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« hacon par un chemin de fer, qui en tuasse leur serait parallèle, et le grand mouvement d’hommes et de produits qui aurait lieu le long de leur cours se trouverait partagé, de sorte que le chemin de fer ne porterait que les nommes et tes produits légers, laissant h la navigation le soin de charrier les marchandises lourdes et encombrantes. Les communications secondaires seraient ensuite spécialement établies à l’aide des chemins de fer.

Passant à l’application et aux détails, M. Michel Chevalier nous conduit successivement en Espagne, en France, en Italie, en Allemagne, en Turquie d’Europe, en Russie, en Asie et en Afrique, et nous fait connaître les principaux chemins de fer qu’il rêve pour la régénération ou le progrès politique et social de ces divers pays. Nous voici d’abord en Esagne. L’Espagne, qui ferme la Méditerranée l’une de ses extrémités, présente particulièrement un golfe en entonnoir mal clos, entre la côte de Valence et de Catalogne et les Baléares. On peut prendre Barcelone pour point central de ce golfe, et concevoir un chemin de fer qui, rejoignant la vallée de l’Ebre, la remonte jusqu’à Saragosse, aille de là chercher le bassin du Tage, aborde Madrid et continue jusqu’à Lisbonne à travers les plaines de la Castille, l’Estramadure et le Portugal. Celui qui établirait cette voie aurait consacré l’union du Portugal et de l’Espagne, car il n’y a d’association possible qu’entre des peuples qui

?euvont s’épancher matériellement 1 un sur

autre et vivre réellement de la vie l’un de l’autre. Grâce à un tel chemin et à un autre qui, parti de Cadix, remonterait le Guadalquivir par Séville et Cordoue, rejoindrait Madrid et irait vers Bordeaux, lançant des embranchements à droite et a. gauche, da civilisation circulant réveillerait l’Espagne assoupie, en relierait les membres disjoints et la ferait sortir de la torpeur où ses gardiens l’ont plongée afin qu’elle ne bondit pas hors du cercle tracée par le catholicisme. ■

Passons en France. Eu France, le port principal du golfe du Lion est Marseille, qui termine admirablement l’admirable vallée du Rhône. Il n’est personne qui, regardant la Carte, n’ait rêvé quelque grande communication entre Marseille et le Havre par Lyon et Paris à travers les trois vallées du Rhône, de la Loire et de la Seine. Le plus haut avantage de cette grande communication serait d’ouvrir à l’Angleterre les abords de la Méditerranée. L’industrie jouera un beau rôle dans la régénération des peuples méditerranéens. La reine de l’industrie, l’Angleterre, ne saurait manquer d’apparaître avec éclat dans les pacifiques croisades qui s’ébranlenteu Occident pour aller relever l’Orient à demi enseveli sous des monceaux de ruines. Le chemin de fer du Havre à Marseille sera comme un pont jeté au-dessus de la France, pour le passage de la puissante Albion, de ses ingénieurs et de ses trésors. ’ L’Italie, au territoire allongé, ressemble à un messager de l’Europe vers l’Afrique et l’Asis. L’Italie à l’âme d’artiste, l’Italie, voluptueuse et riante comme une tille d’Orient, aura une éclatante mission dans l’ère qui s’ouvre pour les peuples de la Méditerranée. Mais l’Italie sans unité est condamnée à l’impuissance. L’Italie est bien morcelée ; toutefois le sentiment de l’unité l’agite jusqu’au fond des entrailles. L’emblème matériel de l’unité italienne sera un chemin de fer qui s’étendra de Venise à Tarente par Florence, Rome et Naples, et auquel il sera facile de rattacher les points principaux du versant oriental des Apennins, ainsi que Livourne et les ports secondaires du versant occidental. L’Allemagne, dans ce grand mouvement qui

