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pagnie, à la fusion générale, pour tous les chemins de fer de France. M. de Morny invoque en faveur de la fusion qu’il propose des raisons qui, poussées à Leurs conséquences logiques, nous ramènent à l’exploitation unitaire, disons le mot, à l’exploitation par l’État. Mais voici M. Magne qui, dans son rapport h l’empereur du 2 février 1854, nous arrête jsur cette pente. M. Ma^ne est juste-milieu. « 11 faut, dit-il, des fusions, mais pas trop n’en faut. Le morcellement pouvait, en créant une concurrence entre des lignes tracées dans la même direction, compromettre le succès de deux entreprises et aboutir à la ruine de l’une d’elles, en multipliant leurs frais généraux ; augmenter les frais de transport, en nécessitant l’établissement de services industriels ; compliquer l’exploitation et entraver en définitive la circulation. Mais il ne fallait jamais perdre de vue qu’en définitive les chemins de ter sont établis pour le public, et par suite se tenir en garde contre la concentration dans quelques mains d’un trop grand nombre de moyens de transport, lorsque cette concentration pourrait avoir pour résultat de créer, au profit de certaines Compagnies, un monopole redoutable, et tourner au préjudice du. commerce et de l’industrie. C’est dans cette pensée que le gouvernement a dû refuser d’accueillir des propositions tendant à réunir la ligne d’Orléans et du Centre avec celle do Paris à Lyon et à la Méditerranée. » On peut opposer M. Magne à M. de Morny. M. Magna reconnaît que le morcellement peut créer la concurrence entre les lignes ; que la concentration peut créer un monopole redoutable ; que, par conséquent, « les esprits superficiels en voyant plusieurs Compagnies se fondre en une Compagnie unique et puissante, n’ont pas toujours tort de s’effrayer de la pensée que le gouvernement érige un monopole. » Mais, peut-on demander à M. Magne, où commencent les inconvénients du morcellement, où commence le péril de la concentration ? Si l’argument de concentration était de mise contre l’union des lignes d’Orléans et de Lyon, comment n’a-t-il pas empêché de donner à la même Compagnie les deux lignes parallèles de Paris à la frontière de l’Est ? Où est lu théorie qui éclaire cette pratiqua ? Où sont les principes qui la rendent intelligible ? N’est-il pas visible qu’il n’y a qu’arbitraire en tout cela ?

Nous arrivons à la durée et au mode des concessions. De 1842 à 184g, le mode de concession adopté, fut l’adjudication, qui a l’avantage de susciter la concurrence ; sous le pouvoir sans contrôle qui succéda à la révolution de Février, ce fut le mode de la concession directe qui prévalut. La concession directe peut se comprendre lorsque le pouvoir est contenu par une opinion publique entièrement libre de se faire entendra, soumis à une sérieuse et incessante discussion de lu presse et de la tribune ; mais qui ne voit que ce mode ouvre une porte bien large au favoritisme lorsque le pouvoir agit et parle au milieu du silence universel ?La durée était d’abord de trente-cinq, quarante et quarante-cinq ans. Après le 2 décembre, on la portée à quatre-vingt-dix-neuf ans. Des concessions de quatre-vingt-dix-neuf ans ! Un demi-siècle de retard pour le retour des chemins au domaine national ! M. Léonce de Lavergne a calculé que le seul surcroît de profits accordé aux actionnaires des chemins de fer, aux dépens du public, par la promulgation de jouissance, doit atteindre un milliard. Voilà le cadeau de joyeux événement que le gouvernement impérial a fait aux Compagnies. Quelle munificence ! » Kl qui vous assure seulement, dit Proudhon, que les chemins de fer dureront autant que les concessions ? Qui vous dit que d’iei à quatre-vingt-dix-neuf ans, vu la rareté et la cherté croissantes des matières, vu la transformation de l’état économique du peuple, vu le perfectionnement et la simplification des rapports mercantiles et industriels, il n’y aura pas lieu d’aviser à un autre système de transport ? Dans cette éventualité, quelle aura été la part du piiys, de la civilisation, dans l’établissement des voies ferrées ? Quel fruit positif en aura recueilli la société pourson économie ultérieure et son avenir ? Le monde n’existe-t-il que pour la joie des aristocrates, et, les Compagnies de chemins de fer repues, l’humanité sera-t-elle ivre ? •—• Sans doute, dit M. Audiganne, la plupart des lignes concédées en 1S52 auraient pu trouver des concessionnaires pour des termes plus réduits. Mais le moment d’agir était venu ; il fallait donner une vive impulsion aux travaux de chemins de fer, il fallait achever le réseau le plus rapidement possible, il fallait se prémunir contre toutes les causes de retard, ; pour cela, il ne fallait pas marchander avec les Compagnies ; il fallait comprendre que l’intérêt public trouvait son compte à leur puissance et à leur richesse, il fallait leur accorder le temps qui promet et assure aux capitaux la fécondité. • Dans un débat où l’intérêt public et l’intérêt privé sont eh présence, c’est, on en conviendra, une sint gulière manière de défendre le premier, que ’ d’accorder au second plus qu’il ne demande, afin dé lui épargner des mécomptes. Vous allez, dites-vous, au-devant et au delà des exigences des Compagnies, afin qu’elles puissent accomplir, sans succomber à la tâche et sans être obligées de vous demander votre concours, une œuvre que vous ne pouvez faire vous-mêmes. Mais il conviendrait’d’établir

