette femme ?
Au peuple, dont les mains la mettraient en lambeaux,
Cachez son corps : à Dieu cacherez-vous son âme ?
De la justice humaine on peut la préserver,
En dérobant, la nuit, une tombe pour elle ;
     La justice éternelle
   Saura toujours l’y retrouver.

ISABELLE.

Je tremble et me soutiens à peine.
A-t-il prononcé mon arrêt ?

LE CHŒUR.

La reine ! il regardait la reine ;
Son œil vengeur la dévorait.

CHARLES.

À l’assaut, chevaliers ; suivez la noble fille,
Qui brise en les touchant casques et boucliers !
Leurs soldats sous ses coups sont tombés par milliers,
        Comme l’épi sous la faucille.
Des fleurs à pleines mains ! Chantez, jetez des fleurs.
La couronne du sacre enfin sur l’autel brille.
        Chantez... ; mais non, versez des pleurs.
        Cette vierge, elle est désarmée ;
        Elle disparaît à mes yeux
    Dans des torrents de flamme et de fumée...
        Anges, pour elle, ouvrez les cieux !

(Dans ce moment, la clarté devient plus vive et le soleil semble briller d’une splendeur nouvelle.)

LE CHŒUR.

   Quel jour pur l’environne
         De son éclat sacré !
         Et quel espoir rayonne
         Sur son front inspiré !

(On entend le canon retentir dans le lointain.)

CHARLES.

France, réjouis-toi : de ta gloire prochaine
      Le premier signal est donné.

LE DAUPHIN.

   Deux partis sont aux mains.

BEDFORD.

   On combat dans la plaine ;
  Sous ces murs le bronze a tonné.

CHARLES.

    Oui, de Charles l’infortuné
    Il annonce les funérailles
    Et l’avènement glorieux
Qui doit à Reims couronner les batailles
        De Charles le Victorieux !

TOUS LES CHEVALIERS FRANÇAIS.

       Tout notre sang dans les batailles
       Pour Charles le Victorieux !

CHARLES.

      Ouvrez vos rangs... ô mes aïeux !
En bénissant mon fils, je vous rejoins... J’expire.

(Il tombe dans les bras de ceux qui l’entourent ; le Dauphin se jette sur son corps, qu’il couvre de pleurs)

DUNOIS.

     Le roi n’est plus.

TANNEGUY-DUCHATEL, LES CHEVALIERS ET LE PEUPLE.

     Vive le roi !

BEDFORD, en montrant le Dauphin.

Qu’il ose donc ce roi me disputer l’empire.

LE DAUPHIN, qui se relève et saisit l’épée d’un des siens.

        Montjoie et Saint-Denis ! chevaliers, avec moi.
           Jetez le cri de délivrance.
           Et la victoire y répondra.
           Guerre aux tyrans ! Jamais en France,
           Jamais l’Anglais ne régnera.
CHŒUR GÉNÉRAL DES CHEVALIERS et DU PEUPLE, qui prêtent serment au Dauphin.
     Jetons le cri de délivrance,
     Et la victoire y répondra.
     Vive le roi ! Jamais en France,
     Jamais l’Anglais ne régnera.

L’opéra de Charles VI a eu à l’origine plus de cent représentations. Baroilhet s’est montré aussi bon chanteur qu’acteur intelligent dans le rôle difficile de Charles VI. Mme Rosine Stoltz, tantôt gracieuse, tantôt énergique, a créé le rôle d’Odette avec un talent qui sera difficilement égalé. Duprez s’est promptement démis d’un rôle trop jeune pour lui, et écrasé d’ailleurs par les deux autres. Mme Dorus, Levasseur et Canaple ont interprété la Reine, Raymond et le duc de Bedford. Poultier, dont la voix était si agréable, se faisait applaudir dans les jolis couplets de la sentinelle, au cinquième acte :

      À minuit.
Le seigneur de Nivelle
Me mit en sentinelle,
Et s’en alla sans bruit
Souper avec la belle
Qui m’attendait chez elle
        À minuit.
        Si ta belle
        Est sans foi,
        Sentinelle,
        Garde à toi !

Si nous nous sommes étendu ainsi sur cette œuvre remarquable, c’est qu’elle fait le plus grand honneur à l’école française, et qu’elle sera d’autant plus appréciée qu’on la connaîtra mieux.

