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gieux ; le cavalier, désarçonné, étend sa main crispée vers l’abîme, où il plonge la tête la première. À gauche, un guerrier, demi-nu, brandit une énorme masse d’armes et s’apprête à en frapper un montagnard qui le vise avec son arc. Tout ce mouvement, toute cette animation n’est guère exprimée que par des lignes ; la couleur est froide, la touche manque d’ampleur et d’énergie. Ce tableau est un des plus vastes que Delaroche ait exécutés ; il ne mesure pas moins de 8 m. de long sur 4 m. 20 de hauteur. Suivant M. de Calonne, qui l’a jugé avec beaucoup de sévérité, « c’est une peinture décorative de la pire espèce ; le sujet ne convenait nullement au talent de Delaroche, et il ne faudrait pas lui reprocher trop amèrement d’y avoir si peu réussi ; ce talent se plaisait aux anecdotes historiques plutôt qu’à l’histoire même. » Le Charlemagne traversant les Alpes a été photographié dans l’Œuvre de Delaroche, publié par MM. Goupil et Ce. Le tableau a été exécuté en 1847. Une esquisse peinte en 1840 a été achetée 3,245 fr. par M. Adolphe Moreau, à la vente après décès de Paul Delaroche, en 1857.

Charlemagne (STATUE ÉQUESTRE DE), par M. Rochet ; exposition universelle de 1867. L’empereur, ayant sur la tête une couronne surmontée d’une croix, appuie la main gauche sur la garde de son épée et tient de la main droite un long sceptre dont l’extrémité inférieure repose sur son pied ; il est vêtu d’une tunique richement brodée, et un ample manteau couvre ses épaules. Il a le type germain, le nez légèrement déprimé au milieu, la chevelure et la barbe abondantes. Son attitude est calme et majestueuse. Il est monté sur un cheval entier plein de feu, que deux guerriers à pied tiennent par la bride. Le guerrier placé à droite a une mine des plus martiales : il tient à la main une hache à deux tranchants (francisque), et à son côté sont suspendus une large épée et un olifant ; les braies qui enveloppent ses jambes sont serrées par des courroies, et une peau de bête recouvre en partie sa cotte de mailles ; le second guerrier est plus jeune : il tient de la main gauche une lance et a un poignard et une hache accrochés à sa ceinture ; un manteau flotte sur ses épaules. Tout ce groupe est bien composé et d’un effet très-monumental. Les détails en sont étudiés avec soin.


CHARLEMAGNE (Jean-Armand), successivement séminariste, clerc de procureur, soldat, adonné aux questions d’économie politique, né au Bourget, près de Paris, en 1753, mort en 1838. Il rédigea deux ans l’Almanach des Muses, et publia aussi quelques romans. Ses principaux ouvrages sont : Plan d’impositions pour les habitants des campagnes et des villes taillables (1790) ; Instruction sur l’usage des moulins à bras, etc. (1793) ; De Crac à Paris, comédie ; le Souper des jacobins (1795) ; l’Agioteur (1799) ; l’insouciant ; l’Homme de lettres et l’homme d’affaires. Parmi ses romans, on peut citer : l’Enfant du hasard et du crime, ou les Erreurs de l’opinion, mémorial historique d’un homme qui s’est retiré du monde, rédigé sur ses manuscrits (Paris, 1803, 4 vol. in-12) ; les Trois B ou Aventures d’un boiteux, d’un borgne et d’un bossu (1804, 4 vol. in-12). Charlemagne, doué de beaucoup de facilité, en abusait ainsi que de son esprit, et négligeait trop l’intrigue et le style de ses ouvrages. Outre une foule de pièces sur des sujets divers, contes, vaudevilles, opéras-comiques, etc., il a laissé un volume de Poésies fugitives (1801, in-8o). Abruti par les liqueurs fortes et accablé d’infirmités, il termina sa vie dans un dénûment absolu, malgré ses nombreux travaux dont plusieurs avaient eu un notable succès.

CHARLEMAGNE (Édouard), homme politique français, né à Châteauroux en 1795. Il était procureur du roi dans cette ville, lors de la révolution de 1830 ; nommé député l’année suivante, il se démit de ses fonctions judiciaires (1832), vota avec l’opposition libérale et fut réélu jusqu’en 1842. En 1848, M. Charlemagne devint commissaire du gouvernement provisoire à Issoudun, puis fut successivement élu membre de la Constituante et de la Législative par le département de l’Indre. Il fit d’abord partie des républicains modérés, puis vota avec la majorité monarchique, adhéra au coup d’État du 2 décembre et fut appelé à siéger au conseil d’État en 1852.