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l’impuissance de l’État à se charger, en 1852, de cette besogne, à se montrer fidèle à l’esprit de la loi de 1842. À qui fera-t-on croire qu’un gouvernement en qui tous les intérêts conservateurs avaient mis leur confiance, et une confiance sans bornes, un gouvernement qui était accueilli comme le sauveur de l’ordre social, un gouvernement qui a pu opérer la conversion de la rente, faire la guerre de Crimée, puis celle d’Italie, celle du Mexique, n’aurait pu, s’il eût voulu sérieusement s’en tenir au programme de Bordeaux : h’Empire, c’est la paix, s’il n’eût pas rêvé une autre gloire que celle du progrès pacifique et du bien-être universel, n’aurait pu, disons-nous, procéder démocratiquement à l’exécution des voies qui restaient a faire après avoir repris possession de celles qui avaient été aliénées, et assurer le bon marché des transports par la suppression du péage ?

Constitution et organisation des Compagnies. Les Compagnies de chemins de fer sont établies sur le principe légal de la société anonyme. À cela point de reproche. Nous sommes très-partisan de cette forme de société, éminemment républicaine (c’est l’expression de M.Troplong), qui, en dépersonnalisant les rapports d’échange, leur ôte tout i caractère d’arbitraire, de ruse, de mensonge ; j qui, en groupant de petits capitaux, donne naissance à des forces productives considérables ; qui tend ainsi à supprimer le monopole industriel des grandes fortunes et permet de concilier le progrès de l’industrie avec un état social démocratique. Mais il faut considérer que la Liberté des associations de capitaux, des sociétés anonymes, est de date très-récente dans notre législation commerciale. Les Compagnies de chemins de fer sont nées et ont grandi sous le régime de l’anonymat privilégié. Ce régime, en mettant entre les mains du pouvoir les principaux ressorts du mouvement économique, a créé dans notre pays cette centralisation économique si bien désignée sous le nom de féodalité industrielle. C’est ainsi que la société anonyme, si libérale dans sa forme, si expansive de sa nature, est devenue le germe d’une caste. On a pu y voir l’alliance, — faut-il dire la complicité ?du capital et du pouvoir.

1 ! y a un autre fait qui mérite l’attention. On a parlé beaucoup, a propos des chemins de fer, de l’esprit d’association. Les conservateurs et les économistes se sont plu à jeter ces mots : esprit d’association, aux partisans de l’exécution et de l’exploitation par l’État, aux défenseurs du domaine public. Mais il y a associations et associations. Il est visible que le développement des associations de capitaux, développement dû en grande partie aux chemins de fer, a amené un développement correspondant du salariat. Or le développement du salariat menace la sécurité, la dignité et l’indépendance des travailleurs ; il nous pousse, quant à la distribution des produits, des fonctions et des responsabilités, en sens inverse des conquêtes de la Révolution française, en sens inverse du progrès politique et social. C’est au moment où l’égalité et la liberté triomphent dans l’ordre juridique et politique, où la raison et la conscience humuine affranchies écrivent fièrement les constitutions et les lois, et substituent aux droits surnaturels et traditionnels des dynasties, des clergés et des noblesses, les droits de l’homme et du citoyen ; c’est à ce moment que la loi d’oifre et de demande, la loi inflexible et fataliste des intérêts, nous ramène plus fortes que jamais et invulnérables aux révolutions l’inégalité, l’autorité, la hiérarchie, la dépendance. Mais écoutons Proudhon :