F eusse instinctivement tous les peuples vers unité, est presque parvenue à se donner un lien intellectuel. Mais les communications matérielles sont peu actives sur la terre germanique. Elles y sont loin de la célérité et de la régularité à laquelle elles sont parvenues en Angleterre ou en France. L’unité commerciale de l’Allemagne n’existe pas. De beaux chemins de fer, établis dans quelques directions principales, seront des liens qui resserreront tous cea peuples qui parlent la même langue et qui ne s’entendent pas ; qui ont les mêmes mœurs, les mêmes habitudes, et qui restent de fait étrangers les uns aux autres. Quels seront ces chemins de fer ? Ce seront deux grandes voies qui partiront l’une et l’autre de Mayence ou de Francfort. La première se dirigera vers Ratisbonne dans la vallée du Danube, ira par Lentz, Vienne, Presbourg et Ofen jusqu’à. Belgrade, où elle se bifurquera pour rejoindre d un côté Constantinople, et de l’autre Odessa. La seconde se déroulera à travers la plaine immense qui commence aux Flandres, qui se développe sur l’Allemagne du Nord.dans toute la Russie et dans les steppes de l’Asie septentrionale jusqu’au Kamtchatka ; elle s’avancera par BreSlau, Varsovie, Vilna et Riga jusqu’à. Saint-Pétersbourg. Lorsque ces deux voies principales et les embranchements qui les relieront à tous les centres importants auront ouvert à l’Allemagne, aujourd’hui emprisonnée au milieu des terres, des ports sur toutes les mers, sur l’Archipel, la mer Noire, l’Adriatique et la Caspienne ; « lorsque les savants de la Germanie, sentant leurs sens émoussés, pourront aller chercher des inspirations sous le ciel enchanteur de laPropontide, tout comme le Parisien qui a besoin de se distraire va regarder à Dieppe le ftux et le reflux de l’Océan, lorsque l’académicien berlinois et l’étudiant de Goettingue pourront

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en vingt-quatre heures passer des salles de leurs universités aux collections du Jardin des Plantes, à une séance de l’Institut, ou au musée du Louvre ; lorsque la grâce de l’Italie, la finesse des Hellènes et l’élégante aisance des Français, débordant incessamment sur l’Allemagne, se marieront avec la sincérité, la conscience et la bonté d’âme des Germains ; lorsque tout cela subsistera, qui peut dire quelles seront la splendeur, la richesse et la force d’association au sein de le Germanie ? >

S’il existe un pays où les chemins de fer doivent exercer sur la civilisation une influence décisive, c’est la Russie. Tout sommeille chez les habitants de ce pays, qui meurent, après avoir végété plutôt que vécu, sans s’être écartés hors de la vue ne la chaumière qu’occupaient leurs ancêtres, semblables aux mollusques dont la coquille est fixée à un rocher. Dans l’ordre politique, le moyen le plus efficace de les réveiller de leur somnolence consistera à placer près d’eux les exemples d’un mouvement extraordinaire, à les exciter par le spectacle d’une prodigieuse vélocité, et à les inviter à suivre le courant qui circulera à leur porte, par l’intérêt le plus positif et qu’ils sentent le mieux aujourd’hui, celui du bénéfice industriel. Une route en fer qui d’Odessa irait à Riga et Pétersbourg par Kiev, qui d’Odessa continuerait ensuite vers Astrakan par Taganrog, qui d’Astrakan s’élancerait vers Saint-Pétersbourg parMoscou à travers le long et

large bassin du’Volga et pousserait jusqu’il Arkhangel sur la mer Blanche, comprendrait les lignes les plus importantes du réseau vivifiant qui doit animer la Russie et lui faire perdre le caractère engourdi d’un peuple cerné par les neiges.