CHARLEMONT, forteresse de France (Ardennes), arrond. et à 26 kilom. N.-E. de Rocroy, canton de Givet, à 215 m. au-dessus de la Meuse. Le hameau de Charlemont a une population de 50 hab. La forteresse, bâtie par Charles-Quint sur un rocher à pic, fut modifiée et fortifiée plus tard par Vauban. Elle renferme une place, des rues, quelques maisons et une église. Au pied est une caserne qui peut contenir 5 à 6,000 personnes.

CHARLEMONT (James Caulfield), homme politique et littérateur irlandais, né à Dublin en 1728, mort en 1799. Il parcourut une partie de l’Europe, étudiant les mœurs et les langues des pays qu’il visitait et se liant avec les personnages les plus distingués. De retour dans sa patrie, en 1755, après une absence de neuf ans, il entra à la Chambre des pairs d’Irlande, fut créé comte de Charlemont en 1763, et partagea son temps entre la politique et les lettres. En 1778, il prit le commandement des volontaires irlandais, chargés, pendant la guerre d’Amérique, de défendre l’île contre toute invasion étrangère. En 1783, il reçut le titre de membre du conseil privé et fut élu, trois ans plus tard, président de l’Académie royale irlandaise. Outre divers mémoires, il a laissé des lettres, publiées en 1820 sous le titre d’Original letters, et une Histoire de la poésie italienne, en manuscrit.

CHARLEROI, ville forte de Belgique, sur la Sambre, province de Hainaut, à 48 kilom. S. de Bruxelles, à 35 kilom. E. de Mons, ch.-l. d’arrond. et de canton ; tribunal de 1re instance et de commerce, collège royal, école de dessin ; 8,400 hab. Fabrication importante de draps, lainages, savons, verrerie, armurerie, chaudronnerie, serrurerie ; riche bassin houiller qui s’étend sur vingt-deux communes environnantes et duquel on extrait annuellement environ 3 millions de quintaux de houille.

Cette ville doit son origine et son nom à une forteresse construite en 1666 par Charles II d’Espagne ; elle se divise en ville haute, dominée par la forteresse, et en ville basse dans la vallée de la Sambre ; elle fut prise par Louis XIV, qui la rendit à la paix de Nimègue. Les Français la prirent encore plusieurs fois et la rendirent à chaque traité de paix. En 1794, après la bataille de Fleurus, elle fut réunie à la France, qui fit démolir ses fortifications, et conserva cette ville jusqu’en 1814. Depuis lors, elle a suivi le sort de la Belgique. L’arrondissement de Charleroi comprend dix cantons et renferme 100,000 hab.

CHARLES, île de l’Amérique septentrionale, au N.-O. du détroit d’Hudson, au S.-E. de l’île de Salisbury, 50 kilom. de long sur 40 kilom. de large ; lat. N. 62° 40’, long. O. 77° 20’. || Île parallèle à la côte O. de la grande Île du Spitzberg, dans l’océan Glacial arctique ; elle est longue, étroite et très-irrégulière.

CHARLES, cap de l’Amérique septentrionale, sur la côte S. du Labrador, à l’entrée N.-E. du détroit de Belle-Ile, par 52° 30’ de lat. N. et 57° 30’ de long. O. || Autre cap de l’Amérique septentrionale, dans l’État de Virginie, à l’extrémité S. de la grande presqu’île située à l’E. de la baie de Chesapeake, à 22 kilom. N. du cap Henri, avec lequel il forme l’entrée de cette baie, par 37° 10’ de lat. N. et 78° 20’ de long. O.

CHARLES (SAINT-), petit lac de l’Amérique septentrionale, dans le bas Canada, à 20 kilom. N. de Québec ; superficie, 8 kilom. carr. Ses bords, très-agréables, sont fréquentés l’été comme un lieu de plaisir. Une rivière, formée du trop-plein des eaux de ce lac, et qui porte aussi le nom de Saint-Charles, va se perdre dans le Saint-Laurent, après un cours de 25 kilom.

CHARLES (SAINT-), ville des États-Unis d’Amérique, dans l’État de Missouri, sur la rive gauche du fleuve de même nom et à 30 kilom. O. de son embouchure dans le Mississipi, à 30 kilom. N.-O. de Saint-Louis ; 7,347 hab. Cette ville, fondée en 1740 par des Français et appelée d’abord Petite-Côte, possède une haute école de méthodistes et était naguère capitale de l’État de Missouri.