« Sans doute, le principe du salariat fait partie de notre droit public. Il est avoué par l’économie politique, comme la concurrence et la propriété. Il ne saurait en aucune manière être question de le supprimer. Mais quand, par les progrès et la centralisation aes entreprises, le salariat se multiplie au

floint de former des populations entières ; orsque, de plus, ce salariat se trouve sous la main de quelques Compagnies, maîtresses pour ainsi dire de la vie ou de la mort de ces multitudes, n’y a-t-il rien dans ce fait nouveau qui mérite l’attention du législateur ?... Quand le réseau des chemins de fer n’existait pas, le service des transports était fait par une fouléde petits entrepreneurs, rouliers, bateliers, commissionnaires, tous indépendants et libres, et entretenant chacun depuis là 15 ou 20 employés, lesquels, en raison du nombre des patrons, pouvaient se regarder aussi comme indépendants et libres. Dans ce système d’industrie morcelée, la condition était à peu près équivalente pour tous : de là la moralité, la dignité du salariat. À présent, ce sont des légions de 3 et 4,000 mercenaires, pour nui la garantie d’indépendance, résultant du grand nombre d’entrepreneurs, est nulle, et que l’on peut sans métaphore regarder comme réduits en servage. Quoi de plus morne que ces gares de chemins de fer ? Quelle différence avec l’animation des quais, des ports, des places de roulage I À la blouse des rouliers, à la veste des mariniers a succédé le triste uniforme : ces hommes sont dépersonnalisés, mécanisés, numérotés ; un seul

sentiment les possède, qui leur refoule l’ennui dans la gorge, la crainte. Ils ont peur de perdre leur place ; ils ont vécu. La locomotive siffle sur eux. C’est ainsi qu’on rend une nation pusillanime, qu’on la tue. : il y a cinquante

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ans, on disait avec vérité l’Empereur des

Français. Les Français avaient perdu leur liberté politique ; du moins ils jouissaient encore de la libellé industrielle. Au-dessous de l’empereur, comme devant la loi, tous étaient égaux. Maintenant on peut dire l’Empereur des Compagnies. Avec la liberté politique nous sommes eu train de perdre la liberté et l’égalité économiques : c’est tout le progrès que " nous avons tait depuis AusterliU. Halte, César ! Les Compagnies de chemins de fer ont admis les souscripteurs à 500 fr. ; il faut qu’elles reçoivent les salariés à 800 fr. ; car c’est le travail des salariés, c’est leur liberté, leur patrimoine, ô César, que tu as concédé pour quatre-vingt-dix-neuf ans.- Ils ont droit à la concession, droit aux. bénéfices. «

11 faut que les Compagnies s’élargissent et se transforment pour donner une part dans les bénéfices au travail et à la direction comme au capital ; il faut que les trois éléments de la production y trouvent un lien qui ne soit pas purement mécanique. Comment le législateur de 1852, dont le système était, selon M. Audi» ganne, d’accorder beaucoup pour exiger beaucoup, n’a-t-il pas compris ^cette nécessité ? Comment n’a-t-il pas songé à prendre en main les intérêts des travailleurs et à demander pour eux des garanties ? Chimère socialiste 1 va-t-on dire. [1 y a longtemps cependant que l’idée de la participation, l idée coopérative est appliquée, et par une Compagnie, par celle du chemin de fer d’Orléans. « La Compagnie d’Orléans, lisons-nous dans les Lettres sur l’organisation du travail de M. Michel Chevalier, admet ses employés au partage des bénéfices après leur avoir donné une rétribution fixe, égale à celle qui ailleurs forme la rémunération entière de services semblables. Une fois prélevés les intérêts et l’amortissement, "évalués ensemble à 8 pour 100 du capital, elle répartit entre ses agents 15 pour 100 du reste. La somme distribuée ainsi en 1846 n’a pas été de moins de 309,000 fr. En 1847, elle a été d’environ 360,000 fr. La Compagnie se proposait de faire jouir ultérieurement de cette participation les simples ouvriers de ses ateliers, mais elle avait jugé convenable de procéder par degrés. Au reste, déjà elle fait descendre cette prime presque aux derniers rangs de la hiérarchie, car le nombre des parties prenantes était, en 1846, de 957. La somme ’ de leurs traitements fixes était de 1,233,505 fr. L’accessoire a donc été cette année du quart du principal. Seuls, seize agents reçoivent la totalité de leurs parts en espèces. Four tous les autres, la moitié est placée -d’office parla Compagnie à la Caisse d épargne, de manière à leur former un capital. Ce placement s’est élevé, en 1S46, à 120,162. fr. »