Nous ne suivrons pas M. Michel Chevalier en Turquie d’Asie, en Égypte, dans les ré fences barbaresques, et nous ne dirons rien es chemins de fer que sa brillante imagination y trace du Bosphore au golfe Persique, du golfe Persique-a la mer Caspienne, de l’île d’Eléphantine à Alexandrie, etc. il termine ce tableau en montrant qu’un pareil système de communications établi entre les peuples aurait pour résultat nécessaire la fin des guerres et des révolutions. « Admettons, pour un instant, que cette création soit entièrement réalisée demain, et demandons-nous si, au milieu de la prospérité qu’elle répandrait partout, il pourrait se trouver un cabinet qui, saisi d’une lièvre belliqueuse, songeât sérieusement à arracher les peuples à leur activité féconde, pour les lancer dans une carrière de sang et de destruction ; si alors il existerait des capitalistes qui, effrayés d’un avenir incertain, resserrassent leurs capitaux, et des populations affamées qu’on pût décider à l’émeute. • Voilà donc le véritable système politique qui doit substituer la confédération ■méditerranéenne au vieil équilibre européen, toujours menacé, toujours instable, et qui doit assurer la paix en donnant à l’activité collective un autre but que la guerre, soit offensive soit défensive ; voilà l’œuvre qui peut et doit réunir toutes les ambitions, et dans laquelle il y a place pour toutes les activités. • Dans une œuvre pareille, il y a place pour tous les hommes de capacité, que leur chimère ait été le républicanisme ou l’absolutisme, ou le-juste-milieu. Il y a place pour les savants dont les lumières ont a, éclairer le plan et dont les méditations en prépareront la réalisation et la rendront plus facile. Il y a place, pour tous les hommes d’art de tous les pays, pour les ingénieurs qui en Angleterre et sur le continent ont recueilli et fait fructifier l’héritage des Riquet et des Watt. Il y a place pour les industriels aux mains desquels la nature verse ses produits, et qui les métamorphosent en cent façons pour l’embellissement de l’humanité et du globe qu’elle habite. Il y a place pour les commerçants infatigables qui d’un pôle à l’autre vont chercher ces produits ; place de plus en plus large, de plus en plus Commode pour le pauvre peuple des ateliers et des campagnes ; place, et sur les premiers rangs, pour les banquiers dispensateurs du crédit, dépositaires de la richesse des individus et des États. Il y a place, en vue de tous, place entourée d’or et de pourpre, place ornée de guirlandes de fleurs, pour les poâtes, pour les hommes d’inspiration, qui jusqu’ici, ne trouvant de grand dans la société que la guerre, ont chanté la guerre et ses scènes de deuil, et qui maintenant ont à chanter l’épitbalame de l’Orieût et de l’Occident. •

Dans un ouvrage postérieur, en 1838, M.Michel Chevalier, qui avait passé du socialisme saint-simonien à l’économie politique, en y conservant une partie des vues et des tendances de i’école à laquelle il avait d’abord appartenu, s’exprima, relativement à la portée sociale des chemins de fer, avec une admiration moins exubérante, en des termes

moins romantiques, qui pourtant s’éloignaient peu, quant au fond, du célèbre écrit sur le Système de la Méditerranée. ■ L’invention des chemins de fer, dit-il, est Un des plus grands bienfaits dont la science et l’industrie, associant leurs efforts, aient doté l’espèce humaine. Les chemins de fer semblent véritablement appelés à changer la face du globe. De hardis et généreux penseurs ont dit que le monde marchait à grands pas aujourd’hui vers l’association universelle (M.Chevalier l’économiste sait, comme on voit, rendre justice à M. Chevalier le saint-simonien) ; peut-être ce merveilleux ordre de choses, que leur faisait rêver leur jioWe amour pour le

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genre humain, • n’est-il, au gré de beaucoup d’hommes positifs, rien de plus qu’une, chimère ; mais personne ne conteste que le sentiment d’unité qui anime aujourd’hui tant de peuples, et le besoin d’expansion qui dévore quelques nations récemment apparues sur la scène dans l’ancien monde et dans le nouveau, ne tendent à changer la balance politique. Une force invincible secoue, ébranle et mine les barrières entre lesquelles aujourd’hui les hommes sont parqués en petits États, et par conséquent prépare la place pour de vastes empires. Je ne dis pas que nous soyons à la veille de voir tous les trônes s’abaisser et tous les sceptres se courber sous la monarchie universelle qu’ont espérée quelques grands conquérants. J’incline du côté de ceux qui doutent que le genre humain puisse jamais tout entier reconnaître une seule loi, un seul roi, et même un seul Dieu ; mais il est, ce me semble, permis de soutenir que nous ne tarderons pas à voir s’organiser, par voie de fédération, par voie de conquête, ou sous je ne sais quels auspices inconnus, d’immenses États qui engloberont par douzaines les royaumes, les principautés et les duchés, entre lesquels est maintenant répartie la population de Europe. C’est un résultat que le présent autorise à prévoir ; c’est un pressentiment que le passé légitime, car que sont nos grandes monarchies, comparativement à l’empire romain, sous le rapport de leur superficie habitable ? Que sont-elles en population à côté des 360 millions de sujets que compte le Céleste-Empire ? Et si cette révolution s’accomplissait, les amis de l’humanité auraient-ils à s’en plaindre ou devraient-ils s’en applaudir ? Estil déraisonnable de penser que les relations des peuples et des hommes entre eux deviendraient plus fécondes et même qu’elles gagneraient en fréquence et en ampleur ? ■