CHARLES (pont SAINT-). V. Paris.

CHARLES BORROMÉE (saint). V. Borromée-

EMPEREURS D'ALLEMAGNE.

CHARLES Ier, le même que Charlemagne.

CHARLES II. V. Charles le Chauve, parmi les rois de France.

CHARLES III, le Gros, petit-fils de Louis le Débonnaire, troisième fils de Louis le Germanique, né vers 832, mort en 888. À la mort de son père (876), il obtint en partage la Souabe, la Suisse et l’Alsace, puis hérita successivement de ses frères et se trouva en 882 possesseur de l’héritage paternel et fut couronné empereur par le pape Jean VIII. Il exerça, de plus, la royauté, ou tout au moins la régence des États francs de 885 à 887, pendant les orages de la minorité de Charles le Simple. Il réunit donc pendant un moment la presque totalité de l’immense empire de Charlemagne. Malheureusement, il se montra indigne d’un tel héritage. Il acheta à prix d’or la paix des pirates normands et leur céda la Frise occidentale, à la condition cependant de fermer le Rhin, la Meuse et l’Escaut à de nouvelles invasions. Il dépouilla injustement les fils des margraves d’Autriche et les ducs Gui et Bérenger, exila sa sœur, fit crever les yeux à son neveu Hugues, duc d’Alsace, ne marcha contre les Normands que pour conclure avec eux une paix honteuse sous les murs de Paris. Il fut déposé dans une assemblée des princes et des grands de l’empire, en 887. Il mourut l’année suivante, dans l’abbaye de Reichnau.


CHARLES IV, empereur de la maison de Luxembourg, fils du roi de Bohême Jean de Luxembourg, né à Prague en 1316, mort en 1378. Après la mort de son père, tué à Crécy, il hérita du royaume de Bohême (1346), fut élu empereur en 1347, mais ne fut définitivement en possession du pouvoir que plusieurs années plus tard, après s’être débarrassé, à prix d’or ou par le poison, de divers compétiteurs. En 1356, il publia la fumeuse Bulle d’or qui est restée jusqu’en 1806 la base fondamentale du droit politique de l’empire. Odieux à l’Allemagne, qu’il greva d’un impôt au profit du saint-siége (par l’influence duquel il avait été élu), il eut sans cesse à lutter contre les princes et contre les peuples, et fut impuissant à délivrer le pays des brigands qui l’infestaient. Instrument servile de la cour de Rome, il accorda au clergé des privilèges exorbitants et le rendit entièrement indépendant du pouvoir temporel. Il est le premier empereur qui ait vendu des lettres de noblesse. Il vendait tout, d’ailleurs : les privilèges aux villes ou aux particuliers, les investitures princières, les villes et les États (la Lombardie entre autres, qu’il vendit aux Visconti). Indifférent au reste de l’empire, il favorisa son royaume de Bohême et s’attacha à y faire fleurir les arts, le commerce et l’industrie. Sous son règne, les juifs subirent une horrible persécution, et les universités de Prague et de Vienne furent fondées.