En 1848, M. Olinde Rodrigues proposait d’établir une loi en vertu de laquelle aucun chef d’industrie ne pourrait traiter avec l’État comme fournisseur ou entrepreneur, à moins d’avoir préalablement établi la participation chez lui. L’exemple donné par la Compagnie d’Orléans «e suggère-t-il pas très-naturellement l’idée d’appliquer aux rapports de l’État avec les autres Compagnies le système de M. Olinde Rodrigues ? (Nous reviendrons plus loin sur cette question de 1s. coopération.)

— IV. CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES, POLI-TIQUES, MOEAÏ.ES DES CHKMIKS DIS Klilî. Dès

l’origine des chemins de fer, la révolution qu’ils devaient produire dans les rapports sociaux a été saluée avec enthousiasme par l’école saint-simonienne. Cette école célèbre, qui était en même temps une Église, déclarait, en 1832, dans le Globe, par l’organe de M. Michel Chevalier, qu’elle considérait les voies nouvelles comme le grand moyen de réalisation de sa politique de paix et d’industrie, de sa religion de réconciliation entre l’esprit et la matière ; que, grâce à un-vaste système de chemins de j fef, devait enfin s’accomplir, après les luttes continuelles dont la Méditerranée avec ses rives avait été le théâtre, l’union de l’Orient et de l’Occident, première condition de la paix générale, premier pas vers l’association universelle. Il est intéressant de rappeler ce plan général des chemins de fer de l’ancien monde conçu par M. Michel Chevalier sous le nom j de système de la Méditerranée, et les vastes espérances qu’y attachait la foi saint - simonienne.

« La plus grande lutte, dit M. Michel Chevalier, qui ait jamais fait retentir la terre dufracas des armes, celle qui a fait verser le plus de flots de sang, celle qui comprend toute la période par laquelle a passé l’humanité depuis l’origine des temps historiques jusqu’à nous, c’est la lutte de l’Orient contre l’Occident. Le plan de pacification qu’attend le monde devra être la conciliation de l’Orient et de l’Occident. Ce sera la consécration politique de l’accord qui doit exister dans l’avenir entre la matière et l’esprit, qui jusqu’ici ont été perpétuellement eu guerre. La Méditerranée avec ses rives a été le continuel champ de bataille où s’entre-déchiraient l’Orient et l’Occident. Depuis le débarquement des Grecs en Troade jusqu’à ia bataille dé Navarin, la Méditerranée a été le principal chemin par lequel ils sont allés se chercher l’un l’autre le fer à la main pour s’exterminer. La Méditerranée doit être désormais un vaste forum sur tous les points duquel communieront les peuples jusqu’ici divisés. La Méditerranée va devenir le Lit nuptial de l’Orient et de l’Occident.., La politique pacifique de l’avenir aura f pour objet, dans son application la plus immé-.

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diate, de constituer à l’état d’association, autour de la Méditerranée, les deux massifs de peuples qui depuis trois mille ans s’ontre-choquent comme représentants de l’Orient et de 1 Occident : c’est là le premier pas à faire vers l’association universelle. La Méditerranée, en y comprenant la mer Noire et même la Caspienne, qui n’en a probablement été séparée que dans une des dernières révolutions du globe, deviendra ainsi le centre d’un système politique qui ralliera tous les peuples de l’ancien continent, et leur permettra d’harmoniser leurs rapports entre eux et avec le nouveau monde