Comment les chemins des fer poussent-ils les peuples aux grandes agglomérations ? En écartant les obstacles que les grandes agglomérations ont toujours rencontrés, en réduisant la durée de la locomotion, le temps employé à parcourir les distances qui séparent les divers lieux, ce qui équivaut k réduire ces distances elles-mêmes, et, par suite, les dimensions des États.» Aujourd’hui en France, et généralement en Europe, l’Angleterre exceptée, la vitesse moyenne des voitures publiques est de 2 lieues à l’heure. La malleposte, qui ne transporte qu’un très-petit nombre de voyageurs, atteint tout au plus chez nous la vitesse moyenne de 3 lieues et demie. En poste, on ne fait guère que 3 lieues à l’heure, et c’est un mode de transport qui est à l’usage d’une imperceptible minorité de privilégiés. Il faut qu un chemin de fer soit grossièrement établi pour que l’on ne puisse y

circuler avec une vitesse moyenne de C lieues à l’heure, c’est-à-dire trois fois plus grande que celle de nos diligences. À ce compte, au moyen des chemins de fer, un pays, trois fois plus long et trois fois plus large que la France, et par conséquent neuf fois plus vaste, se trouverait, sous le rapport des communications et pour les relations des hommes entre eux, dans la même situation que la France actuelle dépourvue de chemins de fer. En supposant une vitesse de 10 lieues à 1 heure, c’est-à-dire quintuple de celle des diligences ordinaires^ le rapport de 1 à 9 se change en celui de 1 à 25 ; le rapprochement des hommes et des choses s’accélère alors dans la même proportion, c’est-à-dire qu’avec des chemins de fer de 10 lieues à l’heure, un territoire vingt-cinq fois plus grand que la France, ou quatre fois et demie aussi étendu que l’Europe occidentale, serait centralisé au même degré qu’aujourd’hui la France et pourrait s’administrer tout aussi vite. » Rien de plus juste que ces réflexions de M. Michel Chevalier. Il est Certain que les moyens de coercition, de pouvoir, de gouvernement, d’administration, s’affaiblissent avec la distance ; il est certain qu’au point de vue des rapports" sociaux c’est le temps qui mesure la distance ; il est certain, par conséquent, que l’instrument qui It. réduit, la fait disparaître, qui porte les instructions, les ordres, les fonctionnaires, les armées avec une vitesse bien plus grande, doit avoir à la longue une influence sur l’étendue des empires, en faciliter l’agrandissement, en arrêter le démembrement. Les chemins de fer ont rendu les sécessions difficiles : on a pu le voir par les récentes guerres d’Amérique. En Italie et en Allemagne, ils favorisent le principe dos nationalités et condamnent le morcellement traditionnel et diplomatique. Peut-être sauveront-ils l’Autriche de la dissolution dont elle est menacée par la diversité de ses races. Ils aggravent la situation que les traités de 1815 ont faite à la France et l’invitent à reculer sa frontière de l’est qu’ils ont singulièrement rapprochée de Paris. On peut ajouter avec M. Dupuit que les chemins de fer poussent à l’agrandissement, non-seulement des États, mais de leurs parties, de leurs divisions territoriales. Ce qui détermine ce qu’on peut appeler la taille d’une subdivision de l’État, qu’on appelle province, département, comté, capitainerie, peu importe, c’est la facilité plus ou moins grande de -communication entre l’administré et l’administrateur. Or, si onv compare ce qu’elle est aujourd’hui avec ce qu’elle était autrefois, on sera frappé de 1 énorme différence qui s’est opérée. Nul doute qu’aujourd’hui le département, le ressort des tribunaux, des cours d’appel, des divisions militaires ne pût être agrandi. Ainsi la

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réduction des frais généraux de gouvernement et d’administration est une des conséquences qu’on est en droit d’attendre des chemins de fer. Dans un pays sillonné de chemins de fer, des divisions telles que nos communes et nos départements français sont évidemment trop petites. Le temps n’est peut-être pas éloigné où le besoin dune décentralisation sérieuse nous conduira à substituer au département la province, à la commune le canton. Qu’on le remarque bien, les chemins de fer sont des agents énergiques de centralisation ; ils nous poussent à l’unité de vie collective ; ils tendent à supprimer tout intermédiaire entre l’État et.l’individu ; de là une atrophie naturelle des unités politiques secondaires. À ce mouvement qui, dans la France telle que l’ont faite la Révolution et le premier empire présente, des dangers que tout le monde comprend, on nepeut résister qu’en donnant à ces groupes, à ces communautés politiques secondaires plus d’étendue et plus de force.