CHARLES V ou CHARLES-QUINT, empereur d’Allemagne et roi d’Espagne, fils de Philippe le Beau, archiduc d’Autriche, et de Jeanne la Folle, fille de Ferdinand d’Aragon et d’Isabelle de Castille, né à Gand le 24 février 1500, mort au monastère de Saint-Just (Estramadure) le 21 septembre 1558. Il fut élevé dans les Pays-Bas et montra moins de goût pour l’étude que de passion pour les exercices militaires. Par sa naissance, il concentra successivement en ses mains les successions des maisons d’Autriche, de Bourgogne et de Castille, et devint le maître du plus vaste, empire qui eût été formé depuis Charlemagne. En 1516, il hérita des royaumes d’Espagne, après la mort de son aïeul maternel Ferdinand le Catholique. Étranger dans un pays dont il ne savait même pas la langue, il irrita les Espagnols en disgraciant le vieux cardinal Ximénès, qui mourut peu après ; en livrant toutes les dignités à ses Flamands et en diminuant les privilèges locaux. À la mort de son aïeul paternel Maximilien (1519), il fut élu empereur, bien qu’il eût pour concurrent François Ier, roi de France. Cette rivalité, qui venait d’éclater devant les électeurs de l’empire, n’était pas destinée à s’éteindre en silence et devait se perpétuer sur tous les champs de bataille de l’Europe. En réalité, il s’agissait moins de l’empire germanique que de la prépondérance politique sur les affaires du continent européen, et de prétentions rivales sur l’Italie, la Navarre, les Pays-Bas et la Bourgogne. Le premier acte du nouvel empereur fut de convoquer la diète de Worms (1521) pour réprimer les nouvelles doctrines religieuses. On sait que Luther y défendit courageusement ses idées, qui ne furent d’ailleurs condamnées qu’après son départ. C’est en 1521 que s’ouvre la série des interminables guerres entre la France et Charles-Quint. Les hostilités se couvrirent d’abord du masque du roi de Navarre et du duc de Bouillon. Provoqué par des agressions indirectes, l’empereur répond par deux invasions infructueuses, l’une en Guyenne, l’autre dans la principauté de Bouillon, comprime en Espagne l’insurrection des communes, s’allie à Henri VIII d’Angleterre, et gagne par ses généraux les batailles de la Bicoque (1522), de Biagrasso (1524) et de Pavie (1525), où François Ier fut fait prisonnier. Des traitements rigoureux, une captivité fort dure, amènent le monarque français à signer le traité humiliant de Madrid (14 janvier 1526), contre lequel il proteste secrètement comme arraché par la force, et qui fut brusquement rompu. Un autre traité, celui de Cambrai, dicté par la lassitude aux deux parties (1529), fut aussi mal exécuté que celui de Madrid. Dans l’intervalle, le Milanais avait été saccagé, Rome prise et pillée par le connétable de Bourbon, allié de l’empereur, et le pape lui-même fait prisonnier par les troupes allemandes. Pendant ces deux périodes, la guerre, presque constamment défavorable aux Français, n’avait d’ailleurs amené aucun résultat décisif.

En 1535, les hostilités recommencèrent à la suite d’une invasion française en Savoie et dans le Milanais ; l’empereur riposte par l’invasion de la Provence, changée en désert, et où son armée est décimée par la famine et les maladies, et par une expédition en Picardie, qui ne lui est pas plus profitable. Une trêve de dix ans, conclue à Nice en 1538, mit fin à cette troisième période, stérile en résultats comme les deux précédentes. En 1542, le meurtre de deux ambassadeurs français dans le Milanais donne à François Ier un juste motif de recommencer la guerre. La première campagne fut mêlée de succès et de revers. Bientôt Charles conclut une ligue avec le roi d’Angleterre, appelle la diète de Spire à son aide, fait quelques concessions aux protestants d’Allemagne pour en obtenir des secours, détache le Danemark de l’alliance française, et, bien que son armée ait été battue à Cérisoles par le duc d’Enghien (1544), fait irruption par la Champagne jusqu’au cœur de la France. Faute de provisions et d’argent, il accepte la paix de Crespy, en vertu de laquelle il renonçait à ses prétentions sur le duché de Bourgogne et le comté de Charolais, pendant que François abandonnait les siennes sur Naples, la Flandre et l’Artois. Ce dernier traité était sur le point d’être rompu comme les précédents, lorsque la mort vint arrêter le roi de France dans ses projets (1547). Cette lutte obstinée n’était point terminée cependant. En 1552, Henri II, effrayé de la puissance de l’empereur, traite secrètement avec les protestants et envahit les Trois-Évêchés. Charles marche sur la Lorraine, assiège inutilement Metz, défendu par le duc de Guise, obtient quelques succès dans les Pays-Bas, ravage la Picardie et signe en fin la trêve de Vaucelle, qui laisse les choses en l’état où elles étaient. Tel fut le résultat de plus de trente ans de guerres et de dévastations ! D’autres affaires non moins importantes que sa guerre stérile contre la France occupèrent le règne de Charles-Quint : les luttes religieuses de l’Allemagne, la guerre contre les Turcs et les dissensions intestines de l’Espagne. En 1532, il mit sur pied une armée formidable pour repousser Soliman, qui s’avançait en Hongrie. C’était la première fois qu’il paraissait à la tête de ses armées. Dans cette lutte de la civilisation contre la barbarie, il couvrit l’Allemagne, et, s’il ne remporta pas d’avantages considérables, tint l’ennemi en échec et l’éloigna par un traité, qui à la vérité maintenait les choses dans le statu quo, c’est-à-dire conservait aux Turcs leurs postes menaçants en Hongrie. En 1535, il fit une expédition glorieuse contre Tunis et Barberousse, rétablit le dey, sous la suzeraineté de l’Espagne, et ramena en Europe 20,000 esclaves chrétiens qu’il avait délivrés. Il laissa d’ailleurs tomber Rhodes, ce poste avancé de la chrétienté, et se contenta de céder aux chevaliers l’île de Malte. Une expédition qu’il tenta contre Alger en 1541 lui coûta sa flotte et une partie de son armée. Ainsi, de ce côté encore, l’œuvre de Charles-Quint a été à peu près stérile. Son rôle dans le grand mouvement de la réforme religieuse en Allemagne ne fut ni brillant ni même nettement dessiné, et, quoiqu’il ait combattu les princes protestants, quoiqu’il ait dépouillé de leurs États l’électeur de Saxe et le landgrave de Hesse, vaincus à Mühlberg en 1547, il n’empêcha point la propagation des doctrines nouvelles, et le dernier trait de sa politique à ce sujet est ce fameux Intérim, compromis qui ne décidait rien et indisposait les catholiques aussi bien que les protestants. En 1552, Maurice de Saxe trancha la question en lui imposant, les armes à la main, le traité de Passau, où le libre exercice de la religion réformée était stipulé. En Espagne, son règne n’a été que la préparation des règnes de ses successeurs ; mais il obtint cependant le résultat de mieux affermir l’autorité royale contre les prétentions de la noblesse et des assemblées nationales. Après trente-cinq ans d’efforts et de luttes, le Sisyphe impérial se trouvait à peu près au même point. Découragé, usé par les fatigues et les maladies, tourmenté peut-être par la passion des actions extraordinaires, il résolut de déposer le fardeau de sa stérile grandeur ; il abdiqua en 1555, laissant la couronne impériale à son frère Ferdinand, l’Espagne, les Pays-Bas, l’Italie, et le nouveau monde à son fils Philippe II, et se retira dans un palais contigu au monastère de Saint-Just, près de Placenzia, dans l’Estramadure.