Le chant patriotique que nous allons reproduire, et qui eut l’honneur de figurer parmi les refrains en faveur après la révolution de 1848, a dû à son rhythme accentué et à sa mélodie franche d’échapper à l’obscurité dans laquelle est tombée l’œuvre de Delavigne et d’Halévy, malgré les beautés qu’elle renferme.

Allegro vivace. ^—. 3

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CHAR

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—va - ge, Et si grand que soit le dan — ger, Plus grand en-cor est son cou •

— ra - ge Quand il faut chasser l’étran■ 1'a

« ger, Quand il faut chas-ser, chasser l’étran. — ger ! Vienne le jour do dé - Ii - vran-ce. Des

a l’horreur du ser.

— mais ! Non ! Jamaisen France ! Jamais l’An*

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DEUXIÈME COUPLET.

Le Dauphin :

   Réveille-toi, France opprimée !
   On te crut morte, et tu dormais !
   Un jour voit mourir une armée,
   Mais un peuple ne meurt jamais (bis).
   Pousse le cri de délivrance.
   Et la victoire y répondra (bis).

Chœur :

   Guerre aux tyrans, etc.

TROISIÈME COUPLET.

Le Dauphin :

   En France, jamais l’Angleterre
   N’aura vaincu pour conquérir ;
   Ses soldats y couvrent la terre,
   La terre doit les y couvrir.
   Poussons le cri de délivrance.
   Et la victoire y répondra.

Chœur :

   Vive le roi ! jamais en France,
   Jamais l’Anglais ne régnera ! etc.