Si, dès 1832, M. Michel Chevalier exprir mait une foi enthousiate et profonde à l’essor des chemins de fer et à la puissance de transformation, sociale qui résidait en ces nouveaux moyens de viabilité, il est bon de rappeler qu’à cette époque, et même assez longtemps après, cette foi était loin d’être partagée par tous les esprits distingués. On sait que la grande invention fut accueillie avec un scepticisme que les événements ont trompé par un homme d’État célèbre, M. Thiers, et par un savant.célèbre, Arugo. M. Thiers voulait bien admettre en 1835, .à la suite d’un voyage en Angleterre, que les chemins de fer présentaient quelques avantages pour le transport des voyageurs, « en tant que l’usage en était limité au service de quelques lignes fort courtes aboutissant à de grandes villes, comme Paris ; » mais il ne voulait pas entendre parler de grandes lignes. En 1842, il déclarait qu’en Fiance les chemins de fer ne serviraient qu’aux classes riches. « Je sais, disait-il, qu’en Belgique on a vu des ouvriers se servir des chemins de fer, mais je ne sais pas si en France, où la population est moins mobile, les ouvriers s’en’serviront ; mais je sais bien que les paysans ne s’en serviront pas beaucoup. « 11 noubliait pas de parler des dangers que présentait le nouveau moteur, et des catastrophes qui venaient quelquefois effrayer les esprits.

Arago, dans son rapport de 1S38, mettait en garde contre les illusions en matière de locomotives à vapeur ; il persiflait les espérances de ceux qui admettaient que « deux tringles de fer parallèles donneraient une face nouvelle aux landes de Gascogne ; • il montrait l’expérience donnant un démenti brutal aux rêves de l’imagination, celte folle du logis ; il tournait en moquerie les conséquences qu’on attribuait aux chemins de fer, au point de vue du transit et au point de vue militaire. Rappelons ses paroles :

« Les chemins de fer, quand on les combine avec les machines locomotives, constituentcertainement une des plus ingénieuses découvertes de notre époque. Là se trouvent réunis, à un degré vraiment inespéré, la force et tous les moyens de vitesse. Les résultats, sous ce double rapport, ont été déjà si étonnants que l’on pouvait naguère, devant la première société savante de la capitale, sans trop encourir le reproche d’exagération, parler de l’époque où les riches oisifs dont Paris fourmille partiront le matin de bonne heure pour aller voir appareiller notre escadre à Toulon, déjeuneront à Marseille, visiteront les établissements thermaux des Pyrénées, dîneront à Uordeaux, et, avant que les vingt-quatre heures soient révolues, reviendront à Paris pour ne pas manquer le bal de l’Opéra. Touteompte fait, messieurs, l’imagination, cette folle du logis, comme l’appelait Malebranche, avait, à revendiquer une bonne part dans ces projets de voyage ; l’expérience, en effet, a brutalement jeté au travers de ces séduisantes spéculations une foule d’éléments que les théoriciens avaient négligés : elle a parlé d’inertie, de ténacité des métaux, de résistance de l’air, etc. Il a bien fallu alors resserrer quelque peu le cercle qu’on croyait avoir conquis. Les vitesses seront grandes, très-grandes, mais pas autant qu’on l’avait espéré. Il y aurait, messieurs, un travail très-intéresSant à faire, que nous recommandons, en passant, au zèle et à la sagacité de nos jeunes historiens moralistes. Ce serait le tableau des mille et mille circonstances capitales dans lesquelles les hommes les plus éclairés, les assemblées délibérantes, la masse du public, se sont laissé gouverner par des mots sans portée, nous dirons même par des mots entièrement vides de sens. Plusieurs de nos honorables collègues et moi nous avons été au moment de subir une influence de cette nature. Les mots si souvent répétés de transit., de lignes politiques, de lignes stratégiques n’avaient pas inutilement frappé nos yeux et nos oreilles. Faut-il l’avouer ? nous étions déjà quelque peu enclins à les regarder comme les vrais symboles de l’avenir industriel, commercial et militaire de la France. Toutefois, ramenés bientôt à un examen sévère des choses, à leur appréciation exacte, il nous a été bien facile de reconnaître que nous avions trop légèrement cédé à un premier aperçu... Il y a bien longtemps, messieurs, que le transit esten possession d’exercer parmi nous une puissance dont la légitimité n’a jamais été démontrée... Examinons,