C’est depuis quelques années seulement que nous connaissons, d’une façon exacte, cette dernière phase de la vie de Charles-Quint. Robertson, qui écrivit l’histoire de cet empereur d’après la romanesque chronique de Gregorio Leti, a dénaturé ce caractère, qui, jusqu’à la dernière heure, ne se démentit point. Il a créé un frère Charles légendaire, détaché des choses de ce monde, et uniquement occupé de pratiques religieuses. « Loin de prendre aucune part aux événements politiques de l’Europe, écrit-il, il n’avait pas même la curiosité de s’en informer. » Voltaire va plus loin : « On prétend, dit-il, que l’esprit de Charles-Quint se dérangea dans la solitude de Saint-Just. En effet, passer la journée à tourmenter des novices et à démonter des pendules, se donner, dans l’église, la comédie de son propre enterrement, se mettre dans un cercueil et chanter son De profundis, ce ne sont pas là des traits d’un cerveau bien organisé. Il mourut en démence. » Ces idées, universellement acceptées et reproduites par les historiens, sont encore aujourd’hui trop généralement accréditées, pour qu’il ne nous semble pas nécessaire d’appeler sur ce point l’attention de nos lecteurs. Grâce à la découverte de pièces inédites, trouvées dans les archives de Simancas et dans celles des divers pays, plusieurs écrivains, à la tête desquels se placent M. Mignet et M. Gachard, nous ont donné, sur les dernières années de la vie de Charles-Quint, une relation complète, authentique, qui a rétabli dans son jour toute la vérité.

Ce fut au mois de février 1557 que l’empereur Charles-Quint vint habiter sa dernière demeure, somptueux édifice construit par ses soins et embelli par les arts. Son palais communiquait avec un couvent de moines hiéronymites, et était disposé de telle sorte, que Charles-Quint pouvait, de son lit, apercevoir le grand autel de l’église du couvent. Il était accompagné d’un certain nombre de serviteurs, entre autres de Gatzelu, son secrétaire ; de Van Male, son valet de chambre et son favori ; de son fou, Paep Thun ; et, pour l’entretien de sa maison, il se réservait 1,500,000 fr. de revenu, ce qui n’est pas précisément le budget d’un moine se vouant à la vie ascétique. Dès les premières heures, Charles-Quint se montre tel qu’il avait toujours été ; jusqu’à la fin il reste lui-même, partagé entre les trois grandes et constantes préoccupations de sa vie, la politique, la passion du bien manger et son salut.

La politique, qu’il semblait avoir à jamais abandonnée, ne lui reste pas un instant étrangère. Devenu empereur consultant, pas un seul jour il ne demeure indifférent aux événements qui agitent l’Europe. Philippe II, plein de déférence, sinon de tendresse, lui demande fré-