L’industrie, abstraction faite des industriels, se compose de centres de production unis entre eus. par un lien relativement «ioleriei, c’est-à-dire par des voies de transport, et par un lien relativement spirituel, c’est-à-dire par des banques. J’accepterai provisoirement lit distribution des centres de production telle qu’elle existe aujourd’hui, et je ne parlerai que des communications. Il-y a de si étroites relations entre le réseau des banques et le réseau des lignes de transport, que L’un des deux étant tracé avec la figure la plus convenable, l’autre se trouve par cela même pareillement déterminé dans ses éléments essentiels. Les moyens de communication les

plus faciles que l’homme emploie en grand aujourd’hui, indépendamment de la mer, que l’on rencontre toujours dans les grands trajets, sont les rivières et canaux et les chemins de fer. Les chemins de fer n’ont été observés jusqu’ici que du point de vue industriel abstrait. Ceux qui les ont étudiés, étant des ingénieurs et ne prétendant pas à être autre chose, ont négligé la question politique et morale pour se renfermer dans la question technique. Lorsque, par exemple, ils ont comparé les chemins de fer aux canaux, ils ont été exclusivement préoccupés de mesurer les frais d’établissement et le coût du transport. La question de rapidité ne leur a apparu que comme secondaire, et ils ne l’ont examinée que sous le rapport de la marchandise. Aux yeux des hommes qui ont la foi que l’humanité marche vers l’association universelle, et qui se vouent à l’y conduire, les chemins de fer apparaissent sous un tout autre jour. Les cheviins de fer, le long desquels les hommes et les produits peuvent se mouvoir avec une vitesse qu’il y a vingt ans on aurait jugée fabuleuse, multiplieront singulièrement les rapports des peuples et des cités. Dans l’ordre matériel, le chemin de fer est le symbole de l’association universelle. Les chemins de fer changeront les conditions de l’existence humaine. Il y a vingt ans, ils n’éiaient employés que pour le service intérieur de quelques mines : inventés d’hier, ils ont déjà éprouvé des perfectionnements prodigieux, relativement à leur tracé, à leur construction, et aux moteurs destinés à les parcourir. Déjà, grâce aux admirables machines locomotives façonnées par les ingénieurs anglais, on peut aisément s’y transporter avec une vitesse moyenne de 10 lieues (40 kilom.) à l’heure, et je ne doute pas que prochainement l’on n’arrive à dépasser cette vitesse, même par tous pays. Or, quand il sera possible de métamorphoser Rouen et le Havre en faubourgs de Fans ; quand il sera aisé d’aller non pas un à un, deux à deux, mais en nombreuses caravanes, de Paris à Saint-Pétersbourg en moitié moins de temps que la masse des voyageurs n’en met habituellement à franchir l’intervalle de Faris à Marseille ; quand un voyageur, parti du Havre de grand matin, pourra venir déjeuner à Paris, dîner à Lyon et rejoindre le soir même à Toulon le bateau à vapeur d’Alger ou d’Alexandrie ; quand Vienne et Berlin seront beaucoup plus voisins de Paris qu’aujourd’hui Bordeaux, et que, relativement à Paris, Constautinople sera tout au plus à la distance actuelle de Brest ; de ce jour un immense changement sera survenu dans la constitution du monde ; de ce jour, oe qui maintenant est une vaste nation sera une province de moyenne taille. L’introduction, sur une grande échelle, des chemins de fer sur les continents, et des bateaux à vapeur sur les mers, sera une révolution non-seulement industrielle, mais politique. Par leur moyen, et à l’aide de quelques autres découvertes modernes, telles que le télégraphe, il deviendra facile de gouverner la majeure partie des continents qui bordent la Méditerranée avec la même unité, la même instantanéité qui subsiste aujourd’hui en France. •

Après ces vues générales sur les conséquences politiques des chemi ?is de fer. M, Michel Chevalier expose le système de voies de communication qu’il rêve pour l’ancien continent et qui doivent rayonner des rives de la Méditerranée. On peut, dit-il, considérer la’ Méditerranée comme une série de grands golfes qui sont chacun l’entrée d’un large pays sur la mer. Dans chacun de ces golfes, il y ’ aura à choisir un port principal, et presqué partout il sera possible d’en trouver un sur l’axe de la plus importante des vallées aboutissant au golfe. Le port ainsi déterminé sera pris pour pivot d’un ensemble d’opérations dont la plus capitale serait un chemin de fer qui, remontant la vallée médiale, irait par-dessus ou à travers le versant des eaux chercher une autre vallée de premier ordre, car les grands bassins des fleuves constituent généralement : les divisions industrielles les plus naturelles. Et ces systèmes partiels, tous rattachés entre ■ eux, constitueraieuUe système général. De la sorte, les grands courants.d’eau seraient longés j