CHARLES VII, le Victorieux, roi de France, cinquième fils du précédent, né à l’hôtel Saint-Paul en 1403, mort en 1461. Il porta d’abord le nom de comte de Ponthieu, et devint dauphin en 1416. Dernier fils survivant de Charles VI, héritier présomptif de la couronne, il n’eut cependant qu’une part insignifiante au gouvernement et ne fut qu’un instrument passif entre les mains du connétable d’Armagnac. Lieutenant général du royaume en 1417, obligé de fuir de Paris l’année suivante lors de la fameuse entrée des Bourguignons, il se retira à Bourges, puis à Poitiers, dans le Languedoc, prit le titre de régent et se refusa à tous les arrangements qui auraient conservé le pouvoir au duc de Bourgogne. Lors de la tragédie du pont de Montereau (1419), il publia des manifestes pour se disculper du meurtre de Jean sans Peur, accompli en sa présence ; mais il n’en demeura pas moins chargé de la solidarité de cette sanglante représaille. Sa mère, l’indigne Isabeau de Bavière, le poursuivit de sa haine et contribua à la conclusion du traité de Troyes, par lequel il était exclu du trône au profit du roi d’Angleterre. À la mort de son père, il se fit couronner à Poitiers, pendant que le duc de Bedford, maître de Paris et d’une partie du royaume, prenait les rênes du gouvernement au nom de son neveu Henri IV, encore en bas âge. Les Anglais poursuivirent le cours de leurs succès, et les troupes de Charles VII perdirent successivement les batailles de Crevant (1423) et de Verneuil (1424). Lui-même, qualifié ironiquement du titre de roi de Bourges, livré aux plaisirs, jouet de ses maîtresses et de ses favoris, indifférent au sort de la France comme à sa propre fortune, se laissait dépouiller non-seulement sans rien tenter de sa personne, mais encore sans donner aucun encouragement à la poignée de défenseurs qui lui restaient. Promenant sa royauté nomade de château en château, se dérobant à tous les devoirs comme à toutes les charges de la suprême puissance, il laissait ses capitaines, Dunois, La Hire, Xaintrailles, Richemond, s’épuiser en efforts infructueux, et semblait abandonner sa cause au hasard et à la fatalité. Déjà maîtres des trois quarts du royaume, les Anglais vinrent mettre le siège devant Orléans, et bientôt la funeste journée des Harengs (1429) vint porter le découragement parmi les derniers champions de l’indépendance nationale. C’est à ce moment qu’une jeune paysanne, exaltée par les misères et les douleurs de la patrie, se présenta au roi en affirmant qu’elle avait reçu du ciel la mission de sauver la France, fit tomber toutes les préventions par l’ardeur et la sincérité de sa conviction, enflamma la nation et l’armée de l’enthousiasme patriotique et religieux dont elle était dévorée, et, après une suite de succès extraordinaires, fit lever le siège d’Orléans et conduisit le roi à Reims, où l’onction sacrée lui donna aux yeux des peuples le prestige de la légitimité (1430). Après cet effort, Charles VII retomba dans son insouciance pusillanime, et paralysa l’élan national en abandonnant son armée et en retournant à Chinon se plonger dans la mollesse et les plaisirs. « Ce n’est pas, dit Sismondi, un des moindres inconvénients des monarchies absolues que l’influence qu’elles donnent aux vices d’un seul homme pour anéantir l’effet de toutes les vertus, de tout l’héroïsme de ses sujets. » Le monarque ingrat abandonna l’héroïque Jeanne Darc à la ligue hostile des favoris de cour, et pendant son long procès ne tenta rien pour la sauver. Néanmoins, l’impulsion donnée par la vierge de Vaucouleurs survécut même à sa perte ; les bandes indisciplinées qui combattaient pour le roi de France continuèrent une lutte marquée par de nombreux succès ; les insurrections et les complots se multiplièrent dans les provinces occupées par les Anglais : l’Île-de-France, le pays de Caux et Paris donnaient l’exemple ; quelques seigneurs puissants se rallièrent à Charles, et le duc de Bourgogne lui-même, brouillé avec les Anglais, se réconcilia solennellement avec lui par le traité d’Arras (1435). L’année suivante, Paris affranchi rouvrait ses portes au roi de France, dans le caractère et la conduite duquel il s’accomplit alors la plus heureuse comme la plus inexplicable des transformations. Ce prince indolent et efféminé saisit d’une main terme les rênes du gouvernement, s’occupa avec activité et persévérance à réparer les maux du pays, réforma son armée, dont les brigandages désolaient ses provinces, réorganisa les finances délabrées, montra le plus grand courage aux sièges de Montereau (1437) et de Pontoisa (1442), et obtint enfin une trêve honorable (1444), qu’il sut employer à relever la France épuisée. Pendant cette période réparatrice, tes cités sortirent de leurs décombres, les campagnes furent rendues à l’agriculture, les villes au commerce et à l’industrie, l’armée devint permanente et fut l’égide du pays au lieu d’être l’effroi des populations, les finances prospérèrent, et, sous l’influence de Jacques Cœur, le Colbert du XVe siècle, le commerce maritime fut créé et la prospérité publique se développa avec cette énergie créatrice qui suit les grandes calamités. Lorsque les Anglais, par une inspiration malheureuse, rompirent la trêve en 1448, ils trouvèrent une nation forte, unie et compacte, et n’essuyèrent plus que des revers. En moins d’un an, la Normandie était entièrement reconquise ; en 1453, la Guyenne redevint définitivement française, et Henri VI, de ses immenses domaines, ne posséda plus que la ville de Calais. En 1457, les troupes françaises opérèrent même une descente sur les côtes d Angleterre.

La métamorphose mémorable qui s’était opérée dans le caractère de Charles VII a été attribuée à l’influence de sa maîtresse Agnès Sorel, qui se serait constamment appliquée à réveiller dans le cœur de son royal amant l’amour de la gloire, le sentiment de sa dignité, le patriotisme et toutes les vertus viriles du commandement. Ces faits ont été contestés ; mais il est certain que cette favorite eut un grand ascendant sur le prince et que la période glorieuse que nous avons rappelée coïncide précisément avec la durée de sa faveur.

La fin du règne de Charles VII fut troublée par les révoltes et les machinations du dauphin (depuis Louis XI), par les trahisons du duc d’Alençon et par des intrigues de cour qui amenèrent la perte de Jacques Cœur. Enveloppé par les trames du dauphin et craignant d’être empoisonné, le malheureux prince s’imposa un jeûne si prolongé qu’il en mourut, à Mehun-sur-Yèvres, près de Bourges. L’établissement des armées permanentes eut malheureusement pour effet de nécessiter les tailles perpétuelles. Par la pragmatique-sanction de Bourges (1437), Charles avait réglé les rapports du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel et fondé les principes qui depuis firent autorité en ces matières délicates, il faut rappeler encore que ce prince, dès qu’il fut informé de la découverte de l’imprimerie, envoya en Allemagne un agent capable (v. Janson) pour